GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

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Le parlementarisme, voilà l’ennemi ? (Institutions #2)

Les éditorialistes proches du pouvoir préparent déjà l’opinion à la dissolution qui vient en faisant au parlementarisme un procès en inefficacité. Pour ce faire, ils en viennent rapidement à faire le parallèle avec une IVe République chargée de tous les maux. C’est là un procédé plus que discutable.

Il est de bon ton de se gausser, chez les faiseurs d’opinion pour qui le bonapartisme de la Ve République est un fait aussi naturel que la gravitation, du sort peu enviable qu’a réservé l’histoire à la IVe République (1946-1958). De son échec final, on tire qu’elle était viciée dans son fond en égrainant ses nombreuses tares : instabilité ministérielle, « tambouille » entre partis, immobilisme idéologique… Et comme les institutions de 1946 étaient fondamentalement parlementaires, le tour est joué : en entonnant la petite musique bien connue de la IVe République chaotique et finalement impuissante, on discrédite sans en avoir l’air le système parlementaire dans son ensemble.

Institutions modèles

Commençons par nous entendre sur les mots. Des institutions parlementaires signifient que le Parlement, disposant de l’initiative législative, vote les lois et le budget, investit le chef du gouvernement et dispose réellement de la possibilité de renverser ce dernier par un vote de défiance. Ceci étant entendu, il est indiscutable que la IVe République constitue un régime parlementaire, puisqu’elle disposait de ces caractéristiques.

Mais ce n’est pas tout. Le primat du pouvoir législatif sur le pouvoir exécutif est incarné, dans les institutions de 1946, par l’élection du président de la République par les seuls parlementaires, faisant de ce dernier un simple garant du régime tout juste bon à « inaugurer les chrysanthèmes », pour reprendre l’expression gaullienne. Par ailleurs, la suprématie de l’Assemblée nationale, élue au suffrage universel direct, sur la « chambre haute » que constitue le Conseil de la République est manifeste. La proposition d’un monocamérisme strict avait été formulée par les deux partis de gauche (PCF et SFIO), mais elle avait été finalement refusée par voie référendaire, d’où la création de cette seconde chambre extrêmement effacée. Notons pour finir que le parlementarisme des institutions de 1946 est renforcé par la pratique de la « double investiture » : l’Assemblée prend en effet très tôt l’habitude d’investiture le président du Conseil en tant que tel, puis le cabinet ministériel dans son ensemble.

Le rôle central dévolu à l’Assemblée fait d’elle un arbitre sévère de la politique gouvernementale et les ministères ont une durée de vie de plus en plus courte. On dénombre 22 gouvernements en seulement douze ans ! La durée moyenne d’un gouvernement sous la IVe République est de sept mois et demi… Les seuls moments de stabilité sont constitués par le gouvernement Mendès-France (1954-1955) et le Front républicain dirigé par Guy Mollet (1956-1957).

Conjoncture néfaste

Ce qui précède relève du fait et n’est donc en tant que tel guère discutable. Mais extraire ces quelques données de leur contexte politique propre pour faire un procès au parlementarisme en soi relève d’une forme de falsification de l’histoire. Car il convient de garder deux choses en tête.

Rappelons tout d’abord que, pour des raisons historiques – et donc au moins en partie contingentes – la IVe République est vite devenue une citadelle assiégée. Voulaient en effet sa perte, à droite, les gaullistes restés fidèles au Général et tenus par là même à une opposition de principe au « régime des partis » et, à gauche, les communistes contraints par Staline de revenir, en raison de l’explosion de la Guerre froide, au ghetto politique qui était le leur au début des années 1930. Le RPF gaulliste et le PCF sont de fait exclus du pouvoir, alors qu’ils représentent une partie conséquente de la population ; cette mise à l’écart de près de la moitié des électeurs et des électrices – rappelons que le PCF est alors le premier parti de France – fragilise indéniablement le régime de la IVe République, qui ne s’appuie que sur guère plus de 60 % du corps électoral. Il va de soi qu’un parlementarisme du XXIe siècle n’aurait pas à souffrir d’un tel handicap structurel, non parce que la droite a véritablement passé outre son antiparlementarisme originaire, mais pour la simple raison que les institutions parlementaires font aujourd’hui totalement consensus à gauche.

Le second obstacle qui a mis à mal les institutions de la IVe République est l’impossibilité foncière, après 1947, de mettre en place à l’Assemblée une majorité de gauche qui, pourtant, aurait globalement correspondu aux aspirations du corps électoral. Le départ des communistes du gouvernement, en mai, invalide toute coalition structurée autour d’une alliance SFIO-PCF désormais introuvable. Après cette date, la plupart des coalitions gouvernementales qui rapprochent, faute de mieux, les socialistes des radicaux, des démocrates-chrétiens et même de la droite modérée – coalitions dites de « Troisième force » – s’effritent rapidement en raison des contradictions irréductibles qui la travaillent sur la politique économique et sociale à mener, sur la laïcité… Là encore, les temps ont bien changé. La formation de la NUPES et la conclusion de son Programme partagé suffisent à prouver que la quasi-totalité des partis de gauche sont prêts à gouverner ensemble, à partir de son intergroupe parlementaire.

Cet article de notre camarade Jean-François Claudon a été publié dans le numéro 296 (été 2022) de Démocratie&Socialisme, la revue de la Gauche démocratique et sociale (GDS). Cette série d'article "Institutions" comprend déjà un premier volet : "Contre l'élection du Président de la République au suffrage universel".

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