L’Odyssée d’Hakim : un témoignage plein d’humanité
Quelques temps après la séquence que nous venons de vivre autour de la loi Asile et immigration, j’ai eu envie de ressortir le roman graphique L’Odyssée d’Hakim, signé par l’auteur de BD Fabien Toulmé. Et ça m’a fait un bien fou.
Fabien Toulmé a choisi de jouer le journaliste reporter et de recueillir le témoignage d’Hakim, après avoir comparé le traitement journalistique de deux informations à la télévision : le crash d’un avion qui tournait en boucle sur les chaînes télé et la mort de 400 personnes en Méditerranée, évoquée en une seule phrase.
Une odyssée documentée
Le Larousse définit une « odyssée » comme « un voyage mouvementé, semé d’incidents variés, d’aventures », une façon romanesque de désigner l’histoire vraie de la vie d’Hakim qui, au fil des trois tomes, passe de la Syrie à la Turquie, puis à la Grèce et arrive enfin en France, trois ans après avoir quitté son pays d’origine. Alors que le Printemps arabe s’étend en Syrie en 2011, Hakim mène une vie heureuse, il veut être jardinier. Puis arrivent les répressions envers les manifestants, la peur, l’enfermement, la torture, et la nécessité de quitter son pays lorsqu’il ne se sent plus en sécurité. Un éloignement qu’il pense d’abord temporaire et qui dure finalement toute une vie.
Fabien Toulmé ne fait aucune concession sur le dureté de l’exil, l’incertitude, l’angoisse, la méfiance, les dangers de « l’odyssée ». Tout est extrêmement documenté : les camps de réfugiés, la traversée en pleine mer sur un canot, les passeurs…
Touché au cœur
Au cours de son périple, Hakim rencontre Najmeh qui deviendra sa femme, avec laquelle il aura un bébé. Elle réussit à rejoindre la France par une procédure de rapprochement familial, pas Hakim ni leur bébé. Fabien Toulmé, transcripteur du témoignage d’Hakim, réussit dans un récit intense, plein d’humanité, avec un dessin simple, à nous faire comprendre pourquoi des gens choisissent de s’exiler, au péril de leur vie, comment la vie d’une personne peut aussi vite basculer. Hakim le dit avec ses mots : « Jamais je n’aurais imaginé que ça m’arriverait, et je me rends compte que n’importe qui peut devenir un “réfugié”… Il suffit que ton pays s’écroule. Soit tu t’écroules avec, soit tu pars ».
Ces dernières mois, les débats et prises de position nauséabondes sur la loi Asile et immigration, le jeu dangereux du président Macron avec les institutions françaises donnent à penser que les personnes migrantes sont vues comme un tout, une masse de personnes à qui l’on retire toute individualité, toute histoire personnelle. L’Odyssée d’Hakim nous montre le contraire à travers ce témoignage. On s’attache à Hakim, on ressent ses difficultés, ses découragements, sa combativité aussi. En bon jardinier, Hakim use d’une métaphore botanique : « Finalement, nous, les exilés, on est peut-être un peu comme les plantes. Quand on les déracine et qu’on les met dans un pot, elles continuent de pousser, mais avec moins de force et d’envie ». On est touché au cœur et on ne souhaite qu’une chose : que toutes les personnes qui ont défendu cette loi comprennent enfin qu’il s’agit de vies humaines, qu’on ne choisit pas de fuir son pays et prendre autant de risque par confort.
Un récit bouleversant !
Cet article de notre camarade Nadège Boisramé a été publié dans le numéro 312 (février 24) de Démocratie&Socialisme, la revue de la Gauche démocratique et sociale (GDS).
Fabien Toulmé, L’Odyssée d’Hakim, Éditions Delcourt, 2018
Trois volumes :
1. De la Syrie à la Turquie ;
2. De la Turquie à la Grèce ;
3. De la Macédoine à la France