GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

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Le renouveau, mais dans la douleur (50 ans d’Épinay #3)

En raison de l’état actuel du parti qui s’en dit l’héritier, le congrès d’Épinay, dont on vient de fêter les cinquante ans, n’a pas été célébré comme il le méritait. C’est pourquoi nous proposons, sur la question du renouveau socialiste et du programme commun (1971-1972), une rétrospective en plusieurs volets. Le troisième traite du laborieux, mais réel redressement socialiste de l’« après-Mai ».

L’année 1969 fut incontestablement une année atypique pour le socialisme français. Les contradictions internes que la gauche avaient accumulées lors de la période ultérieure, puis au moment de l’explosion de mai-juin 1968, ne pouvaient alors qu’éclore au grand jour. C’est pour cette raison que les lendemains de Mai furent ceux de la déchirure, mais aussi du regroupement partiel ; ceux de l’optimisme triomphant, mais aussi des désillusions électorales ; ceux, enfin, de l’annonce du neuf et de la persistance de l’ancien.

Le poison de la division

Malgré la maintien à un niveau élevé de la mobilisation sociale du côté des salariés (hausse des effectifs syndicaux, grèves combatives, mobilisation pour le mise en place des conventions collectives et des nouveaux droits dans l’entreprise…), l’après-Mai se fait sous le signe du reflux généralisé de la gauche politique. Les législatives de fin juin accouchent en effet d’une Chambre gaulliste « introuvable » : la FGDS et le PCF perdent toux deux environ 600 000 voix au 1er tour, et, à l’issue du 2d, leurs groupes parlementaires passent respectivement de 116 à 57 et de 76 à 34 élus. Le parti gaulliste gagne quant à lui 50 sièges, tandis que ses alliés de la droite modérée réalisent un bond en avant (73 élus, contre 15 lors du scrutin « régulier » de mars 1967 !)1.

Mitterrand est vivement critiqué en raison de l’annonce de sa candidature unitaire, que les fédérés considèrent, une fois le torrent social endigué, comme une aventure personnelle. À l’heure des règlements de compte, les phrases assassines pleuvent. Devant ses amis de la CIR et à propos de la SFIO, Mitterrand s’écrie que « s’il s’agit seulement de mettre de la peinture sur des bancs vermoulus, [il] ne ser[a] pas la peinture »2. Rien d’étonnant, donc, à ce que, le 7 novembre 1968, il démissionne de la présidence de la Fédération de la gauche démocrate et socialiste (FGDS). Dans un patriotisme de parti caractéristique des temps, Mauroy lui répond quelques jours avant Noël, à Bagneux, lors du dernier congrès de la « vieille maison ». Pour le Secrétaire général adjoint – depuis 1966 – de la « vieille maison », il n’est « pas question […] d’embarquer des passagers pour les laisser dans les cales, mais il n’est pas question non plus pour des équipages corsaires d’arraisonner la vieille SFIO »3.

Le PCF, lui, rigidifie ses conceptions et, tout en condamnant formellement la répression du printemps de Prague, passe en quelques mois d’une posture relativement unitaire à un positionnement orthodoxe fondé sur le rôle dirigeant du parti et sur la lutte conjointe contre le gauchisme et l’électoralisme. À Champigny, le tournant est effectué : le PCF ne se laissera pas déborder par la mouvance radicale héritière de Mai, ce qui implique de prendre ses distances avec une FGDS de toute façon en fin de course4.

C’est donc dans l’indifférence générale que la « vieille maison » annonce son propre dépassement en janvier 1969. L’enthousiasme des partenaires de la SFIO, et au premier chef de la CIR, n’est pas débordant, même après la chute de l’idole. En effet, le 27 avril 1969, le non l’emporte au référendum voulu par De Gaulle pour restaurer son autorité5. La gauche a maintenant un boulevard, puisqu’après la démission du Général, la droite se divise entre le camp gaulliste, incarné par l’ancien Premier ministre Georges Pompidou, que rejoignent les partisans de Valéry Giscard d’Estaing, et le centre-droit traditionnel des notables qui trouve dans le président du Sénat, Alain Poher, son porte-drapeau. De ces élections, la gauche va faire un monumental gâchis.

Le (N)PS à 5 %, déjà !

Profitant des hésitations de Mitterrand et de Mollet, Deferre surprend son monde en annonçant sa candidature deux jours après la victoire du référendum, une semaine à peine avant la première session du congrès de la nouvelle formation appelée de ses vœux par la SFIO au début de l’année.

Mitterrand hors course, la CIR renonce à s’y rendre et confirme la tenue de ses assises à Saint-Gratien le 4 mai, soit le jour de la convocation du congrès de la nouvelle formation socialiste. Savary, avec son Union des clubs pour le renouveau de la gauche (UCRG), annonce sa participation aux assises socialistes d’Alfortville, et propose sa candidature à la candidature, comprise comme une démarche unitaire. Restent Poperen et ses amis de l’Union des groupes et des clubs socialistes (UGCS). Ils sont courtisés par la direction de l’ex-SFIO qui espère non seulement compenser par cette arrivée la fin de non-recevoir envoyée par les mitterrandistes, mais aussi disposer des voix de l’UGCS dans un scrutin qui s’annonce serré avec Deferre et la droite socialiste. Préférant se battre de l’extérieur pour une candidature unique, Poperen et ses camarades refusent finalement l’invitation. Malgré ces refus, l’appel d’air est bien réel. Le congrès constitutif du Nouveau Parti socialiste (NPS) commence d’ailleurs sous des auspices favorables, mais les débats de fond sont vite relégués au second plan par la question de la désignation du candidat aux présidentielles imminentes.

Le congrès s’achève en farce lorsque les partisans de Deferre, minoritaires lors du vote sur la candidature, exigent que le congrès… revote ! Les partisans d’une désignation immédiate fermant la porte à une éventuelle candidature unique obtiennent finalement gain de cause dans un vacarme indescriptible. Indigné par ces procédés, Savary, qui avait présenté son éventuelle candidature comme étant « susceptible d’être celle de toute la gauche », jette l’éponge et souhaite « bon vent » à l’équipée Deferre6.

Ce candidat droitier et peu légitime, vu les conditions ubuesques de son investiture, ne peut naturellement pas faire l’unanimité à gauche. Le PCF présente un vieux routier de la politique, le très stalinien Jacques Duclos, tandis que le PSU se décide pour Michel Rocard et que la Ligue Communiste annonce la candidature d’Alain Krivine. Le ticket Deferre-Mendès, en marge de la gauche, fait pâle figure face à un PCF invoquant le souvenir de 1936 et à une gauche radicale surfant sur la vague de l’après-Mai7. Le discrédit et même l’anachronisme du ticket de centre-gauche sont tels que Duclos fait rapidement figure de candidat unitaire8.

Le fond est atteint au soir du 1er tour. Deferre ne parvient à rassembler sur son nom que 5 % des voix exprimées. Duclos le distance largement, avec ses 21 %, mais il n’arrive qu’en troisième position, derrière Poher et Pompidou. La gauche est éliminée du second tour, malgré le succès de 1965, malgré le rapprochement unitaire des années suivantes, malgré l’explosion sociale de 1968… Tout est à reconstruire.

Le renouveau socialiste, acte I

Les nouvelles fondations sont ébauchées dès le mois suivant. Réunis à Bagneux, l’UGCS de Poperen, des transfuges de la CIR menés par le palois André Labarrère, ainsi que le CERES (courant qui avait, lui, fait le choix de la SFIO dès sa fondation, en 1966), débattent de la nécessité devenue impérieuse de l’unité socialiste et annoncent leur participation aux assises d’Issy-les-Moulineaux, prévue en juin 1969. La seconde session du congrès constitutif du NPS se tient donc dans une toute autre ambiance que la catastrophique réunion d’Alfortville.

Les cinq textes en présence (Mollet, Savary, Mauroy, Deferre, texte de Bagneux) montrent une nette inflexion à gauche. La motion de synthèse partielle – une partie du Nord n’y suivant pas Mauroy – reprend l’esprit de la motion Savary et déclare sans ambages que « l’union de la gauche constitue […] l’axe normal de la stratégie socialiste […]. Le parti doit engager sans préalable et poursuivre un débat public avec le Parti communiste, portant sur les modalités du combat contre les forces capitalistes, sur les voies de passage au socialisme, sur les fondements de la société socialiste. […] Ce dialogue doit être sans complaisance »9.

Lors du congrès d’Issy, la nouvelle formation se dote de statuts définitifs. st notamment prévue la création de sections d’entreprise (ou universitaires avec les Étudiantes socialistes) et de groupements associés. Cette ouverture, qui constituait une rupture significative avec le fonctionnement de la vieille SFIO, annonçait une insertion plus poussée du NPS dans les luttes du salariat et de la jeunesse.

À l’issue du congrès d’Issy, le renouvellement est ébauché. 28 membres du Comité directeur sont nouveaux. Douze n’appartenaient pas à la SFIO avant le congrès, même si sept membres, seulement, n’en avaient jamais été adhérents. Poperen et ses amis, fraîchement arrivés, refusent de se présenter, tandis que les candidats du CERES sont tous battus, dont Chevénement10. Le nouveau parti a encore du chemin à parcourir pour accomplir sa mue. C’est l’avis d’un congressiste, le journaliste Raymond Barrillon, qui affirme après Issy : « On n’est certes pas revenu au printemps de 1967, mais on s’est beaucoup plus éloigné de mai 1969 que ne pourrait le faire croire le calendrier »11.

Cet article de notre camarade Jean-François Claudon a été publié dans le numéro 289 (novembre 2021) de Démocratie&Socialisme, la revue de la Gauche démocratique et sociale (GDS).

1. La participation passe d’un peu plus de 19 % en 1967 à 20 en juin 1968. Comme la mobilisation du camp conservateurs a été reconnu par tous comme massive, il est évident que l’abstention a été d’autant plus fort à gauche.

2. Claude Estier, Journal d’un fédéré. La Fédération de la gauche au jour le jour, 1965-1969, Fayard, 1970, p. 255 (cité dans Pierre Serne, Le Parti socialiste. 1956-1971, coll. Encyclopédie du socialisme n° 2, 2003, p. 27).

3. Ibid., p. 30 (congrès de Bagneux de la SFIO, 20-22 décembre 1968).

4. Sur le durcissement idéologique du PCF acté à Champigny, voir Jean Poperen, L’Unité de la Gauche (1965-1973), Fayard, 1975, notamment p. 271 où il évoque le retour à « un véritable complexe de supériorité» communiste.

5. Le Non l’emporte à 52,4 % et dans 71 départements métropolitains sur 95, avec une participation supérieur à 80 %.

6. Cité dans Alain Eck, Alain Savary. Un socialiste dans la jungle, coll. Encyclopédie du socialisme n° 7, 2004, p. 60, puis p. 62.

7. Sur la campagne d’Alain Krivine, voir Gérard Filoche, Mai 68 : histoire sans fin, t. 1, Jean-Claude Gawsewitch, 2007, p. 157-162.

8. Alors que les saillies anticommunistes du tandem Deferre-Mendès se multiplient, Waldeck Rochet déclare par exemple : « Voter communiste le 1erjuin, c’est voter pour l’union de toute la gauche». Duclos se paye même le luxe de dire qu’il aurait « préféré participer à la campagne présidentielle pour soutenir un candidat unique de la gauche », mais que cette hypothèse a été rendue caduque par l’obstination du ticket de centre-gauche…

9. Congrès d’Issy-les-Moulineaux, 12-13 juillet 1969 (cité dans Alain Bergougnioux et Gérard Grunberg, Les socialistes français et le pouvoir. L’ambition et le remords, coll. Pluriel, 2005, p. 186).

10. Voir Pierre Serne, op. cit., 2003, p. 66-67. Selon Chevènement, « à Issy-les-Moulineaux, nous avions refusé les trois places au Comité directeur que Pierre Mauroy nous avait offertes en échange de notre appui contre Alain Savary». Voir Jean-Pierre Chevènement, Le vieux, la crise, le neuf, coll. La Rose au poing, 1974, p. 53.

11. Cité par Jean Poperen, op. cit., 1975, p. 280. Un amendement « précisant que le dialogue avec le Parti communiste devait déboucher sur un programme commun de gouvernement», présenté par le CERES, fut toutefois largement rejeté. Cf Jean-Pierre Chevènement, op. cit., 1974, p. 54.

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