GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Jeunes

On va laisser des gamins sur le carreau

Une camarade de la GDS, par ailleurs enseignante dans le second degré, nous a transmis ses impressions sur la mise en œuvre de la « continuité pédagogique », placée au centre de la communication de son ministère. Après une semaine d’expérience, le bilan est selon elle sans appel (Cet article a été publié dans le numéro de mars de Démocratie&Socialisme, la revue de la Gauche démocratique et sociale).

Le ministre Blanquer assure à qui veut l’entendre que « nous sommes prêts » pour assurer la « continuité pédagogique » (nouvelle expression à la mode), que la plateforme Ma classe virtuelle peut supporter 15 millions de connexions simultanées. Eh oui, l’école sans prof est prête ; là encore, on mise sur la technologie pour remplacer l’humain.

Sauf que ça ne marche pas ! En tout cas, pas pour tout le monde. Les élèves issus de milieux socialement et culturellement favorisés, qui ont à peine besoin des profs pour apprendre, oui, pour eux, ça marche. Ils ont une bonne connexion internet, des appareils numériques en quantité – ce qui permet de travailler, même quand les parents télé-travaillent... Ces derniers peuvent les suivre et comprendre ce qu’ils font, ils apprécient cette autonomie, etc. Mais les autres ?

Fracture numérique

Dans mon collège, il y a beaucoup d’« enfants de Gilets jaunes », si on veut mettre une étiquette facile, de familles « éloignées du numérique » comme on dit, qui n’ont pas d’adresse mail ou qui en ont une, mais ne peuvent s’y connecter que sur le lieu de travail quand le chef donne son autorisation exceptionnelle pour une démarche particulière. Il y en a même qui n’ont ni ordinateur, ni tablette à la maison, ni même un smartphone. Cela représente 10-12 % des familles du collège ; enfin, ceux qui se sont manifestés auprès de l’établissement. Il y en a sûrement plus.

Les parents veulent bien passer chercher les photocopies ou qu’on les envoie par la Poste... Sans compter ceux qui n’ont qu’un smartphone pour lire la quarantaine de pages postées par les profs de leur classe, en deux jours seulement, qui ne pourront pas faire le travail en ligne, mais devront le recopier à la main, le prendre en photo et l’envoyer au prof.

Les parents appellent pour nous dire qu’ils se sentent seuls et démunis, qu’ils sont inquiets pour leurs enfants, que la scolarité, c’est important... Et on n’a pas vraiment de solutions. Ces parents, ce sont ceux qui demandent de l’aide pour remplir un papier, qui sont mal à l’aise quand ils arrivent dans le couloir de l’administration, et qui pourtant ont confiance en nous.

Saturations multiples

La solution de notre hiérarchie, les consignes du recteur sont que l’on doit fournir les documents papier aux familles éloignées du numérique, qu’ils n’ont pas le droit de venir au collège les récupérer, et qu’il faut que nous les déposions dans un commerce de proximité ouvert ! On croit rêver ! Comme si la boulangerie du coin avait à gérer les problèmes logistiques de l’Éducation nationale...

Ajoutons à cela le fameux ENT (« environnement numérique de travail », financé par la Région et le Département) E-Lyco, dont le prestataire a changé il y a deux ans pour devenir hollandais – à cause d’un marché sans doute mal ficelé – et qui sature complètement. Personne n’arrive à se connecter aux horaires d’ouverture d’un établissement scolaire en raison de la trop forte affluence. Chaque établissement essaie de trouver des solutions alternatives, plus ou moins RGPD compatibles, et très souvent privées... mais toujours connectées ! Au collège, on a réussi à continuer avec les solutions publiques et on adapte quelques règles.

Agacement et amertume

Je suis vraiment hyper agacée et très amère ! On va laisser 15-20 % des gamins sur le carreau, on le sait. On aura énormément de difficultés à les récupérer, à les mettre au travail, encore plus qu’avant, alors que d’autres auront continué d’avancer ou au moins de maintenir leurs acquis. Quand les moyens font cruellement défaut comme aujourd’hui, ce sont toujours les mêmes...

Cet article a été publié dans le numéro de mars de Démocratie&Socialisme, la revue de la Gauche démocratique et sociale (GDS).

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