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SNCF : comment repeindre en vert une privatisation ?

D’aucuns s’interrogent. Que signifie cet amour soudain et inattendu du gouvernement pour le rail ? Celui qui n’a eu de cesse, dans le prolongement des gouvernements qui l’ont précédé, de casser la SNCF aurait-il changé tout à coup par la magie de la Covid ?

On vient d’assister coup sur coup à plusieurs communications gouvernementales concernant le ferroviaire. 4,7 milliards pour la compagnie ferroviaire publique dans le cadre du plan de relance (1). À cela s’ajoute l’annonce de la prise en charge d’une partie des péages ferroviaires des trains de marchandise par le budget national et la volonté affichée de relancer les trains de nuit. Examinons de plus près, à la lumière de l’histoire et des intérêts financiers en jeu, les raisons profondes de cette mouche ferroviaire qui semble avoir piqué Macron.

Un choix ancien du tout-routier

La France disposait jusqu’à l’année dernière d’un service public ferroviaire qui s’appelait la SNCF, devenue aujourd’hui société anonyme (SA). Née en 1937 de la nationalisation (dont les actionnaires ont été indemnisés !) des compagnies privées, la SNCF a connu plusieurs statuts juridiques. Disons pour simplifier qu’en dépit de ces derniers, son organisation n’avait pas beaucoup varié jusqu’aux années 1990 : une direction nationale, des régions assemblant les différentes composantes nécessaires au transport ferroviaire et des établissements chargés de mettre en œuvre les techniques.

L’organisation des transports terrestres français a subi quant à elle de profondes modifications. Depuis les années 1960, le choix du tout-routier n’a globalement pas été remis en cause. Il répondait à plusieurs impératifs : flexibilité des points de chargement et de livraison, moindre organisation des salariés et surtout coût du réseau à la charge de la collectivité nationale et pas des transporteurs. La politique du « juste à temps » transforme nos routes et autoroutes en gigantesques entrepôts. Dans ces conditions, le déclin, dans des proportions très importantes, de la part des marchandises transportées par rail était inévitable. Pour les voyageurs, la concurrence de l’avion par les compagnies low-cost et de la voiture individuelle se sont accrues ces dernières années.

Dominée par les libéraux, l’Union européenne a cassé les monopoles ferroviaires et contraint les États à séparer le réseau (les infrastructures) des activités de transport, imposant par là même l’introduction d’opérateurs privés. La libéralisation européenne du cabotage routier a également accentué la concurrence avec des transporteurs routiers issus de pays aux conditions sociales inférieures.

Le vrai prix du transport

À compter des années 1990 donc, on a vu l’organisation de l’entreprise être profondément remaniée, passant d’une organisation « horizontale », multi-métiers par région à une organisation « verticale » par activité. Il a donc fallu séparer le réseau ferroviaire physique des transports, puis scinder la SNCF en « activités » marchandises, banlieues, transport régional et TGV, bref créer les conditions qui rendent possible la reprise par le privé desdites activités – surtout les plus rentables. Socialiser les pertes, privatiser les profits... Rien de nouveau donc ! Ces restructurations incessantes de la SNCF, avec une baisse constante des effectifs, se sont traduites par une dégradation de la sécurité et... de 40 à 50 suicides par an de cheminots.

Tout ceci s’est accompagné d’une formidable campagne d’intoxication sur le thème « La SNCF coûte cher aux contribuables pour un service médiocre ». Seriné pendant des années, un mensonge devient une vérité, surtout quand tout est fait par la direction de la SNCF pour que ça le soit.

Pendant des années, les organisations syndicales de cheminots ont revendiqué sans succès que les comptes soient faits avec un minimum de loyauté, permettant de comparer les prix de revient pour le pays du kilomètre parcouru. Pendant que la SNCF fabriquait et entretenait son réseau, le prix de revient de la route se trouvait totalement opacifié. En effet, alors que vous trouverez assez facilement la compilation des montants publics utilisés pour le transport ferroviaire, dont l’unique représentant était la SNCF, trouver ceux déboursées par les pouvoirs publics en direction du transport routier s’avère tout bonnement impossible. Cumuler le coût de la fabrication et de l’entretien des routes, des salaires de la police des routes, des agents chargés de leur entretiens et réparations, du coût des accidents... est irréalisable. Les dépenses dépendent de nombreux ministères, régions, départements et villes. Elles ne sont même pas toujours identifiées en tant que telles et ne sont parfois même pas calculées (que coûte exactement la pollution routière ?). Que ce soit dans le routier, le ferroviaire, l’aérien et le maritime, ce sont ces coûts de transport extraordinairement sous-évalués qui ont permis la mondialisation néo-libérale.

Seule une décision de la puissance publique permet de fabriquer et d’entretenir les voies navigables, les routes et les voies ferrées. Or, par manque d’investissement suffisant dans le réseau ferré, la situation du ferroviaire s’est dégradée en France. Même un Laurent Wauquiez le reconnaît : « Pour Clermont-Paris, honnêtement, le problème n’est pas la SNCF, mais les financements de la SNCF. Des financements indispensables pour moderniser la ligne, seule possibilité d’améliorer le temps de transport ». (2)

Concurrence et privatisations : ça ne marche pas !

En 2015, Macron a opéré la libéralisation du transport par autocars, créant une concurrence des cars avec les lignes de TER subventionnées par les régions. Très vite, on est passé de cinq opérateurs privés à deux (Blablabus et Flixbus), l’activité étant déficitaire tant les prix sont bas. Résultat : de nombreuses villes ne sont plus desservies, et l’objectif de Macron de créer plus de 20 000 emplois n’a été qu’une chimère. « La réalité n’en a été que de quelques centaines de manière éphémère ». (3)

Aujourd’hui, le fret ferroviaire représente à peine 10 % de l’ensemble du transport de marchandises en France, contre 18 % il y a encore une vingtaine d’années, et 75 % dans les années 1950. C’est en 2006 que le fret ferroviaire a été ouvert à la concurrence. Cela n’a en rien conduit à une augmentation du fret transporté par le train. Il y a aujourd’hui une quinzaine d’opérateurs qui détiennent environ 40 % d’un marché qui n’a pas augmenté. Ce sont évidemment les lignes les plus rentables sur lesquels circulent ces trains de fret privé, sans malgré tout dégager de bénéfices.

Pourtant, le gouvernement s’obstine, lançant la mise en concurrence des lignes de trains d’équilibre du territoire (TET) Nantes-Bordeaux et Nantes-Lyon. L’ouverture à la concurrence des TER est en cours à l’horizon 2024.

Depuis trente ans, les directives européennes n’ont eu de cesse d’ouvrir à la concurrence, avec le soutien de tous les gouvernements français.

Une politique très peu écologique

Les opérateurs privés de fret ferroviaire réclamaient un plan de relance de 10 milliards pour le seul fret. S’ils n’ont pas eu complètement satisfaction, ils ont obtenu la gratuité des péages en 2020 et leur baisse de 50 % en 2021. L’opération consiste donc à permettre de sauver les « opérateurs » privés avec de l’argent public. Pendant ce temps, la SNCF supprime rien de moins que 100 postes de conducteurs de trains de fret.

Quant à la relance des trains de nuit, la réalité est loin des discours. Seuls deux trains de nuit seraient concernés en 2022, très loin donc des demandes formulées par le collectif « Oui aux trains de nuit ».

La volonté écologique du gouvernement reste donc très limitée. Ne s’agit-il pas juste de repeindre le néo-libéralisme en vert pour des raisons de communication politique ?

Cet article de nos amis Richard Bloch et Eric Thouzeau est à retrouver dans le numéro 277 (septembre 2020) de Démocratie&Socialisme, la revue de la Gauche démocratique et sociale (GDS).

(1) Pour rappel, la SNCF a perdu 4 milliards d’euros du fait de la crise sanitaire.

(2) La Montagne, 31 juillet 2020.

(3) Communiqué de la fédération nationale des syndicats de Transports CGT (16 juin 2020).

 

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