Pas sur les mêmes listes, mais dans le même bateau ! Débattons-en au forum Europe le 4 mai
Cet article daté du 7 avril de notre camarade Gérard Filoche aborde les enjeux de la situation actuelle marquée par la division à gauche en vue des européennes. C'est aussi un appel à débattre au forum Europe du 4 mai, il pointe aussi la responsabilité particulière des "unionistes" de tous les partis.
Que retiendra-t-on de cette élection européenne 2024, sinon la division de la gauche ? Les sondages sont certes toujours à prendre avec des pincettes, mais les faits son têtus : en moyenne, les enquêtes successives – 80 sondages étalés sur sept mois et effectués par douze instituts différents – donnent autour de 37 % des voix au total à l’extrême droite (31 % au RN et 6 à Reconquête) et placent quatre listes de gauche entre 3 et 12 %… Quant à celle que vient de lancer Pierre Larrouturou, elle rejoint, avec LO et le NPA, le club des listes plafonnant autour de 1 %.
Comme peau de chagrin
Le PCF autour de 3 % serait éliminé, Écologistes et LFI sont entre 7 et 8,5 %, le PS dans une fourchette de 11 à 13 %… Le total des voix de gauche serait autour de 30 %.
Qu’en est-il des rêves des écologistes qui se disaient les mieux placés ? Si Marie Toussaint avait accepté la tête de liste ce serait le cas, et la liste unie de gauche aurait pu bénéficier d’une dynamique capable de la mettre en tête vers 35 %, ce qui aurait créé tellement d’espoir pour 2026 et 2027… À quoi sert la « triangulation » politique de Fabien Roussel et Louis Desfontaines pour finir autour de 3 % ? À quoi sert de prétendre maladroitement qu’il s’agit d’une « pré-présidentielle » ou du remake du combat contre la trahison de Hollande, si Glucksmann, mis en avant par les socialistes anti-NUPES et nostalgiques du hollandisme, se retrouve en tête des intentions de vote à gauche ?
On a l’impression d’un immense gâchis, de la « gauche la plus bête du monde ». Et certains se réjouissent déjà du retour de la « théorie » des deux gauches « irréconciliables », dont la mise en pratique scrupuleuse nous mènerait inévitablement au désastre en 2027. À ce compte-là, il est minuit moins dix avant Le Pen-Bardella.
Cinq listes, mais des thèmes communs
C’est pourquoi il ne faut pas attendre les résultats du 9 juin pour anticiper la suite des événements. En fait, la gauche avait et a des positions communes sur l’Europe, sur les questions internationales comme sur les questions sociales. Le Programme partagé de la NUPES en était la preuve : c’est un programme discuté et corédigé en 13 jours et 13 nuits, en avril 2022, une extraordinaire base d’unité d’action, détaillé en 650 mesures révolutionnaires (1 600, 60, 32, 20, 5… 50 et VIe République), dont un chapitre commun sur l’Europe. C’est quand même une situation exceptionnelle : par le passé, il se disait « La gauche ne peut pas s’unir, elle a trop de différences », mais là, on a un programme partagé et… il n’y a pas d’union non plus ! C’est proprement scandaleux !
À la GDS, nous avons eu raison de batailler longuement pour une pétition de masse en faveur d’une liste commune : celle lancée par 24 maires incarnant toutes les nuances de la gauche a recueilli 12 000 signatures, alors qu’elle aurait pu en avoir des centaines de milliers, si tous les responsables s’y étaient mis.
Sur l’Ukraine, toute la gauche est contre la guerre d’agression de Poutine, toute la gauche est pour l’aide militaire ; toute la gauche est pour le droit à l’indépendance de l’Ukraine. Au Proche-Orient, toute la gauche, depuis le 8 octobre, est pour le cessez-le-feu immédiat à Gaza, la libération des otages et pour une solution politique à deux États.
Sur l’Europe, toute la gauche est contre l’Europe libérale dont se sert Macron pour imposer l’austérité, l’assèchement des protections sociales afin de rembourser une dette indigne à la finance. Toute la gauche est contre une politique qui vise à équilibrer les finances, en cognant sur les chômeurs, contre le libre choix de son travail, sur l’école, sur la santé, et contre les services publics. On aurait pu faire, toutes et tous ensemble, une campagne convaincante contre les centaines de milliards de fraude fiscale, pour une politique fiscale visant davantage riches et grosses entreprises, pour taxer massivement les dividendes et les superprofits, pour répartir autrement les immenses richesses produites sur le continent.
Sur le travail, on aurait pu faire reconnaître le salariat comme l’acteur principal et essentiel de la production de toutes les richesses, et œuvrer pour que ces dernières soient redistribuées socialement, démocratiquement, écologiquement dans l’intérêt des Européennes et des Européens, mais aussi de la planète. La lutte contre l’armement et contre la guerre, pour la défense des droits humains – à commencer par ceux des migrantes et des migrants –, pour les revendications féministes : toute la gauche est favorable à ces combats ô combien légitimes, et il y aurait moyen de les faire entendre tellement mieux si on était unis.
Il y avait des occasions en or pour dénoncer, avec toute la puissance d’une voix unitaire, les mauvais choix anti-européens de Macron, notamment quand il fait jouer le droit de veto de la France au Conseil de l’Europe en faveur d’Uber et du refus de la présomption de salariat. Cela concerne 40 millions de travailleurs des plateformes en UE. C’était l’occasion rêvée de combattre le libertarianisme des apôtres de la Start-up nation, et de défendre les droits du travail, de l’apprentissage à la retraite. On pouvait donner un sens au refus du « dumping social », en expliquant comment parvenir à l’objectif d’un « Smic européen » en parité de pouvoir d’achat. On pouvait défendre la semaine de quatre jours en 32 h. On pouvait défendre le repos quotidien de 11 h bafoué par le macronisme. On pouvait isoler Macron qui a empêché d’appliquer la directive européenne qui refuse de sanctionner les salariés malades en leur enlevant leurs congés payés (5e semaine incluse). On pouvait isoler Macron quand il rejette ce qui est mieux en Europe qu’en France, par exemple dans l’organisation humaine des prisons, le respect des délais de justice, ou encore le contrôle des multinationales.
La bataille pour une Europe écologique pouvait se mener avec la force d’une coalition de toute la gauche, par exemple en faveur d’un système de transports collectifs sur tout le continent et tendant vers la gratuité. On pourrait se prononcer également contre les « super camions » de 60 tonnes, et pour le fret ferroviaire. Ces thèmes mobilisateurs auraient pu être mis en avant comme des temps forts de campagne, avec des chiffres évocateurs et des arguments forts.
La bataille pour la défense de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire, contre les traités de libre-échange liquidateurs, pour les prix planchers et l’encadrement des marges, contre les pesticides, pour les droits des mains-d’œuvre saisonnières, aurait eu un tout autre visage, si elle avait été menée de façon unitaire au cours de la mobilisation des petits agriculteurs.
Il aurait été possible de parler d’une seule voix, contre la tragédie de la mort par dizaines de milliers des immigrés en Méditerranée, contre la chasse aux migrants, pour une politique d’accueil digne et partagée, l’égalité des droits humains, pour la suppression du statut dégradant des « travailleurs détachés ».
Unionistes de tous les partis, démenez-vous !
Ce qui est dit et fait en commun avant le 9 juin sera, n’en doutons pas, utile après le 9 juin. Il ne faut pas baisser les bras, jamais, face à la division. Non seulement elle n’est pas fatale, mais elle heurte 85 % de l’électorat qui est pour l’union. Sans doute beaucoup d’abstentions viendront de la division entre ces listes qui ont un même programme et qui pourtant polémiquent de façon cruelle et inutile.
Parce que les « pactes de non-agression » n’ont aucun sens. Dès qu’il y a listes différentes, elles sont en concurrence et elles aggravent leurs divergences de façon excessive, déraisonnable, et c’est ce qui se produit hélas actuellement. Sur les réseaux sociaux, des partisans sectaires de tous bords s’acharnent quotidiennement à briser l’espoir de l’union, croyant grapiller des voix, alors qu’ils découragent, pour le 9 juin… et pour après !
C’est pourquoi nous avons observé avec intérêt, le 6 avril, le séminaire national des « verts unitaires », réunissant Éric Piolle, Karima Delli, Sandrine Rousseau, Philippe Brun, Benjamin Lucas, Raymonde Poncet, Patrice Leclerc, Aurélie Trouvé… Le thème central de cette réunion bienvenue était « Comment construire l’union après les européennes ? ».
Nous avons observé avec le même intérêt les efforts de Clémentine Autain pour rassembler celles et ceux qui sont les plus convaincus que, sans candidat unioniste en 2027, il sera impossible de gagner. Nous constatons avec joie que les efforts d’Alexis Corbière, de Raquel Garrido, de Danielle Simonet, vont dans le même sens. Et si François Ruffin, qui fait un travail remarquable sur les idées, réussit à son tour à agir collectivement, cela influencera toute la gauche et redonnera moyen de corriger la désastreuse situation que nous aurons vécue avant le 9 juin.
C’est pourquoi nous nous sommes réjouis que nos camarades d’Ensemble!, de Nouvelle Donne et de Pour une Écologie populaire et sociale (PEPS) aient accepté une initiative exceptionnelle, initiée au sein du CLIO (Comité de liaison et d’initiative ouvert), pour un forum commun sur l’Europe, le 4 mai. Il s’agit non pas d’opposer les listes de gauche mais au contraire, « hors-compétition », de dire ce qu’elles ont en commun.