Fin du monde ou fin d’un monde ?
Selon l’Organisation météorologique mondiale (OMM), 2019 a été la deuxième année la plus chaude jamais enregistrée. « La période 2015-2019 représente les cinq années et, 2010-2019, la décennie les plus chaudes jamais enregistrées. Depuis les années 1980, chaque décennie successive a été plus chaude que toutes les décennies précédentes depuis 1850 »1.
« Nous sommes actuellement très loin d’atteindre les objectifs de 1,5°C ou 2°C prévus par l’accord de Paris ». Cette déclaration du secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, laisse entendre que les États sont décidément loin de tenir leurs engagements écologiques, à commencer par le nôtre.
Face au Covid-19, Macron s’est dit prêt à débloquer des moyens exceptionnels. Mais, face à l’urgence écologique, le gouvernement s’est toujours refusé à mobiliser les moyens nécessaires, se contentant de penser que les grandes entreprises pourront piloter la transition écologique dans le cadre des lois du marché. Ce qui se passe aujourd’hui avec la crise déclenchée par le coronavirus est la démonstration éclairante que le marché ne peut pas répondre aux grands défis qui se pose à l’humanité.
Quoi qu’il en coûte ?
Les dirigeants de l’UE affichent un objectif : faire de l’Europe le premier continent neutre en carbone en 2050. Si le discours autour du Pacte vert proposé par Ursula von der Leyen, la nouvelle présidente de la Commission européenne, peut apparaître écologique, il faut cependant y regarder de plus près. Car son propos est en partie incantatoire au vu de l’insuffisance des montants envisagés pour financer la transition écologique, et l’aspect social presque totalement absent.
La présidente de la Commission est surtout prisonnière d’une logique voulant ménager le système existant, misant sur la rupture technologique pour nous sauver des conséquences environnementales du système économique dominant. On ne sort pas vraiment du « tout financier » en espérant que les fonds de pension investissent dans les actifs verts et le « tout technologique », basé sur internet et les objets connectés.
Crises emboîtées
La crise sanitaire met à nu des systèmes de santé déjà fragiles, voire au point de rupture selon les pays. Ce n’est pas la gravité de la maladie qui est le principal problème, mais bien l’incapacité d’accueillir un afflux de malades. Les mesures d’austérité dans le secteur hospitalier se paient cash aujourd’hui !
La propagation du Covid-19 déclenche en outre (sans en être la cause) une crise financière et économique2. Oubliées les leçons de la crise de 2008 ! La finance a continué à dicter sa loi, la spéculation et les bulles financières n’ont cessé de croître. Quant à l’absurdité d’une économie dépendant de productions délocalisées à des milliers de kilomètres, elle n’est plus à démontrer.
La crise a aussi un volet énergétique. Le besoin en pétrole a fortement chuté avec le ralentissement de la Chine, ce qui a entraîné une baisse brutale des prix. La production de pétrole de schiste des États-Unis n’est « rentable » que si le prix du pétrole est élevé. Les Russes et les Saoudiens veulent voir disparaître cette concurrence américaine, d’où la décision de l’Arabie Saoudite d’augmenter sa production, et le refus de la Russie de la baisser. La valeur des sociétés pétrolières recule. Les investissements dans ce secteur sont moins rentables, d’autant que chacun sait que, sur le long terme, la demande d’hydrocarbure ne peut que reculer si on veut tendre vers une économie décarbonée à même de limiter le réchauffement climatique.
Solidarité ou compétitivité ?
Les méfaits de la mondialisation libérale et du libre-échange généralisé éclatent au grand jour. « Un coronavirus n’aurait qu’un impact très limité sur l’économie dans un monde où la finance serait sous contrôle public [...], où la majorité des productions essentielles (y compris énergétiques) serait relocalisée, [...] et où l’on mettrait fin à la domination économique et politique des multinationales » 3.
Un autre monde est possible, mais soyons certains que le vieux monde ne s’écroulera pas tout seul. Sans mobilisations sociales et sans politique mettant la solidarité au cœur de son action, le vieux monde va continuer d’aller de crises en crises toujours plus fréquentes, et connaître de nouvelles convulsions dont les peuples paient le prix fort. Nul ne peut raisonnablement penser que Macron et ses amis pourront mettre en œuvre les ruptures nécessaires ; c’est à la gauche de le faire, si elle sait se rassembler sur un programme social et écologique.
(1) « 2019, deuxième année la plus chaude jamais enregistrée », Reporterre 15 janvier 2020.
(2) Cédric Durand et Razmig Keucheyan « L’emboîtement de quatre crises met en lumière les limites des marchés », tribune publiée sur lemonde.fr le 13 mars 2020.
(3) Jean Gadrey, « Le coronavirus révèle l’extrême fragilité de la mondialisation néolibérale », Reporterre 13 mars 2020.
Cet article de notre camarade Éric Thouzeau a été publié dans le numéro de mars 2020 de Démocratie&Socialisme, la revue de la Gauche démocratique et sociale (GDS).