GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Enseignement

Sans moyens, l’école inclusive n’est qu’un slogan

Le droit à l’éducation est reconnu à l’échelle mondiale, mais L’UNESCO rappelle régulièrement que des millions d’individus continuent d’en être exclus. Le genre, l’orientation sexuelle, l’origine ethnique ou sociale, la langue, la religion, la nationalité, la situation économique, le handicap restent des facteurs principaux de mise à l’écart .

En France, l’école inclusive s’entend surtout pour évoquer la situation des enfants en situation de handicap. Avec une promesse : identifier et éliminer tous les obstacles à leur éducation. Quelques réflexions près de vingt ans après la promulgation de la loi instaurant l’égalité des droits et des chances.

Brève histoire d’une scolarisation particulière

En France, la scolarisation des élèves en situation de handicap est récente. Dans les années 1970, très peu de solutions existaient. Les enfants et leurs familles vivent communément cette situation dans l’isolement et le rejet social. Depuis les années 1960, des associations de parents, devenues fédérations gestionnaires de services et établissements mais aussi premières porte-paroles des enfants, s’organisent. Fleurissent alors des établissements spécialisés accueillant progressivement des élèves, partout sur le territoire.

Ce n’est qu’en 2005 que le droit à la scolarisation est reconnu dans la loi. Il pose le principe d’intégration, celui où tout enfant en situation de handicap ou vivant avec un trouble invalidant de la santé doit être « inscrit dans l’école ou dans l’un des établissements […], le plus proche de son domicile, qui constitue son établissement de référence ». Les enfants en situation de handicap ont donc une place en milieu scolaire ordinaire, et non plus systématiquement en établissement spécialisé.

Au-delà des ambitions affichées, il existe des réalités budgétaires évidentes : le coût de la scolarité ordinaire est de 6 300 euros par an et par élève en primaire contre plus de 40 000 euros en établissement spécialisé. Et des volontés d’affichage politique : l’obtention rapide d’une place à l’école ordinaire évite le parcours du combattant, qui se compte en années d’attente, pour entrer en IME…

Puis, apparaît en 2010 la notion d’inclusion, qui vient petit à petit prendre le pas sur celle d’intégration. L’école inclusive naît. Elle renvoie à la volonté d’un système éducatif unique (et non plus fondé sur la cohabitation des systèmes ordinaire et spécialisé), au sein duquel tous les enfants sont scolarisés. C’est désormais à l’école (institution et professionnels) d’organiser l’accueil de tous les enfants en situation de handicap.

L’explosion de la scolarisation en milieu ordinaire

Cette bascule a un effet soudain et mécanique : l’augmentation massive du nombre d’enfants scolarisés en milieu ordinaire. On passe de 134 000 enfants en situation de handicap scolarisés en 2004, à plus de 436 000 en 2022. Si on examine les effets de la loi sur un plan quantitatif, indéniablement, c’est une réussite. S’agissant de la scolarité des enfants, difficile d’arrêter un bilan à la seule lecture de données chiffrées… Récemment, le ministre-alors-à-l’éducation Attal a même avoué qu’il allait maintenant s’agir « d’avancer vers du qualitatif ». Il est temps !

Concrètement, la loi de 2005 affirme le droit à la scolarisation. Rien, en revanche, ne pose la question des moyens de la réussite scolaire. D’ailleurs, quand il s’agit d’élèves en situation de handicap, rien n’est vraiment imaginé pour penser ce qu’est la réussite scolaire. À l’heure de la réaffirmation réactionnaire des ministres macronistes autour de « fondamentaux » souvent bien éloignés des savoirs disciplinaires réellement existants, à l’heure, aussi, du corsetage des corps dans des uniformes, quel message est adressé aux élèves en situation de handicap ? Pas un mot sur la différence, sa prise en considération. Rien non plus sur les apprentissages sociaux qui naissent de la mixité des publics accueillis. Aucune considération des besoins particuliers dans le discours politique gouvernemental !

L’absence de réponses qualitatives

Le saut quantitatif a des conséquences concrètes, sur une école déjà éprouvée et malade. Les professeurs gèrent des classes surchargées, avec des élèves qui nécessitent du temps qu’ils n’ont pas et des compétences pour lesquels ils n’ont pas été formés initialement, quand ils existaient deux branches de scolarisation (ordinaire et spécialisée). Si les effectifs ont été réduits en REP+ pour les classes de CP à douze enfants, rien n’a été pensé en ce sens pour accueillir les élèves en situation de handicap !

Au lieu d’anticiper, en formant les enseignants avant même de décréter l’inclusion scolaire, l’école s’est reposée sur la politique d’insertion en accueillant des emplois précaires, sans qualification exigée et la plupart du temps féminin. Alors que l’accompagnement se technicisait et se complexifiait, l’Éducation nationale a choisi de faire reposer une ambition majeure, l’inclusion, sur des moyens insignifiants, mettant souvent en difficulté les enseignants, les accompagnants (AESH), les enfants concernés… et le groupe classe tout entier !

Par ailleurs, sans poser clairement la question des programmes et des contenus, la norme d’apprentissage des savoirs demeure inaccessible pour nombre d’enfants en situation de handicap, comme si leur réussite scolaire et la validation de leurs acquis étaient finalement assez accessoires ! En parallèle, pour ne pas chambouler les programmes, on a préféré créer des artifices (utiles au quotidien), mais qui rendent compte des difficultés sans adapter réellement l’enseignement. À coups de sigles, comme pour les accompagnants : PPI (projet pédagogique individuel), PPS (projet personnalisé de scolarisation) etc., on a préféré compenser le handicap sans vraiment adapter l’école.

Vers une scolarisation adaptée ?

Les services de l’Éducation nationale et les Agences régionales de santé portent un discours sans concession : l’école inclusive doit s’appliquer. Avec des conséquences concrètes comme la fermeture de places en établissements spécialisés dans tous les départements… alors même que les besoins augmentent (notamment du fait de l’explosion des troubles du langage et du comportement qui touchent de plus en plus d’enfants). Bref, on est face à un effet ciseaux où se croisent une école ordinaire pas suffisamment prête et des écoles spécialisées qui ont désormais portes closes.

Fin 2023, une mission d’information sur le sujet a été menée par deux députés, l’une macroniste et l’autre LR. Surprise ! Ils dénoncent les limites de l’école inclusive. Ils évoquent pêle-mêle le système kafkaïen : démarches administratives incessantes, délais de réponse de l’administration inadaptés, formation des enseignants insuffisante, conditions d’accueil insatisfaisantes, pas de solution pour le polyhandicap… Rien ne va vraiment en réalité. Ils plaident pour le déploiement d’unités d’enseignement externalisées. Retour à la case départ.

Et si on s’en donnait les moyens ?

Finalement, la meilleure des solutions ne serait-elle pas de proposer le niveau d’accompagnement qui était permis en enseignement spécialisé à l’école ordinaire ? N’est-ce pas là l’unique chemin pour permettre à la fois de répondre à la fois à l’ambition d’inclusion et de soulager une école ordinaire à bout de souffle ? Des moyens pour l’éducation : voilà un mot d’ordre fédérateur à gauche… et utile à la génération qui vient ! Faire de l’intérêt de l’enfant un préalable à tout. L’école ordinaire pourrait ainsi bénéficier d’une expertise et d’un fonctionnement qui, s’il a fait ses preuves dans l’accompagnement du handicap ou de la pathologie, saura aussi répondre aux enjeux auxquels font face les enfants aujourd’hui.

Concrètement, cela signifierait la reconnaissance de la différence, des effectifs classe réduits, la révision des programmes pour les adapter aux réalités des enfants aujourd’hui, des équipements numériques adaptés, la présence d’enseignants, mais aussi de travailleurs sociaux dans les classes, l’ouverture des établissements aux soins… Une petite révolution ! Mais il y a urgence.

Cet article de notre camarade Marlène Collineau est à retrouver dans le n°313 de Démocratie&Socialisme, la revue de la Gauche démocratique et sociale (GDS).

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