Palestine : sur l'absence (voulue) d'interlocuteurs
Les Juifs forment-ils un peuple ? À
cette question ancienne, Shlomo
Sand, historien israélien, répond
que, contrairement à l’idée reçue, la
dispora ne naquit pas de l’expulsion
(mythique) des Hébreux de Palestine,
mais de conversions successives en
Afrique du Nord, en Europe du Sud et au
Proche-Orient. (1) Voilà qui ébranle un
des fondements de la pensée sioniste,
celui qui voudrait que les Juifs soient les
descendants du royaume de David, et non
les héritiers de guerriers berbères ou de cavaliers khazars.
Mais politiquement, pourquoi ne pas focaliser notre attention sur les
dirigeants sionistes de l’État d’Israël, et ne pas voir en eux les descendants
lointains des anciens Grecs de Sicile ? À l’appui de cette assertion,
rappelons une anecdote sur la vie de Denis, tyran de Syracuse,
auquel on demandait conseil sur la meilleure façon de régner sans partage.
Pour toute réponse, il coupa la tête d’un épi plus haut que les
autres dans le champ où il se trouvait en compagnie de son visiteur : il
fallait que rien ne dépasse. Quittons la métaphore, et comprenons là
comme l’élimination préventive de toute direction politique potentielle
des adversaires du pouvoir en place.
Assassinats ciblés
Les dirigeants israéliens excellent dans cet exercice dont ils ont fait
une politique systématique, directement ou par forces interposées,
quelle que soit la couleur politique de la menace pressentie. Dans leur
vocabulaire, ils appellent cela des « assassinats ciblés ». Leur liste
serait longue à établir, mais quelques rappels permettent de prendre la
mesure de l’ampleur de l’entreprise ainsi que de ses conséquences.
Continuité : Dans une interview à la BBC réalisée en 1993, Aharon
Yariv, ancien chef des renseignements militaires israéliens, a ainsi
déclaré « qu’il avait reçu des ordres directs du premier ministre de
l’époque, Golda Meir (1969-74), pour assassiner des chefs de la résistance
palestinienne partout où ils se trouvaient »(2). Tous les mouvements
de résistance, qu’ils soient laïques ou religieux, ont ainsi payé
(et continuent de payer) un lourd tribu aux colonisateurs : Ghassan
Kanafani, Abu Ali Mustafa (FPLP), Mohamed Bodia, Thabet Thabet
(Fatah), Mahmoud Al-Hamshari, Abu Hassan Salama (Force 17), Fathi
Al-Sheqaqi (Jihad islamique), Salah Shehada, Ismail Abu Shanab
(Hamas), parmi tant d’autres.
Tous les moyens possibles sont utilisés : commandos, téléphones ou
véhicules piégés, missiles ; et tant pis pour les femmes et enfants qui
ont le malheur de se trouver près de la victime visée au moment de la
frappe. Les assassinats dits ciblés font bel et bien partie de la grammaire
guerrière israélienne.
Isolement et emprisonnements
Le long confinement de Yasser Arafat (de décembre 2001 à octobre
2004) à Ramallah est encore dans toutes les mémoires. Cet emprisonnement
aussi symbolique que réel ne saurait être l’arbre qui cache la
forêt : des milliers d’emprisonnements bien réels, consistant en grande
partie en otages (au sens propre du terme, à différencier donc de prisonniers
de guerre) civils, mais aussi en dirigeants politiques, à la fois
connus et reconnus. Et s’il faut rappeler l’arrestation et la détention
sans jugement des 45 députés régulièrement élus du Hamas, les laïques
ne sont pas épargnés, comme, pour n’en citer que deux, Marwan
Barghouti (Fatah) ou Ahmed Saadat (FPLP). Comme par hasard, il
s’agit de dirigeants de poids, voire, en ce qui concerne Barghouti, du
représentant d’une possible alternative à un Mahmoud Abbas bien discrédité.
Régulièrement décapitées, les organisations palestiniennes en
sont donc réduites à voir se succéder de nouveaux dirigeants, forcément
moins expérimentés, et sans doute plus enclins à céder aux provocations.
Comment ne pas voir là le résultat d’une politique délibérée,
celle-là même qui permet ensuite au gouvernement israélien de prétexter
l’absence de tout interlocuteur pour éviter ou repousser sine die
toute négociation sérieuse ?
Après Gaza
Si l’objectif des dirigeants israéliens avait été la destruction du Hamas,
ils auraient publiquement reconnu leur échec en entamant des négociations – fussent-elles indirectes, comme c’est effectivement le cas – avec ses représentants. Mais tel ne devait pas être le fond de leurs
intentions, qui demeure inchangé : refuser toute vraie négociation et
poursuivre la colonisation, en provoquant puis en attisant la division
des Palestiniens.
Ils oublient qu’il leur est impossible d’éradiquer tout un peuple ; même
en poursuivant à outrance une politique d’élimination de toute élite
palestinienne, fût-elle potentielle : restriction des possibilités d’études
pour les étudiants, prises pour cibles, comme lors de l’agression de
Gaza, d’écoles dans lesquelles se sont réfugiés des enfants, élites de
demain.
Ils sont tellement imbus de leur supériorité militaire qu’ils ne se sont
même pas rendus compte qu’ils détruisaient psychologiquement leur
propre société en tant que corps susceptible de s’intégrer dans un
Proche-Orient en paix. Après l’assassinat de Rabin, après la défaite
d’une gauche qui s’est suicidée à force de mener une politique de droite
(notamment sur la question de la colonisation), que peuvent-ils
encore répondre à ceux qui disent à Israël : « Nous n’avons plus de partenaire
! » (3)
La dernière étude de la CIA prévoit que sous sa forme actuelle, l’existence
de l’État d’Israël pourrait ne pas excéder les vingt prochaines
années : Le rapport prédit “un mouvement inexorable d’une solution de
Deux à Un État, comme modèle le plus viable fondé sur des principes
démocratiques de pleine égalité qui éliminerait le spectre menaçant de
l’apartheid colonial et permettrait le retour des réfugiés de 1947/1948
et de 1967. Ce modèle est la condition préalable à la paix dans la
région.” (4)
Les Grecs de Sicile se sont finalement intégrés à Rome.
Philippe Lewandowski
(1): Shlomo Sand : Comment le peuple juif fut inventé.- Paris : Fayard, 2008. (retour)
(2): Yasser Al Banna : Un demi-siècle d’assassinats israéliens, article du
22/08/2003.- site de l’International Solidarity Movement.
org/news/, consulté le 11 février 2009. (retour)
(3): Leila Shahid : Nous n’avons plus de partenaire, Info-Palestine consulté le
22/02/2009. (retour)
(4): Cité par Franklin Lamb : La peur de la solution à un État : Pérès sert
ses arguments bidon à Washington, site de l’ISM, consulté le 22/02/2009. (retour)