GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Migrants

Migrants : une situation inhumaine et dégradante

En France, 100 000 personnes demandent lʼasile chaque année. Seules 32 000 obtiennent le statut de réfugié, soit moins dʼun tiers, et ce au prix dʼun parcours du combattant et dans des conditions de vie inhumaines. Les autres deviennent sans-papiers, invisiblisés, déhumanisés, sans droit. La loi Asile et Immigration du 1er janvier dernier a encore durci les conditions dʼaccueil des personnes migrantes et détérioré leurs conditions de vie sur le territoire tandis que le gouvernement a une lecture des plus restrictives des différentes circulaires européennes sur le droit dʼasile.

La procédure Dublin est née en même temps que lʼespace de « libre circulation » en Europe (1985-1990). Elle vise à déterminer le pays responsable de lʼexamen de la demande dʼasile. Formalisé pour la première fois en 1990 sous la forme dʼune Convention signée à Dublin, ce système a évolué vers un règlement européen modifié plusieurs fois, Dublin II, puis Dublin III. Cʼest ce dernier, adopté par le Parlement européen en juin 2013 qui est aujourdʼhui appliqué par tous les pays de lʼUnion européenne ainsi que par la Suisse, le Liechtenstein, lʼIslande et la Norvège.

Stop Dublin !

Le règlement de Dublin impose aux personnes qui demandent lʼasile le pays dʼexamen de leur demande. Le principe est simple, même si son application lʼest beaucoup moins : il ne devrait y avoir quʼun seul examen dʼune demande dʼasile dans toute lʼUE et le pays responsable est celui qui a laissé entrer volontairement ou involontairement la personne souhaitant demander lʼasile. Une gigantesque base de données, nommée Eurodac, a été mise en place pour en faciliter lʼapplication. Elle recense des centaines de milliers dʼempreintes de personnes ayant passé une frontière extérieure à lʼUE.Ainsi lorsquʼune personne souhaite déposer sa demande dʼasile en France, les autorités vérifient dʼabord si ses empreintes apparaissent dans ce fichier Eurodac.Les personnes sont alors « Dublinées ».

Concrètement, cela signifie quʼelles nʼont pas droit dʼêtre logées dans un CADA (Centre dʼaccueil pour demandeurs dʼasile). Dʼautres dispositifs (Huda, CAO, Prahda) qui leur sont en théorie accessibles sont saturés. En 2017, selon lʼOFII, 19 758 personnes « dublinées » sont entrées dans lʼun de ces dispositifs, soit 32 % dʼentre elles. Cependant, les conditions de vie dans ces centres spécifiques sont précaires, ils sont souvent très éloignés des centres-villes, les moyens de transport difficiles, voire inexistants. Une partie des personnes « dublinées » peuvent être assignées à résidence dans certains de ces centres où la police vient vérifier si elles sont toujours présentes. Pour les autres, elles doivent survivre à la rue ou grâce aux réseaux de solidarité.

La rue nʼest pas une option

Ainsi, malgré de nombreuses condamnations de lʼÉtat et les évacuations successives, les campements se reforment face au manque structurel de solutions dʼhébergement. Des personnes dont la situation administrative est plus que précaire se retrouvent encore davantage fragilisées alors que leur besoin de protection est la raison principale de leur venue en France. Quand les personnes « dublinées » refusent leur transfert vers le pays où elles ont déposé leurs empreintes, elles sont alors déclarées « en fuite ». Le peu de conditions matérielles dont elles bénéficiaient leur est alors retiré. LʼAllocation aux demandeurs dʼasile (ADA) est coupée et elles perdent leur logement, si tant est quʼelles aient réussi à bénéficier dʼune place.

Encore une fois, cʼest la rue qui les attend, tout comme les personnes déboutées du droit dʼasile. Au bout dʼun parcours de plusieurs mois, voire plusieurs années, elles se retrouvent sans aucun droit. Pour autant, la plupart dʼentre elles ne peuvent, ni ne souhaitent, retourner dans leur pays dʼorigine. Contrairement à nombre dʼidées reçues, ce sont majoritairement des femmes, le plus souvent seules avec des enfants. Les enfants ont grandi ici en France, y sont nés parfois, sont scolarisés et vivent à dans la rue, tributaires comme leur mère dʼhypothétiques mises à lʼabri par le dispositif du 115, soit deux nuits de mise à lʼabri dans un centre dʼhébergement dʼurgence et quinze jours dehors.Ces femmes nʼont pour toute aide quʼune allocation du département pour parent isolé. En Seine-Maritime, elle sʼélève à 75 euros par mois. Comment vivre ainsi avec ses enfants, sans droit, à la merci des pires exploiteurs, marchands de sommeil et autres proxénètes ?

Ces hommes comme ces femmes « en fuite » ou « sans-papiers » ne peuvent survivre quʼen travaillant « au black ». Ils se font exploiter sans avoir les moyens de revendiquer quoi que ce soit. Leurs conditions de travail sont souvent dangereuses, les risques mortelsy sont légion. Lʼaccès aux soins médicaux est restreint aux permanences d’accès aux soins de santé (PASS) situées dans les hôpitaux.

Circonstance aggravantes

Depuis 2018, les personnes « dublinées » relèvent dʼun guichet unique par région. Ainsi, toutes les personnes vivant en Normandie, qu’elles soient à Saint-Lô, Caen, le Havre ont toutes des rendez-vous réguliers pour leur procédure administrative à la Préfecture de Rouen. Pour autant, aucune prise en charge nʼest prévue, ni logement sur Rouen, ni bon de transport. Ce sont ainsi des dizaines de familles qui se retrouvent en errance en raison dʼune décision administrative de « rationalisation » !

La France est le pays européen qui a le plus recours à lʼenfermement des personnes en vue de leur expulsion ou de leur transfert. En 2018, 45 851 personnes ont été placées en rétention, dont 208 enfants, pour la Métropole. La durée de rétention sʼallonge également puisque la dernière loi a validé la possibilité de la prolonger à 90 jours au lieu de 45 auparavant. Les conditions de vie dans les centres de rétention administratives sont inhumaines et dégradantes et la France a été condamnée à six reprises par la Cour européenne des droits de lʼhomme. Pour protester contre cette situation, des grèves de la faim sont en cours dans plusieurs CRA, dont celui dʼOissel près de Rouen. Les délais de recours sont, eux, de plus en plus courts et empêchent souvent les personnes en rétention de faire valoir leurs droits. Ainsi, il arrive que quelquʼun soit expulsé avant dʼavoir pu comparaître devant le juge des libertés et de la détention. Un jeune Soudanais a ainsi été expulsé la veille de son passage au tribunal vers son pays natal où il risque la torture et la prison,.

La France est aujourdʼhui lʼun des pays européens qui mène la vie la plus dure aux personnes migrantes tant en termes de procédure administrative que de conditions matérielles de vie. Alors que ce même règlement autoriserait lʼÉtat à exercer une clause de souveraineté pour instruire les demandes d’asile des personnes « sous Dublin », il a délibérément fait le choix de la précarisation et de la maltraitance de milliers de personnes pour servir sa politique générale avant tout basée sur la lutte contre lʼimmigration.

Cet article de notre camarade Florence Capron a été publié dans le numéro de l'été 2019 de Démocratie&Socialisme, la revue de la Gauche démocratique et sociale (GDS).

 

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