GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Le social au cœur Syndicats

Quelques enseignements des départs massifs de la Cfdt

Probablement entre 50 000 et 100 000 adhérents sont en cours de rupture avec la direction Chérèque de la Cfdt. Cette dernière a beau se répandre maladroitement dans les médias en disant « il n'y a pas le feu au lac », ses efforts pour minimiser la crise sont vains. Il y a tous ceux qui se voient (Interco, Uri Auvergne, Ud Haute-Loire, branche Cheminot, santé, enseignants, et demain banques) et tous ceux qui ne se voient pas et qui partent en silence. La presse couvre globalement Chéréque, mais les salariés, eux, ne se trompent pas : la Cfdt vient de perdre au moins 6 % des voix dans les élections nationales de la santé.

La première leçon est évidente : on ne peut pas trahir impunément un mouvement social unitaire aussi important que celui du printemps 2003. Il y a eu une telle force (11 journées nationales enseignantes, 9 journées interprofessionnelles, 140 jours de lutte entre le 1er février et le 23 juin, 30 millions de jours de grève, quatre jours avec des manifestations supérieures à 2 millions de participants…) dans ce mouvement que la rupture unilatérale ne pouvait qu'être ressentie comme un coup de poignard dans le dos.

Elle s'est faite rappelons-le, le 15 mai, sans débat, ni concertation avec les autres directions syndicales. Chéréque s'en est allé seul signer au petit matin, en plein cœur de la mobilisation, dans le bureau d'un des Premiers ministres les plus anti-sociaux que la France ait connu, un texte qui prévoit de faire perdre cinq ans de retraite et 30 % de niveau de pension à 5 millions de fonctionnaires et 2 ans de retraite et 30 % de pension à 15,5 millions des salariés du privé. Chérèque s'est comporté comme un comploteur, ne disant rien aux autres responsables syndicaux de la Cgt, FO, Unsa, FSU, groupe des 10, il passe la nuit de négociation avec eux, puis revient, et signe, à part, ne consultant son bureau national qu'a posteriori, ses militants jamais. Seul argument avancé : on a sauvé 200 000 personnes qui vont pouvoir dans des conditions d'ailleurs peu claires partir plus tôt et l'on a conservé, pour un autre petit nombre de gens, un minima de 85 % du Smic pour les basses retraites… Mais il a enfoncé, pour cela, l'essentiel des retraites pour 22000 000 de salariés, faisant un cadeau inespéré au capital.

Même si Chéréque avait eu des arguments, quel sens cela avait-il de rompre le front syndical ?Quel sens cela avait-il de se désolidariser des luttes en cours et de signer précipitamment pour plaire à Raffarin et Fillon - et au Medef ? Pourquoi n'avoir pas essayé de convaincre le front syndical, le mouvement alors en cours ?Car alors, tous les sondages donnaient 66 % de l'opinion en faveur des grévistes. C'est le deuxième enseignement : lorsque Chéréque parle de démocratie dans la Cfdt, il se moque du monde. Car ce n'est pas seulement à la Cfdt qu'il a des comptes à rendre, mais à 22 000 000 de salariés dont il a affaibli le mouvement, permettant aux ultra libéraux qui gouvernent d'aller jusqu'au bout de leur projet de loi, alors que sans son aide ils n'y seraient pas parvenus. Chéréque se répand sur les radios avec des phrases mal construites, marmonnant des exigences de démocratie, disant que la Cfdt va débattre pendant « un an », que seule, elle « débat », et que ceux qui partent, c'est sans surprise, ce sont des anciens opposants, des gauchistes, etc.. Il affirme même que cela « clarifie » comme si son syndicat se renforçait en s'épurant. Mais qu'est-ce que c'est que cette hypocrisie ? C'était avant qu'il fallait débattre, c'était en cours de route qu'il fallait consulter, écouter, entendre.

Le troisième enseignement, c'est que ceux qui partent ont de vraies raisons de le faire, car beaucoup c'est vrai, mais pas tous loin de là, étaient opposants depuis de longues années; mais ils respectaient la démocratie de leur syndicat, et même après nov-déc 95, ils avaient défendu leur point de vue puis ils ont continué de militer et de construire malgré leur mise en minorité. Ladite mise en minorité était pourtant discutable quand on sait les méthodes qui règnent depuis la fin du congrès de Montpellier dans la direction et les congrès Cfdt : ils ont même, malgré les barrages, obtenu des votes à plus de 40 % lors du dernier congrès de Nantes sur des questions importantes. Mais le bloc autour de Notat puis de Chérèque n'ont en rien écouté, ils ont aggravé depuis 1995, leurs prises de position pro libérales, pro capitalistes : ils ont torpillé à leur façon la mise en place des 35 h, ils ont signé la loi Fillon, ils ont approuvé l'accord contre les intermittents, ils s'apprêtent à faire de même - et l'annoncent - pour brader la Sécurité sociale. En fait, c'est une ligne qui sape les efforts même de ce que doit être un authentique syndicalisme : la défense des salariés. Cherèque est un politique, pas un syndicaliste, il suit le Medef, pas ses adhérents de base. Il a plein la bouche de « l'intérêt général » mais il le piétine pour servir des intérêts particuliers. C'est pourquoi, choisir de « se battre en interne », n'était plus possible, et c'est l'explication de ce phénomène sans précédent où l'on voit un syndicat connaître une véritable hémorragie.

Quatrième enseignement : si le mouvement du printemps 2003 avait été, comme le disent certains, « défait », « battu », ce serait Chéréque qui triompherait. Mais quelques mois après cette épreuve de force fabuleuse qui a eu lieu, c'est Chéréque qui perd, c'est son syndicat qui s'affaiblit, c'est le camp de ceux qui ont lutté qui se renforce. La loi Fillon a été publiée le 25 août, et à peine deux mois après, Raffarin est au plus bas dans l'opinion et Chérèque au plus bas vis-à-vis de ses militants.

Cinquième enseignement : c'est la première fois que les militants qui partent de la Cfdt ne le font pas majoritairement pour rejoindre des petits syndicats. Ils choisissent majoritairement de rejoindre la Cgt : ils aspirent non pas à la division mais à l'unité syndicale. Ils veulent non pas des syndicats radicaux et minoritaires, mais des syndicats unis et démocratiques, confédérés. Ce n'est pas Sud qui en profite mais la Cgt. Ce n'est pas l'heure des émiettements mais des regroupements. Ce n'est pas un mouvement de recul et de scissions, découragement, c'est un mouvement de recherche d'un grand syndicalisme, de base, de masse, indépendant et démocratique. Car ce ne sont pas les petits syndicats qui pèsent, ni en nov-déc 95, ni au printemps 03, c'est le regroupement Cgt-FO, Unsa, Fsu. D'ailleurs, ça n'a pas de sens d'être un « petit » syndicat (de plus), le seul sens de l'action syndical c'et le regroupement, le rassemblement, pour défendre vraiment les intérêts de la masse des salariés.

Sixième enseignement : le débat n'est pas entre « syndicalisme réformiste » et « syndicalisme révolutionnaire » ni entre « modérés » et « radicaux », il est entre « oui au syndicalisme » ou « non au syndicalisme » . Parce que le syndicalisme n'est pas comme la politique, il n'est pas tranché entre diverses idéologies, ou blocs d'intérêt : le syndicalisme doit viser à regrouper tous les salariés indépendamment de leur idéologie, de leur appartenance politique, de leur philosophie ou de leur religion. Un syndicat qui ne viserait à regrouper que « les radicaux » tourne le dos à sa mission. Un syndicat qui se veut « réformiste » et fait la chasse aux sorcières aux « radicaux » tourne aussi le dos à sa mission. La seule base d'adhésion est le fait d'être salarié (88 % de la population active) et de défendre ses droits élémentaires, son contrat de travail, son salaire, sa protection sociale liée à son travail face au patronat. Pas en s'alliant au Medef mais en luttant contre. La Cgt attire dans la mesure où elle se positionne ainsi. Dans la mesure où elle est démocratique, écoute, consulte, répond aux mobilisations, les développe. Elle attire dans la mesure ou elle développe l'unité syndicale, et même mieux, cherche à opérer des regroupements, des fusions. Un « comité de liaison unitaire intersyndical (Clui) » avec la Fsu, l'Unsa, et Fo et le groupe des dix, serait tout à fait souhaitable dans la situation actuelle face aux noirs projets de Chirac-Raffarin contre la Sécurité sociale.

Septième enseignement : la tendance dominante du syndicalisme français est au renouveau, à l'unité, à la démocratie, et à la lutte. Les adhérents de la Cfdt qui n'ont pas encore suivi, qui n'ont pas encore tiré les leçons de nov-déc 95 et du printemps 2003, le verront tôt ou tard : Chéréque est l'archaïque, il est le passé, c'est un clan qui se croit « supérieur », mais en fait il tourne le dos, pas seulement à l'histoire de la Cfdt mais au syndicalisme, Chérèque est plus fidèle au Medef qu'aux salariés, et la voie qu'il suit est sans issue pour ceux qui travaillent, souffrent et sont exploités. Ceux qui partent aujourd'hui sont souvent les meilleurs, les plus expérimentés, ceux qui faisaient le plus vivre et recruter le syndicat (le département de Haute-Loire avait, de congrès Cfdt en congres Cfdt, le record national des adhésions… maintenant c'est la Cgt qui va profiter du talent et du dévouement de ses animateurs). Il faut pousser à bout et saisir l'opportunité de cette crise de la direction Chérèque, pour revivifier, réunifier, renforcer l'authentique syndicalisme indépendant, démocratique, fidèle au salarié, capable d'affronter et de battre le patronat. Depuis vingt ans, la part du capital a augmenté de 11 points par rapport à la part des salaires : ce n'est pas le « travail qui coûte cher » dans ce pays, le travail, ce n'est pas un coût, c'est ce qui produit les richesses, ce qui coûte cher c'est ce que le capital prend au travail, il prend trop, il faut lui reprendre les 11 points qu'il nous a pris. La France n'est pas en crise, elle n'a jamais été aussi riche ! Voilà ce qui est au cœur de l'action syndicale : défendre nos salaires, nos emplois, nos retraites, notre Sécu, imposer une redistribution des richesses.

Autre source d'information sur la crise au sein de la CFDT :

http://spasmet-meteo.org/

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