À propos de la démocratie participative
La démocratie participative donne souvent des résultats décevants pour les citoyens
comme pour les élus. Peut-être parce qu’elle s’efforce de rechercher à tout prix d’illusoires
consensus alors qu’elle doit aussi permettre aux divergences de s’exprimer.
Comment vivre ensemble sans étouffer les débats de fond ? Cet article de notre camarade
Catherine Touchefeu est paru dans la revue « Place Publique » n°14 (Nantes-Saint-
Nazaire la revue urbaine)
L’exigence de proximité et de concertation s’exprimerégulièrement : qu’une décision soit remise en cause
par tout ou partie de la population et le premier argument
mis en avant est le manque ou l’absence de concertation.
Les articles, les rencontres sur le thème de la
démocratie « locale, » « de proximité » « participative » se
multiplient. De très nombreuses collectivités locales s’essayent
à l’exercice.
Dans le même temps une méfiance importante s’exprime
vis-à-vis de toutes les structures mises en place quelles que
soient leurs formes. Les collectivités sont suspectées de se
livrer à une concertation en trompe-l’oeil, les associations ne
sont pas considérées comme représentatives, les syndicats de
salariés sont souvent oubliés de ces structures, les habitants
seraient obnubilés par leur égoïsme individuel plus que par
leur rôle de citoyen soucieux de la vie collective. Chacun
peut fournir des exemples concrets à l’appui de ces affirmations.
Pourquoi donc, derrière un vocable que tout le monde utilise,
derrière un discours général souvent emphatique, trouve t-
on si peu de satisfaction ? Ne serait-ce pas parce que cette
question est souvent abordée de manière très consensuelle en
occultant trop souvent la question des forces qui pèsent dans
les décisions publiques, la question des moyens et des
niveaux qu’individus et groupes sociaux utilisent pour se
faire entendre ? Si l’on pense que derrière la revendication
de la démocratie participative, avec ses maladresses et ses
illusions, il y a une aspiration forte à l’égalité, à ce que chacun
puisse peser dans la vie publique, comment faire pour
avancer concrètement, pour mettre en place des évolutions
dans la prise de décision publique qui représentent un véritable
progrès et non un rideau de fumée qui occulterait les
vrais lieux de pouvoir ? De quel fil conducteur les collectivités
et les citoyens peuvent-ils se doter pour éviter la démagogie,
et l’auto-affirmation de la représentativité de quelques
spécialistes de la concertation ?
Des démarches ouvertes à tous
Il n’y a pas de démocratie sans égalité. Reconnaître ce pouvoir
du peuple, c’est considérer que tout le monde a le droit
à la parole. Les démarches de démocratie participative
devraient donc, me semble-t-il, être ouvertes à tous les habitants.
Bien sûr, n’entretenons pas l’illusion que tous y participeront,
mais chacun doit sentir qu’il a sa place dans ces
dispositifs, et qu’à tout moment ils lui sont ouverts. C’est
d’autant plus important que les gens se sentent sans doute
moins représentés aujourd’hui, à tort ou à raison, par les
associations, syndicats ou partis.
C’est pourquoi les différents dispositifs « fermés », qu’ils le
soient par tirage au sort ou par choix des participants, s’ils
peuvent être utiles pour éclairer et améliorer la décision
publique par d’autres points de vue que celui des techniciens,
ne peuvent être qualifiés d’exercice démocratique. En
quoi un habitant tiré au sort est-il qualifié pour représenter le
point de vue des habitants, considéré alors comme un corps
homogène ayant le même type de positionnement ? N’est-ce
pas là au contraire une façon de priver des citoyens de la possibilité
d’agir collectivement pour leurs idées ? Le panel
d’habitants, les individus ou associations désignés par l’organisateur
de la concertation sur des critères sociologiques,
politiques ou par le tirage au sort, ne risquent-t-ils pas, s’ils
sont considérés comme l’expression des habitants, de marginaliser
la volonté consciente et agissante des citoyens ? («les
habitants ont été consultés et ils ont décidé » !) ? N’est-ce
pas la négation même de l’action politique, moteur pourtant
de toute démarche démocratique ?
Ouvrir les dispositifs de démocratie locale à tous est une
chose. Réussir à y faire participer des citoyens en nombre en
est une autre. Car, sauf à de rares exceptions, il est rare de
mobiliser une majorité d’habitants sur la durée. Tous les
militants, quelle que soit leur structure associative, syndicale
ou partidaire, le savent bien.
Démocratie participative
non représentative?
Un homme, une femme, une voix c’est, malgré les limites
entre l’égalité réelle et l’égalité formelle, ce que l’on fait de
mieux en termes de dispositif de base d’un système démocratique.
Pour autant, le vote de tous sur tous les sujets est
impossible. Dans la vie politique, dans les institutions ou
dans l’organisation d’une lutte sociale, il y a toujours une
forme de représentation, de délégation de pouvoir faite à
quelques-uns. Les élus sont responsables des décisions qu’ils
prennent et doivent en rendre compte. Ils sont susceptibles
d’être sanctionnés lors des élections suivantes.
Il n’en va pas de même dans les différentes instances de
«démocratie participative » telles qu’elles existent actuellement
pour les personnes qui participent individuellement ou
au nom d’une association et qui ne sont responsables que
devant elles-mêmes ou devant l’association qu’elles représentent.
Les instances de participation aujourd’hui ne reposent
pas sur une expression majoritaire ni sur un vote
organisé de telle sorte que tous les habitants concernés aient
les moyens d’y participer ; ils s’appuient sur l’implication
(indispensable au bon fonctionnement de la cité) de quelques
citoyens. Reconnaître ces limites ne dévalorise en rien la
démarche de ceux qui s’y engagent mais devrait permettre
d’éviter les propos totalisants du genre : « les habitants ont
décidé » ou, à l’inverse : « comme toujours les habitants
n’ont pas été écoutés, entendus… ».
L’appel aux experts
La démocratie participative fait surtout appel à une
démarche de consensus : quel accord, quel équilibre trouver
pour la mise en place de tel projet urbain ? Cela amène, trop
souvent, certains tenants de la démocratie participative à
appeler de leurs voeux des « experts », des organisateurs
«neutres » de la concertation, comme si cette neutralité existait
vraiment ! La parole d’un expert peut toujours être
contredite par un autre expert. Chacun construit sa pensée à
partir de convictions quelle que soit sa volonté d’apparaître
le plus neutre possible. Les organisateurs d’une concertation
ont souvent eux-mêmes un point de vue sur l’objet de la discussion
; ils ont de fait une façon d’organiser le débat, de
reformuler, de mettre en valeur une pensée qui traduit une
certaine conception du débat et des forces en présence. En
dernière instance, même s’il s’agit de salariés qui peuvent se
revendiquer d’un certain professionnalisme dans l’organisation
de la discussion, ils sont forcément dépendants de celui
qui les paye pour organiser cette concertation.
Au lieu d’occulter ces réalités, l’enjeu démocratique me
semble au contraire d’expliciter la place de chacun, les rapports
de pouvoir, d’expliquer qui parle et d’où il parle qu’il
s’agisse des élus, des techniciens ou des habitants.
Les études sur la démocratie participative opposent souvent,
ou essayent de démêler, ce qui serait de l’ordre de la démocratie
octroyée (par les collectivités qui appellent le citoyen
à participer) et ce qui relèverait de la démocratie obtenue par
les citoyens. La présidence du comité de quartier par un
habitant ou par un élu fait l’objet de nombreuses discussions
et serait sensée manifester l’importance donnée aux habitants
dans ces comités. Un habitant choisi par qui ? Sur quelle
base ? N’est-ce pas plutôt, une manière de brouiller les
cartes ?
On ne peut demander à une collectivité locale d’organiser
l’expression autonome des habitants. On ne peut pas considérer
les habitants comme un tout homogène possédant les
mêmes intérêts. Des citoyens peuvent s’organiser dans des
comités de quartier, dans des associations ou des syndicats.
Ils peuvent former des regroupements ponctuels autour d’un
objectif, et chercher ainsi à faire valoir leur point de vue.
Une société mobilisée, auto-organisée aurions-nous dit il y a
quelques années, c’est bien évidemment souhaitable. Une
collectivité peut (et doit) organiser la relation entre elle et les
différentes expressions des citoyens de la ville. Chacune de
ces démarches est utile à la connaissance des enjeux de la
construction du vivre ensemble sur un territoire.
Mais on ne peut pas reprocher à l’une de ne pas être l’autre.
Ce n’est pas le rôle d’une collectivité publique d’auto-organiser
les citoyens. Elle peut faciliter ce type d’expression
citoyenne (aide aux associations, locaux mis à disposition...),
mais ce n’est pas à la collectivité de l’organiser au
risque de la manipuler !
Apports et limites de la proximité
La démocratie participative est souvent pensée comme
démocratie de proximité : on discute de l’aménagement du
cadre de vie, on cherche à rapprocher les élus, les techniciens
des « administrés » On oublie parfois un peu vite que
la proximité peut aussi faciliter les baronnies et les relations
de dépendance (le «bon maître» était très proche !).
Cependant elle répond aussi à une aspiration : retrouver une
prise sur son environnement proche au moment même où
l’on a l’impression d’évoluer dans un univers insécurisant
menacé par les secousses de la mondialisation libérale.
Il est vrai que la discussion d’un projet d’équipement de
quartier, d’un aménagement de rue, permet à de nombreuses
personnes peu habituées aux réunions de s’exprimer à partir
de ce qu’elles vivent au quotidien, permet de se connaître et
de se parler plus facilement. Dans ce type de réunion, reviennent
régulièrement des questions individuelles, des sujets
réputés peu exaltants comme le stationnement, la vitesse de
la circulation, les crottes de chiens. Certains sont tentés de
s’en moquer et de balayer ces questions d’un revers de main.
Et pourtant elles reviennent avec une telle constance qu’elles
correspondent bien à une réalité. Qui n’a pas pesté devant
une voiture stationnée sur un trottoir entravant la circulation
des piétons, ou après avoir, pour la énième fois, nettoyé les
chaussures du petit qui s’est étalé dans une crotte de chien ?
Il est donc utile de les prendre en compte.
Mais comment faire alors pour dépasser la seule lamentation
sur l’incivisme de quelques-uns, nouveaux boucs émissaires
qui permettent d’éviter de s’interroger sur son propre comportement
? Comment échapper à l’appel incantatoire à un
changement de comportement des gens ou à un contrôle
policier plus important? Ces questions sont légitimes et il
n’y pas de honte à les poser. Elles doivent être traitées mais
en essayant toujours de les resituer dans leur contexte de vie
collective, sociale. Toute question de la vie quotidienne peut
et doit être reliée à une politique publique.
Ainsi, le « manque » de stationnement ne peut pas se réfléchir
uniquement au niveau d’une rue mais doit s’intégrer
dans une réflexion sur une politique de déplacement à
l’échelle de la ville, de la communauté urbaine, sur la place
de la voiture et des transports publics au niveau local et
national. Cela peut amener à débattre de la question plus globale
de la politique des transports au plan européen et mondial,
de la place que l’on veut donner au secteur public, des
conséquences d’une forme de développement qui malmène
les humains et la planète sur laquelle ils vivent.
N’est-ce pas l’enjeu d’une véritable démarche participative
que de partir des questions que les gens se posent, de les
intégrer à une démarche générale, de mettre en lumière les
enjeux et les alternatives possibles et amener chacun à comprendre
le débat politique et à s’y impliquer ? Il s’agit bien
évidement d’une démarche de longue haleine : tout ne se
joue pas dans une réunion ni même dans les seuls dispositifs
de quartier, mais cela participe de la constitution d’un débat
public, de la formation d’une opinion publique qui doit trouver
les chemins de son expression.
Lieu de décision ou de débat ?
Le quartier ne pourra jamais être le lieu de la décision sur de
nombreux sujets. Le quartier est un des lieux du débat, rarement
celui de la décision. Dans le comité de quartier, on
pourra discuter de l’importance de construire du logement
social et plus particulièrement dans les quartiers qui n’en
n’ont pas. Mais on ne demandera pas aux seuls riverains de
décider si oui ou non il faut un logement social à côté de
chez eux. Quelle ville voulons-nous ? Faut-il laisser se créer
des ghettos de riches ou de pauvres ? Cela concerne bien
tous les habitants de la ville.
Si l’on demande aux riverains de décider de l’existence d’un
terrain pour les gens du voyage près de chez eux, on peut
être sûr qu’il n’y en aura jamais de construit ! Un tel objectif
se décide à une autre échelle que le quartier. Mais la discussion
se fait avec les habitants qui se savent ainsi respectés
et qui sont amenés à se positionner dans le cadre d’un débat
plus général sur la place de chacun dans la cité.
La démocratie participative se trouve à la confluence de la
recherche d’un consensus (permettant le vivre ensemble) et
de l’expression des divergences (indispensable à tout vrai
débat politique). Là est toute la difficulté posée à ceux qui
s’investissent dans des démarches participatives. Comment
ne pas étouffer les vrais débats de fond ? Comment ne pas
laisser croire que des habitants votant à droite et des habitants
votant à gauche peuvent avoir sur tous les sujets
concernant leur quartier un point de vue commun?
Comment le débat dans les comités de quartier peut-il permettre
de mettre au jour et de confronter les différents positionnements
?
Les débats concernant la démocratie et ses formes sont vieux
comme la démocratie. Le modèle athénien n’est en rien un
modèle pour tout démocrate contemporain. La gauche socialiste
a, dès ses origines, débattu de ces questions. Face aux
insuffisances de la démocratie formelle, quelles autres
formes possibles de démocratie ? Le bilan tragique du stalinisme
a permis de réaffirmer l’importance fondamentale du
droit, des libertés fondamentales et de la démocratie formelle.
Cela n’a pas clos le débat. Il a repris de l’actualité ces dernières
années à l’occasion de l’émergence du mouvement
altermondialiste. Au Brésil en particulier, la gauche a cherché,
à travers le budget participatif, à donner plus de poids
sur l’échiquier politique à des forces qui avaient du mal à se
faire entendre.
La participation du plus grand nombre aux débats de la cité
est bien l’objectif que nous devons poursuivre. Aidant à la
formalisation des politiques publiques, offrant la possibilité
à tous d’être informés et acteurs du débat public, les comités
de quartier sont un élément de la vie démocratique. Cela ne
doit pas occulter les différents autres éléments indispensables
à la démocratie : des élections de représentants pour
gérer une collectivité, rendant compte de leur mandat, mais
aussi la vie associative syndicale, politique qui permet l’expression
des oppositions sociales existantes.
Catherine Touchefeu
Catherine Touchefeu est vice-présidente du Conseil
général de Loire-Atlantique et ajointe au maire de
Nantes. Dans le mandat municipal précédent (2001-
2008), elle était adjointe chargée de la démocratie locale
et des relations avec les quartiers.
Elle est également membre du comité de rédaction de la
revue Démocratie et socialisme.