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Législatives allemandes : entre l’ennui et le suspens

Les élections législatives du 26 septembre s’approchent à grands pas. Elles réalisent le tour de force d’être à la fois indécises et insipides. S’il est en effet impossible de pronostiquer qui en sortira vainqueur, il est en revanche assuré que le scrutin ouvrant l’après-Merkel ne suscite pas un enthousiasme démesuré outre-Rhin.

Bientôt seize ans qu’Angela Merkel préside aux destinées de la République fédérale allemande ! L’effondrement du SPD et la division de la gauche promettait la victoire à son successeur désigné, Armin Laschet, ou, à défaut, aux Grünen en passe d’imposer leur hégémonie à gauche. Mais un retournement spectaculaire vient d’avoir lieu dans les intentions de vote.

Indécision

Le scénario semblait écrit d’avance. L’effondrement électoral des sociaux-démocrates aux dépens des Verts – suite aux « grandes coalitions » successives qui ont fini de démonétiser le SPD dans les classes populaires – et le capital de sympathie dans l’opinion de la chancelière sortante –  sur lequel il semblait assuré que la CDU/CSU allait pouvoir compter – préfiguraient une issue et une seule. Seuls deux candidats à la chancellerie pouvaient l’emporter : Armin Laschet, le leader de la CDU, préféré en avril dernier au chef de la CSU, le très conservateur Markus Söder, et la Verte Annalena Baerbock, dont le parti – urgence écologique aidant – surfait depuis deux ans sur des sondages toujours plus favorables. Le candidat du SPD, Olaf Scholz, ministre des Finances dans la dernière mouture de la « Groko » (Große Koalition) CDU/CSU-SPD, était unanimement promis à une troisième place peu glorieuse.

Mais le duel annoncé depuis des mois pourrait finalement ne pas avoir lieu ! Début août, les instituts de sondage notaient un frémissement en faveur d’un SPD qui se rapprochait des deux favoris. Le 19, le parti de Scholz était crédité de 21 % d’intentions de vote, au coude à coude avec l’Union CDU/CSU (22 %) et cette fois devant les Grünen, qui retombaient à 19 %. Un sondage du 24 août positionne même le SPD en première position, à 23 %. Les sociaux-démocrates devanceraient cette fois de peu Union (toujours aux alentours de 22 %), mais, surtout, ils creuseraient l’écart avec le parti écologiste, crédité seulement de 18 %.

Raisons d’un revirement

Le scrutin du 26 septembre s’inscrit dans un contexte particulier. Il s’agit en effet du premier depuis seize ans lors duquel Angela Merkel n’est pas candidate, et cette conjoncture singulière entre en collision avec deux données structurelles de la vie politique allemande : le consensus global sur la politique économique à mener, notamment à l’échelon européen, et l’affaiblissement des deux grands partis de gouvernement, essentiellement au profit de l’AfD et des Verts, voire des libéraux démocrates du FDP. Ainsi, alors que les partis de la « grande coalition » recueillaient à eux deux 70 % des voix et 75 % des sièges en 2005, et même 67 % des vœux et 85 % des sièges en 2013, ils tomberaient aujourd’hui à 43 et 48 %.

La balkanisation du jeu politique allemand, l’absence de véritable débat idéologique et la volonté de trouver un successeur à Merkel se plaçant dans la continuité rassurante de « Mutti » expliquent la focalisation des campagnes sur la personnalité des trois candidats principaux. La remontada du SPD n’est toutefois pas le fait du terne et très modéré Scholz. Ce qui joue en la faveur de l’outsider des sondages, c’est avant toute chose… les bourdes monumentales de ses rivaux ! Le conservateur Armin Laschet, déjà peu populaire et affaibli par les guerres de clan au sein de l’Union consécutives au départ de Merkel, a en effet réussi à se faire filmer hilare au moment où le chef de l’État, Frank-Walter Steinmeier, rendait hommage aux victimes des crues dévastatrices de la mi-juillet. Quelques jours plus tard, en pleine tourmente médiatique, il a été accusé de plagiat pour un livre publié en 2009 et a reconnu ses « erreurs ». Face à ce spécialiste du tirage dans le pied, on comprend pourquoi Scholz n’a pas eu besoin de mettre outre mesure ses qualités en avant ! C’est d’ailleurs son professionnalisme et sa tendance à éviter les polémiques – ses adversaires préfèrent naturellement dire son côté terne et indécis – qui semblent jouer en sa faveur face à ses deux rivaux, si l’on en croit les récentes études d’opinion qui le placent systématiquement en tête.

Aux pays des amateurs, les apparatckiks sont rois. Et, en matière d’amateurisme, Laschet a peut-être trouvé son maître. Il y a quelques mois, Annalena Baerbock, la candidate des Grünen, avait en effet elle aussi été prise en flagrant délit de plagiat dans son livre de campagne. Outre d’autres bévues qui en font à n’en point douter l’adversaire rêvé pour Scholz, elle est également inquiétée pour avoir omis de déclarer plusieurs milliers d’euros de primes versées par son parti et a dû rectifier plusieurs inexactitudes décelées par des journalistes sur son CV. On en arriverait à se demander si les écologistes n’ont pas choisi, avec cette fieffée centriste, la pire candidate en leur sein…

Pour rendre au SPD ce qui lui appartient, il faut par ailleurs remarquer qu’au-delà de la compétition de bras cassés qui oppose Scholz à Laschet et Baerbock, le parti défend lors de cette campagne son programme traditionnel – celui-là même qu’il mettait in fine au rancart pour gouverner avec Merkel. S’il s’agit d’un programme modéré qui ne contient aucune mesure innovante ou fracassante, reste qu’il parle nécessairement aux salariés – tout du moins ceux qui s’y intéressent. La lutte contre le dérèglement climatique y côtoie en effet avantageusement le maintien d’une fiscalité plus lourde pour les plus riches, la fixation du salaire minimum à 12 euros de l’heure ou encore la mise en place d’accords salariaux pour les branches les plus défavorisées…

Rien n’est joué

Malgré cette concurrence que l’on qualifiera charitablement d’« originale », le SPD et son candidat auraient toutefois tort de chanter victoire trop tôt. La commission d’enquête parlementaire sur l’un des plus gros scandales d’évasion fiscale en Europe, CumEx, vient en effet de révéler qu’une des banques impliquées avait bénéficié de l’intervention directe d’Olaf Scholz, alors bourgmestre de Hambourg, pour empêcher les poursuites. Les casseroles sont décidément les choses les mieux partagées dans cette campagne qui confirme que la personnalisation de la politique dépolitise les personnes !

Le dernier mois de campagne s’annonce donc éprouvant pour le candidat du SPD, d’autant plus que le nombre d’électeurs indécis est anormalement haut : un votant sur quatre n’aurait pas encore arrêté son choix. Actuellement, près de 10 % des sondés se prononcent par ailleurs pour un des « petits partis » qui n’ont aucune chance de dépasser la barre des 5 %, condition nécessaire pour être représenté au Bundestag. La cristallisation politique n’a pas encore opéré dans une opinion publique peu aidée par cette campagne où les enjeux de fond sont presque systématiquement mis au second plan.

Cet article de notre camarade Jean-François Claudon est la version longue de l'article paru dans le numéro de septembre 2021 (n°287) de Démocratie&Socialisme, la revue de la Gauche démocratique et sociale (GDS).

 

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