GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Le social au cœur

Lettre à Dominique de Villepin et Thierry Breton

Bonjour,

Je viens d'écrire à Dominique de Villepin et Thierry Breton un courrier qui peut peut-être vous intéresser...

Merci, Alexandre Lamiaud

Alexandre Lamiaud

66 300 THUIR

Monsieur le Premier Ministre,

Monsieur le Ministre de l'Économie, des Finances et de l'Industrie,

Âgé de 33 ans et père d'une petite fille de 2 ans et demi, je suis salarié à plein temps, en CDI (il en reste encore !), d'une association d'Éducation Populaire dans le sud de la France. Mon épouse, Éducatrice de Jeunes Enfants, est au chômage.

Après bien des hésitations (les temps sont durs, si vous saviez !), je vous informe de ma décision de ne plus accepter la Prime Pour l'Emploi à laquelle j'ai droit. Cela étant dit - et pour ne pas avoir l'air de cracher dans la soupe -, je tiens expressément à vous exposer le motif de ce rejet.

Je refuse de recevoir une gratification dont le pendant consiste depuis trop longtemps à sanctionner les demandeurs d'emploi pour leur inactivité.

Car c'est un fait : pleins de ce postulat édifiant selon lequel c'est uniquement en lui coupant les vivres qu'un demandeur d'emploi se trouvera stimulé dans sa recherche d'emploi, tous les gouvernements au pouvoir ces dernières années n'ont cessé de mener une politique volontariste de harcèlement des chômeurs. Une politique qui paraît bel et bien avoir acquis ses lettres de noblesse avec votre « Plan d'Urgence pour l'emploi » en général et le décret du 2 août relatif au « suivi à la recherche d'emploi » en particulier, Monsieur le Premier Ministre.

Depuis 2000 déjà, une offre d'emploi « acceptable » ne correspondait plus à des qualifications mais à des compétences, permettant ainsi de rogner en toute impunité sur les ambitions professionnelles des salariés en leur proposant sans honte des emplois sous qualifiés (qui, au juste, n'est pas assez compétent pour passer la serpillière dans les couloir d'une entreprise ?).

Mais, pour être efficace, il manquait à ce principe un volet coercitif offrant les moyens de contraindre les chômeurs à accepter ces postes sans broncher. C'est maintenant chose faite grâce à ce système détourné de dégressivité des allocations que constitue la circulaire GAEREMYNCK sur la gradation des sanctions en cas « manquements » dans la recherche d'emploi. Aujourd'hui en effet, s'ils ne veulent pas voir leurs indemnités diminuées dans un premier temps puis carrément supprimées, les chômeurs se voient dans la quasi obligation d'accepter les seules offres vacantes de l'ANPE. Soit celles des secteurs d'activités « en tension » comme le bâtiment ou la restauration qui manquent de main d'œuvre principalement parce qu'ils ne proposent que CDD très souvent à temps partiel, payés au SMIC dans des conditions particulièrement pénibles.

Très logiquement, par ailleurs, les ASSEDIC ne financent plus que les formations express dans ces métiers, programmant ainsi une déqualification durable de ceux qui ont déjà eu le malheur de perdre leur emploi.

À partir de janvier 2006, avec son bien nommé « suivi mensuel » des demandeurs d'emploi en vue d'un « meilleur accompagnement », l'Agence pour l'emploi met en place un véritablement dispositif de tri sélectif des chômeurs dès le premier entretien. Lequel tri permettra un recyclage à flux tendu, encore plus efficace, des « employables » et la mise au rebus des périmés à plus ou moins longue échéance.

Enfin, en application de la loi de cohésion sociale, le décret du 22 décembre 2005 va carrément permettre aux agents de l'ANPE d'accéder aux dossiers fiscaux des chômeurs en cas « de présomption de fraude », complétant ainsi ce remarquable arsenal de dispositions propres à « mater » cette racaille fainéante.

Quant aux allocations chômage en elles-mêmes, le moins que l'on puisse dire est qu'elles reflètent la considération générale de nos élites à l'égard des licenciés ! Ainsi, alors que la convention UNEDIC 2002 a déjà eu les conséquences catastrophiques que l'on sait pour des milliers de chômeurs en durcissant leurs conditions d'indemnisations, la dernière négociation de décembre 2005 vient d'accoucher d'un accord exemplaire sur le plan de la solidarité et de l'équité sociale : en échange d'une faramineuse augmentation de 0,04% des cotisations (moins d'un demi-euro par mois pour un salaire équivalent au SMIC !), 100 000 chômeurs au minimum ne toucheront leur allocation que pendant 12 mois au lieu de 23. Voilà sûrement ce qu'on appelle un marché donnant-donnant !

Parce qu'elle constitue « une incitation financière au maintien à l'emploi » - une récompense, donc ! - la Prime Pour l'Emploi s'inscrit parfaitement dans cette logique de harcèlement des chômeurs.

En réduisant la durée de leurs indemnisations tout en rallongeant la durée de cotisations nécessaires, en les contrôlant toujours plus, en ne sanctionnant qu'eux, l'État induit clairement que la responsabilité du chômage en France relève strictement du manque de volonté des chômeurs et d'eux seuls. À l'inverse, en me récompensant pour mon activité professionnelle, l'État m'avise de ce que, moi, j'ai fait le bon choix, de ce qu'il prend en considération le courage et même le civisme dont, moi, je fais preuve en me levant tous les matins pour aller bosser.

Je ne veux plus être le complice - au pire complaisant, au mieux indifférent - d'un processus aussi criminel (demandez à Sylvain SCHILTZ, travailleur précaire depuis 4 ans, expulsé de son logement, mort de froid dans sa voiture à la lisière d'un bois sur la commune de Grand-Résie en Haute-Saône, si le terme est exagéré...). Je refuse de cautionner plus longtemps, par un silence acheté, une entreprise aussi inique de stigmatisation et de culpabilisation des « laissés pour compte » de la vie active. Parce qu'on a jamais vu un travailleur réclamer d'être licencié, ni s'épanouir ensuite dans la précarité du chômage quand bien même il finit par s'en accommoder.

Parce que, dans la vraie vie, Messieurs les Premier Ministre et Ministre de l'Économie, des Finances et de l'Industrie, travailler n'est pas un choix mais une nécessité, et que c'est bien moins par civisme, courage ou même simplement volonté, que par simple chance si j'ai encore un travail (et pour combien de temps encore ?). Dès lors, à quelle prérogative devrais-je une telle récompense, je vous le demande ?

Non, désolé, mais accepter une telle prime m'est désormais odieux...

Une petite chose encore.

Tous vos systèmes possibles d'incitation à la reprise du travail ne viendront pas à bout de ces simples faits et analyses :

  • en 2004, l'INSEE a relevé un solde net positif de 17 200 créations d'emploi.
  • d'après l'ANPE, il y a eu 1 offre réelle d'emploi pour 10 demandes en 2005,
  • D'après une étude de la DRESS (Ministère de la Santé), moins d'un tiers des allocataires du RMI sont inactifs et ne recherchent pas de travail...
  • au bout de 6 mois, 1 chômeur sur 2 a retrouvé un emploi... en CDD de courte durée !
  • 5 100 postes de fonctionnaires vont être supprimés dans la fonction publique tandis que...
  • ...le secteur privé n'a pas créé, lui, sur tout le territoire national, plus de mille emplois (pas 10 000, mais 1 000 !!) sur le troisième trimestre 2005 !!!
  • Réfléchissez à ceci, Messieurs les Premier Ministre et Ministre de l'Économie, des Finances et de l'Industrie.

    Tout le monde désormais s'accorde à reconnaître que la prison est criminogène (en ceci qu'au lieu de laver les crimes elle fabrique au contraire des criminels). Il est plus que temps de reconnaître aussi que le chômage et l'ANPE sont « précarigènes ». Car, s'il existe une spirale de la violence de l'univers carcéral, le chômage dans lequel basculent les salariés licenciés est devenu ce qu'il faut bien appeler aujourd'hui une « trappe à précarité ».

    Tels des accusés en liberté surveillée, les demandeurs d'emplois sont maintenus sous la menace de radiations pour « absence au contrôle ». Et maintenant sous celles de perquisitions administratives et fiscales, tels des suspects « présumés coupables » à la merci d'un procureur instruisant à charge. Tels d'anciens détenus souvent condamnés à rester à la marge du circuit social normal, poursuivis par leur passé, les chômeurs ont la plus grande difficulté à retrouver une situation stable (les CDI, les conventions collectives et autres leur étant dès lors de plus en plus inaccessibles).

    A ceci prés qu'en France un accusé a droit, pour défendre ses droits, à un avocat. Un chômeur non.

    En espérant ne pas avoir monopolisé trop de votre temps,

    Très sincèrement,

    A THUIR, le 28 janvier 2006

    Alexandre Lamiaud

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