GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

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Quand relance devient synonyme d’austérité

Le gouvernement, profitant de la situation, pousse son avantage économique. Il décline son catéchisme libéral dont les sophismes rudimentaires laissent apparaître progressivement l’étendue du désastre social et écologique qu’il prépare. Qui pourra stopper la fuite en avant de la macronie ?

Frapper encore et toujours. Frapper en s’élevant un peu plus sur l’échelle de l’indécence. Telle pourrait être la devise de ce gouvernement. La crise sanitaire s’avère une formidable opportunité pour dérouler son programme libéral, et il ne compte pas s’en priver. Avec un mouvement social contraint par le couvre-feu et une population, quoi qu’on en dise, respectueuse des consignes de distanciation, l’occasion est trop belle. Si le Covid agit comme un révélateur de notre époque, la gestion de la crise par l’exécutif n’en est que plus édifiante.

Frapper le salariat

D’abord frapper les salaires. Avec la mise en place du chômage partiel, l’État ne couvre que 84 % du salaire net. À cela s’ajoutent les accords de performance collective issus des ordonnances Macron, véritable machine à baisser les salaires (suppressions de toutes les primes contractuelles, en dépit d’objectifs réalisés, des primes exceptionnelles annoncées en entretien individuel et des augmentations de salaire individuelles). De toute évidence, indemniser 100 % du Smic, c’était déjà trop pour l’ancien banquier d’affaire qui nous gouverne et qui préfère refuser toute contribution exceptionnelle des plus fortunés en cette période de pandémie. Résultat : 200 milliards d’euros d’épargne, dont 70 % sont détenus par les 20 % les plus aisés, et la moitié amassée par les 10 % les plus riches. Le CAC 40 verse des dividendes fastueux, la Bourse flambe tandis que les plans sociaux se poursuivent. En bonne logique macronienne, les ultra-riches sont à l’honneur.

Cela ne suffisait pas, il fallait frapper les plus vulnérables – un pas de plus dans l’ignominie. La réforme punitive de l’assurance chômage est reprogrammée en pleine pandémie. Selon les paroles de Laurent Berger, le pourtant très « réformiste » secrétaire général de la CFDT, c’est une vraie « boucherie ». L’explosion du chômage atteint des records et 800 000 personnes verraient leurs indemnités diminuer au cours des prochains mois, pour certains jusqu’à 30 %. Dans la langue macronienne, cela s’appelle « protéger les salariés et les entreprises ».

La répression s’abat sur les manifestants, les lycéens et les étudiants. Criminalisation des occupations d’universités, fichage des opinions politiques et syndicales, banalisation de la violence policière. Interdiction de filmer la violence d’État, mais captation par drones des manifestants. Toute la panoplie répressive et antidémocratique est mobilisée. Marine Le Pen est devenue trop « molle » : cela tourne à la dystopie. Jusqu’à la nausée. Mais rassurez-vous, dans la langue macronienne cela s’appelle la « sécurité globale ».

Un plan d’austérité

Au milieu de ce marasme, les 100 milliards du plan de relance sont apparus comme l’objet d’un incroyable retournement sémantique. Le « quoi qu’il en coûte » éclipsant brutalement le « il n’y a pas d’argent magique » prononcé quelques semaines plus tôt. Une lueur d’espoir vite enterrée car n’échappant pas à la duplicité rhétorique gouvernementale. Si l’on retire les 40 milliards en provenance de l’Union européenne vis-à-vis de laquelle nous sommes débiteurs, les 30 milliards déjà budgétés, donc maquillés pour apparaître dans le plan de relance, il reste 30 milliards dans un contexte où nous avons perdu 8,5 % du PIB en 2020, soit environ 220 milliards. Le compte n’y est pas, mais alors vraiment pas. Ce plan de relance est en fait un plan d’austérité. Encore un miracle de la sémantique macronienne.

Peur sur l’inflation

Il faut dire que nos économistes en chef s’inquiètent terriblement du retour incontrôlé de l’inflation. Certains sont plus que sceptiques sur le plan de relance de 1 900 milliards de Biden aux États-Unis. « Pour Larry Summers et Olivier Blanchard, pourtant fervents partisans des politiques budgétaires expansionnistes, ce programme est excessif car il représente entre deux et quatre fois l’écart de production attendu pour 2021 : avec un multiplicateur unitaire, sa mise en œuvre ferait bondir la demande bien au-dessus des capacités de production du pays. L’inflation repartirait à la hausse, ce qui conduirait la Réserve fédérale à remonter ses taux, amenuisant l’impact du plan de relance », comme en témoigne Agnès Bénassy-Quéré, chef économiste de la DG Trésor1. Elle fait mine de s’interroger : « La zone euro ou du moins la France devraient-elles suivre l’exemple américain ? », mais a déjà tranché : « Il est vain de penser que l’activité puisse retrouver le niveau de 2019 par une stimulation accrue de la demande ». À l’instar du ministre de l’Économie, Bruno Lemaire, pour qui « le problème de la France n’est pas un problème de demande, mais de qualité de l’offre, d’investissements et dinnovation ».

Nous reconnaissons ici la petite musique consistant à préparer les esprits aux largesses budgétaires de l’État consenties aux entreprises, accompagnées d’une cure d’austérité pour contenir cette satanée demande inflationniste. Le même Bruno Lemaire déclarait ainsi devant un parterre de patrons : « C’est dans ces moments de crise qu’il faut profiter de l’argent de l’État. Croyez-moi, ce n’est pas tous les jours que vous entendrez un ministre de l’Économie vous dire : Vous avez besoin d’argent ? Je vous en donne ». Les smicards et les chômeurs n’auront pas cette chance…

Un plan de défiscalisation

Si les aides d’urgence – comprenant les mesures de chômage partiel, prêts garantis, exonérations et reports de cotisations – ont réussi à stabiliser la chute d’activité, elles ont également créé les conditions de la hausse des prix. Ce décalage entre l’offre et la demande, conséquence d’une désorganisation des chaînes de production est donc porteur d’inflation. Auquel cas, pour les investisseurs privés, détenir des titres sur une longue période reviendra à encaisser une perte en termes réels. Lorsqu’ils se délesteront de ces titres, cela fera augmenter mécaniquement les taux d’intérêt. Il y a quelques années les taux d’intérêt négatifs étaient inconcevables. Il ne faut donc jamais jurer de rien.

La BCE monétise la dette des États, mais le gouvernement se garde bien d’utiliser cette manne budgétaire pour financer, par exemple, un salaire garanti pour tous ou encore une transition écologique qui, de toute évidence, contrarie suffisamment les intérêts des grands groupes industriels pour enterrer la Convention citoyenne pour le climat (CCC). Pour l’économiste Maxime Combes2 « ce n’est pas un plan de relance, mais un plan de défiscalisation ». Il corrige ainsi une autre falsification rhétorique macronienne, « puisque seuls 0,8 % des fonds iront aux plus modestes et que 20 % sont des cadeaux fiscaux ». Avec 10 milliards de baisses d’impôts sans aucune espèce de contrepartie, le plan de relance produira des effets sur l’emploi similaires au CICE, à savoir : pratiquement aucun, comme le rappelle ironiquement la CGT dans une note de synthèse3. L’Association des maires de France quant à elle dénonce dans un communiqué le frein que constitue ce nouveau déficit de rentrées fiscales pour la relance : « Cette réduction des moyens financiers fait peser un risque sur la reprise en limitant la participation du bloc communal au plan de relance, alors que les communes et leurs EPCI4 portent plus de 65 % de l’investissement public local ».

En effet, les aides publiques aux plus riches ont pour conséquence d’augmenter la dette et comme « toute augmentation d’impôt » est exclue pour le ministre de l’Économie, il faut faire des économies sur les plus pauvres.

Dette odieuse

La reconduction de la dette de la Cades5 est la parfaite illustration de cette mécanique bien huilée. Sournoise, mesquine, profondément injuste, cette instrumentalisation de la dette sociale est tout simplement scandaleuse. Celle-ci devait s’éteindre en 2024 soulageant ainsi les comptes de la Sécurité sociale de 24 milliards d’euros, mais sur décision du gouvernement, la Cades vient de récupérer 136 milliards d’euros de dette, liés aux déficits de la Sécurité sociale. 31 milliards proviennent de déficits passés et cumulés, dette déjà odieuse en soi. Auxquels sont venus s’ajouter 13 milliards de reprises de dette des hôpitaux (loi « Ma santé 2022 ») et 92 milliards d’euros de déficits futurs anticipés en raison de la crise sanitaire.

Le remboursement pèsera à 80 % sur les revenus d’activité et les revenus de remplacements (CRDS, fraction de CSG, retraites, allocations-chômage, etc.) et 20 % sur les revenus du capital. Les prélèvements pour partie imposables – c’est la double peine – seront donc prolongés alors que l’État peut emprunter à taux négatifs sur les marchés. Le « quoi qu’il en coûte » s’avère très coûteux pour le contribuable et très juteux pour les investisseurs privés.

Les fondamentalistes du marché

Tout cela est tragiquement banal au point que certains économistes anticipent le futur plan de rigueur et demande l’annulation de la dette, non pas que cela change la donne en termes de financement par la BCE (annuler la dette ou la faire rouler revient au même), mais cela priverait les libéraux de leur argument d’autorité : « Le ratio dette publique/PIB est insoutenable » et de leur mantra : « Il faut rembourser la dette ». Nous sommes très loin du nouveau monde. Si la BCE a monétisé la dette publique, Macron a, quant à lui, totalement démonétisé la parole politique.

En attendant la fin du plan de relance, Marc Guyot et Radu Vranceanun, professeurs à l’Essec, nous donnent un aperçu assez convaincant des futurs éléments de langage du gouvernement : « Pour stabiliser la dette du Covid-19 et revenir à l’équilibre budgétaire, il faudra complètement revoir la nature, le montant et l’efficacité des dépenses publiques et probablement augmenter les impôts »6 – ce dont on suppose que les plus riches pourraient être dispensés. Et ces économistes mainstream de préconiser tout naturellement que « les systèmes de retraites devront également être repensés dans le sens de l’efficacité pour en assurer la pérennité ». La suite de leur propos est édifiante. « L’administration publique devra impérativement devenir plus efficace et plus focalisée sur sa mission, de nombreuses fonctions pouvant être transférées vers le secteur privé. L’urgence budgétaire doit sonner le glas des vaches sacrées et aucun aspect de la dépense publique ne doit échapper à une sérieuse remise en question en termes d’organisation et d’efficacité. Toutes les cartouches ont déjà été tirées, il n’y a plus d’alternative à la remise en cause. »

La vigilance des experts est à toute épreuve. Surtout, serrez-vous la ceinture, nos investisseurs privés pourraient voir dans les dépenses sociales de l’État un critère d’inflation déraisonnable. On en vient à penser que le passage de certains chercheurs à 84 % du Smic serait bénéfique aux sciences économiques !

Cet article de notre camarade Frédéric Lutaud est paru dans le dossier ("le déni élevé au rang de politique") du numéro de mars 2021 de Démocratie&Socialisme, la revue de la Gauche démocratique et sociale (GDS).

1.Agnès Bénassy-Quéré, « Quoiqu’il en coûte, c’est combien ? », 23 février 2021, www.tresor.economie.gouv.fr.

2.Coauteur du rapport « Les corona-profiteurs du CAC 40 », avec l’Observatoire des multinationales.

3.« Un plan de relance sans relance… ni contreparties ! », 4 septembre 2020.

4.Établissement public de coopération intercommunale.

5.Caisse d’amortissement de la dette sociale, créée en 1996 suite au Plan Juppé.

6.Marc Guyot et Radu Vranceanu, « Attention, l’inflation est en vue, et l’atterrissage sera difficile », L’Opinion, 8 février 2021.

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