GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

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Mal travail : on ne respire plus !

Dans le cadre des échanges que nous menons avec Picardie debout !, la formation politique lancée par notre ami François Ruffin dispose d’une carte blanche mensuelle dans nos colonnes. Ce mois-ci, Guillaume Ancelet présente un petit ouvrage fort instructif : "Mal travail, le choix des élites" aux éditions Les liens qui libèrent (224 pages, 15 euros).

Des mobilisations de 2022 contre la réforme des retraites, nous avons retenu, au-delà de l’espoir d’une classe laborieuse qui se dresse pour refuser de travailler deux ans de plus, des témoignages d’hommes et de femmes qui aiment leur travail, mais pas la manière dont on le leur fait faire. François Ruffin s’est alors saisi à l’automne dernier de la possibilité d’une mission parlementaire sur le mal-travail. Il en a tiré un livre : Mal travail, le choix des élites.

De la brasse à l’apnée

Le cariste qui passe de 100 à 350 colis à l’heure en répondant à une commande vocale dans un casque, l’auxiliaire de vie qui badge avec son téléphone portable à l’entrée et à la sortie du domicile des personnes âgées dont elle prend soin, l’ouvrier de l’industrie dont les outils pendent au-dessus de son poste de travail, toutes et tous constatent l’augmentation des cadences, le management agressif, le manque de temps, la casse des collectifs de travail, etc.

« On ne respire plus ! ». Là où le travail était vécu comme une sorte de « brasse coulée », alternance d’une tâche, d’une respiration, une tâche, une respiration, on glisse aujourd’hui vers un travail en apnée où les salariés enchaînent les tâches, les tâches, les tâches, avec l’impression de se noyer. Avec pour conséquences concrètes, graves, quasi invisibilisées, les 100 000 personnes qui sortent de l’emploi chaque année pour inaptitude.

Rincés, lessivés physiquement mais aussi psychiquement, par l’augmentation des contraintes liées à leur travail. Contre l’intuition que le progrès aurait allégé le travail par 40 ans de robotique, informatique, électronique, on constate au contraire un triplement du nombre de salariés exposés à une triple contrainte physique (porter des charges lourdes, se baisser régulièrement, faire des kilomètres dans une journée) et une multiplication par six de la triple contrainte psychique (faire plusieurs choses en même temps, remplir x tâches dans l’heure…).

Encore la loi de la valeur

Comment en est-on arrivé là ? Par des choix politiques. Parce que nos élites, nos dirigeants considèrent le travail comme un coût à diminuer plutôt qu’un atout. Le mal travail est un choix, la main-d’œuvre une espèce de matière première qu’on peut user et jeter. Ce qu’ils valorisent par les mots, en ayant la valeur travail sans cesse à la bouche, ils l’écrasent dans les faits.

Le mal travail se matérialise par plusieurs points. Des salaires trop bas pour vivre dignement de son emploi, des délocalisations qui vont chercher le mal travail à l’autre bout du monde, la sous-traitance à outrance où les entreprises externalisent une série de tâches et enfin, la précarité de statut en développant l’auto-entreprenariat qui oblige à enchaîner des bouts de boulot pour faire un salaire complet.

Ils cherchent à ne rémunérer que le travail productif, quantifiable, et à éliminer du temps de travail toutes les tâches non productives. Pourquoi ? Pour qui ? Pour les dividendes, bien sûr ! Alors que tous les chiffres sur le travail se dégradent depuis quarante ans, celui des dividendes explose dans l’autre sens, comme des vases communicants.

Une fenêtre de tir pour la gauche

Ce n’est pas une fatalité ! Pour sortir de cette spirale, des pistes concrètes sont à notre portée, par des décisions législatives rapides. Augmenter le nombre d’inspecteurs du travail, de médecins du travail, par le retour des CHSCT bien sûr mais surtout en augmentant la démocratie dans les entreprises, par le haut, en introduisant 30 % de salariés dans les Conseils d’administration ; par le bas, en donnant du temps aux salariés, sans les managers, une demi-journée par mois par exemple, pour parler de leur travail et de ses conditions d’exercice. Si le partage des richesses est une nécessité, le partage du pouvoir sur les lieux de travail l’est tout autant.

Le contexte y est favorable. Le choc climatique nécessite beaucoup de travail pour transformer industrie, transports, logement etc., donc beaucoup de salariés, fiers de leur travail, fiers de contribuer à la mission globale d’améliorer l’habitabilité de la planète.

Un choc démocratique aussi, car le ressentiment dans l’entreprise, quand on se sent écrasé, humilié, rejaillit dans la société en un ressentiment public par le vote Rassemblement national. Pourtant, le RN est nul sur les questions de travail, absent, fantôme. Ce qui laisse un boulevard à gauche pour affirmer, ensemble, que les habitants de notre pays doivent pouvoir vivre de leur travail, bien en vivre, mais aussi bien le vivre, y respirer à nouveau. C’est vital !

Cette tribune de Guillaume Ancelet, président de Picardie Debout !, est à retrouver dans le numéro 313 (mars 24) de démocratie&Socialisme, la revue de la Gauche démocratique et sociale (GDS).

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