GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

International – Europe

Le virage anti-démocratique du Brexit démasqué

Nouvelle escalade dans la longue crise du Brexit : l’incapacité de Theresa May à présenter un accord de sortie de l’UE qui fasse consensus au sein du Parti conservateur et par conséquent trouve une majorité aux Communes a conduit à sa chute en juin dernier. Lui a succédé à la tête du parti tory et du gouvernement britannique Boris Johnson et sa bande de brexiters dits « durs » qui souhaitent ardemment une sortie sèche de l’UE, c’est-à-dire un Brexit sans accord.

Ce sont désormais ceux qui ont mené campagne pour la sortie de l’UE qui dirigent la droite et le gouvernement britanniques. En témoigne la nomination de Dominic Cummings – ancien stratège de la campagne « Vote Leave », redouté pour son habileté tactique – comme conseiller spécial de Boris Johnson.

Coup de force

C’est Cummings qui a manifestement inspiré la tactique radicale mise en œuvre ces derniers jours par Johnson dans le but de museler l’aile pro-UE des conservateurs – soit en les obligeant à s’aligner sur sa ligne d’un Brexit dur, soit en les expulsant du parti – et d’imposer des élections anticipées lors desquelles il espère cimenter une majorité pro-Brexit dur. Mais ce faisant, Johnson a démontré le caractère anti-démocratique des partisans de cette option.

L’angle d’attaque choisi par le Premier ministre a été de suspendre les séances de la Chambre des Communes durant une période de cinq semaines à partir du 14 septembre, afin de l’empêcher de se mettre en travers de son chemin jusqu’à la sortie sèche prévue pour le 31 octobre. Les prorogations des Communes sont chose courante, mais elles ne durent en général que quelques jours et elles n’interviennent jamais à des moments de crise politique majeure comme c’est le cas aujourd’hui. C’est donc une première dans l’histoire parlementaire britannique moderne que de voir un exécutif vouloir outrepasser de cette manière le Parlement. Pire encore, dans les jours qui ont suivi, des ministres et Johnson lui-même ont laissé entendre qu’ils étaient prêts à agir de manière illégale en ignorant une éventuelle loi des Communes qui contraindrait le Premier ministre à demander une extension du délai de sortie de l’UE au-delà du 31 octobre.

En réalité, cette manœuvre était un chiffon rouge agité devant l’opposition et l’aile pro-européenne des conservateurs. En laissant aux députés dix jours de travaux parlementaires, Johnson les poussait justement à adopter une telle loi (chose faite le mercredi 4 septembre), ce qui lui aurait donné une double opportunité : exclure les députés conservateurs rebelles (21 ont d’ailleurs été exclus le 3 septembre) et demander des élections anticipées pour le 14 octobre, lors desquelles il se poserait en défenseur du « peuple » contre une opposition voulant remettre en cause le résultat du référendum de 2016. Johnson escomptait pour ce faire le soutien implicite de Corbyn qui, n’ayant cessé de proclamer qu’il souhaite des élections anticipées, n’aurait d’autre choix que d’enjoindre les députés travaillistes à voter avec le gouvernement en faveur de la tenue de telles élections (selon la loi britannique, des élections anticipées requièrent une majorité des deux tiers).

Des plans mis en échec

Sauf que les choses ne se passent pas comme prévues. Enfin, pas entièrement. En effet, 21 à 23 députés conservateurs se sont rebellés face à Johnson et ont voté avec l’opposition réunie un projet de loi qui le contraint à demander à l’UE une extension du délai de sortie au-delà du 31 octobre. Johnson a expulsé les rebelles de son parti, perdant au passage sa majorité (d’une majorité de + 1, le gouvernement est passé à - 43 !).

Immédiatement, Johnson a proposé un vote pour la tenue d’élections anticipées, tout en proclamant ne pas en vouloir (l’opinion publique est plutôt réticente à cette idée). Mais le parti travailliste a indiqué qu’il ne voterait pour des élections anticipées qu’une fois que la prolongation du délai de sortie de l’UE serait acquise. Si bien que Johnson sera en toute probabilité obligé d’aller au Conseil européen du 17 octobre pour demander un tel délai. L’humiliation est énorme et la défaite politique pour les brexiters de taille.

Et maintenant ?

À l’heure où cet article est écrit (*), il est impossible de prédire la suite des événements. Il faut toutefois noter que depuis le mois d’août – et en particulier suite à des résultats catastrophiques aux élections européennes –, le Parti travailliste a opéré un virage en faveur du maintien du Royaume-Uni dans l’UE. Corbyn entend désormais réclamer un référendum sur tout accord de sortie éventuel avec Bruxelles. La ligne officielle est que, dans le cas (désormais hautement hypothétique) où les conservateurs arriveraient à un accord, le parti ferait campagne pour le maintien dans l’UE. Mais des poids lourds du parti comme John McDonnell ou Keir Starmer ont aussi annoncé qu’ils feraient campagne pour le maintien, quand bien même un accord serait trouvé par un gouvernement travailliste. En effet, on imagine désormais mal le parti – dont la base et les adhérents sont très majoritairement contre le Brexit – soutenir un quelconque accord de sortie.

Vu la radicalisation des conservateurs en faveur d’un Brexit dur et l’évolution du Labour, on imagine mal qu’une position de compromis – un Brexit « soft » qui préserve la place du Royaume-Uni dans le marché européen – puisse encore être une solution envisageable.

Cet article de notre camarade Christakis Georgiou a été publié dans le numéro de septembre 2019 de Démocratie&Socialisme, la revue de la Gauche démocratique et sociale (GDS).

(*) Première semaine de septembre

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