Retraites en Suisse : victoire des syndicats et de la gauche
À partir de 2026, les Suisses auront droit à une 13e rente dès l’âge de la retraite fixé à 65 ans. Dimanche 3 mars, la majorité des citoyennes et des citoyens (58,2 %) ont accepté l’initiative en faveur d’une rente mensuelle supplémentaire de l’assurance vieillesse et survivants (AVS).
Depuis 1948, date d’introduction de l’AVS, les forces progressistes avaient jusqu’ici lancé une trentaine d’initiatives sur le thème de la retraite, mais c’est la première fois que l’une d’elles passe le cap d’une votation. Ce succès permettra d’augmenter les rentes de retraite de 8,3 %, ce qui correspond à 200 francs par mois pour ceux qui touchent la rente maximale.
Participation élevée
À dire vrai, ce résultat n’est pas seulement celui de la gauche, car plusieurs sections cantonales de partis bourgeois avaient décidé de soutenir cette initiative ou de laisser la liberté de vote. La victoire est d’autant plus totale que le même jour, les Suisses ont rejeté, par 79,7 % des voix, une initiative des Jeunes libéraux-radicaux, qui visait à porter l’âge de la retraite de 65 à 66 ans, voire davantage selon l’évolution démographique. Ces deux résultats contrebalancent quelque peu l’augmentation de l’âge de la retraite des femmes approuvé de justesse en septembre 2022.
La participation au scrutin a été plus élevée (en données suisses) qu’à l’accoutumée, puisqu’elle a atteint 58 %, et rarement une campagne politique avait atteint une telle intensité. Il faut remonter aux scrutins de 1992 sur l’adhésion de la Suisse à l’Espace économique européen (EEE, refusée) ou à celui de 1989 sur l’initiative « Pour une Suisse sans armée » (acceptée par les seuls cantons de Genève et du Jura) pour retrouver un tel intérêt de la population.
L’arrogance des dominants
Contrairement à ce qui se passe généralement, ce projet de nature progressiste n’a pas seulement été accepté par les cantons latins (Suisse romande et Tessin) mais aussi par la majorité des cantons alémaniques. Preuve qu’une 13e rente correspond à un besoin profond de la population, ce que n’a pas compris la classe dominante. Celle-ci s’est confinée dans une attitude de mépris, en refusant, l’année dernière au Parlement, une hausse de 7 à 14 francs par mois des rentes AVS, alors que l’inflation devenait douloureuse, et en investissant, dans cette campagne, trois à quatre fois plus d’argent que les syndicats.
Cette arrogance a atteint son point culminant avec la lettre que cinq anciens conseillers fédéraux (ministres) ont adressé à des centaines de milliers de Suisses, les invitant à ne pas se lancer dans une aventure financière soi-disant risquée. Mais en oubliant de dire qu’ils touchent une rente de 20 000 francs par mois ! On espère que la droite ne manifestera pas la même arrogance lors des débats parlementaires relatifs à la mise en œuvre de la 13e rente, les deux options retenues jusqu’ici pour son financement étant soit une augmentation des cotisations salariales, soit une hausse de la TVA. Opposée à l’initiative au nom du mythe de la collégialité gouvernementale, la ministre socialiste qui porte ce dossier aura ici l’occasion de refaire équipe avec son camp.
La gauche unie
Une raison essentielle du succès du 3 mars réside dans le fait que la gauche politique et syndicale a été profondément unie dans cette bataille. L’Union syndicale suisse, les autres organisations de salariés, le PS, les Verts, le Parti ouvrier et populaire (POP) et l’extrême gauche, mais surtout leurs militantes et leurs militants, ont en effet marché main dans la main dans cette campagne. Une leçon à retenir pour l’avenir, en Suisse… et ailleurs ! Ce tournant devrait aussi mettre la gauche en bonne position pour gagner d’autres batailles, notamment la votation de juin sur l’abaissement des primes d’assurance maladie.
Cet article de notre ami Jean-Claude Rennwald (ancien député PS au Conseil national suisse, militant socialiste et syndical) est à retrouver dans le n°313 (mars 24) de Démocratie&Socialisme, la revue de la Gauche démocratique et sociale (GDS).