GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Écologie

Le numérique, ça pollue énormément !

Consultation des réseaux sociaux ; échanges de mails ; visionnage de vidéos en ligne ; recherche sur les moteurs dédiés ; sauvegarde de photos … notre consommation numérique a durablement et très rapidement évolué. Ce que nous savons moins, c’est combien elle génère des dégâts désastreux. État des lieux de la pollution numérique et remarques sur de nécessaires alternatives.

Voici quelques années, nous avions un ordinateur à la maison et stockions sur sa mémoire ou sur une clé USB les quelques fichiers de textes ou de photos que nous souhaitions sauvegarder. Les entreprises se sont équipées de serveurs, commençant le stockage à distance, hors du PC. Puis, sans y prêter attention, nous avons basculé dans l’ère des usages en ligne.

Serveurs, datacenters, réseaux d’alimentation, terminaux, l’activité industrielle autour du numérique est florissante. D’abord, le marché de production de produits (ordinateurs, smartphones, tablettes, montres connectées…) est aussi consommateur en métaux rares que soumis au marketing des constructeurs et au rythme frénétique des modes, donc de l’obsolescence. Il induit des déchets partout dans le monde. Alors que les entreprises privées du secteur ont intérêt, par exemple, à pousser au remplacement fréquent des smartphones, ne serait-il pas plus « raisonnable » de les réparer ?

Grand consommateur d’énergie et gros émetteur de CO2

Si Internet était un pays, il serait le troisième consommateur d’énergie, derrière la Chine et les États-Unis ! Le secteur informatique représente aujourd’hui environ 7 % de la consommation mondiale d’électricité. Envoyer un mail avec une pièce-jointe revient à dépenser l’énergie utile au fonctionnement d’une ampoule basse consommation pendant une heure. Selon l’Ademe1, la production de quinze centrales nucléaires tournant pendant une heure équivaut aux besoins énergétiques de l’envoi et du stockage de 10 milliards de mails. Rien qu’en 2016, 2 700 milliards de mails ont été envoyés…

Pour la lecture de vidéos en ligne, le streaming, les chiffres sont faramineux. En 2017, chaque minute étaient ajoutées 400 heures de vidéo sur la plateforme YouTube. Soit 600 000 heures par jour. Pour regarder un seul jour de contenu vidéo ajouté, il faudrait à une personne… 68 ans de visionnage en continu ! Or, la consommation de vidéos en ligne, c’est plus de 300 millions de CO2, soit les émissions de gaz à effet de serre de l’Espagne2. Le modèle économique d’une entreprise comme Netflix est peut-être rentable pour ses actionnaires, mais est-ce « soutenable » d’un point de vue écologique ?

Des centres de données de plus en plus énergivores

Le marché numérique contraint à construire un réseau de millions de kilomètres de câbles et de fibre enfouis dans les sols, sous les océans. Enfin, la révolution numérique combine accès et sauvegarde des données. Cela nécessite de la place et beaucoup d’énergie. Pour stocker, on utilise des datacenters, ou centres de données. Il s’agit de bâtiments sans fenêtres, alignant des rangées de serveurs, c’est-à-dire d’ordinateurs en réseau. Les datacenters mémorisent tout ce qui circule sur Internet. Ils font des copies car nous-mêmes, nous ne gardons plus grand-chose sur nos ordinateurs. Notre contenu est ailleurs, dans le cloud computing, littéralement l’informatique en nuage. À chaque instant, nous piochons dans des serveurs distants. Or, les centres de données posent des questions environnementales lourdes. À l’heure de l’objectif de zéro artificialisation nette affiché dans le Plan biodiversité, ils posent la question de l’utilisation du foncier pour le stockage de données. Comme les bureaux d’affaires hier, les centres de données sont devenus un nouveau marché immobilier dans lesquels les promoteurs se sont engouffrés.

Plus inquiétant encore, la production de chaleur des datacenters. En 2015, la consommation électrique en France dédiée aux datacenters équivalait à celle de la ville de Lyon ! Un datacenter de 10 000 m² consomme autant qu’une ville moyenne de 30 000 habitants3. Dans un datacenter, l’électricité produite va à 50 % au fonctionnement, à 50 % au refroidissement. Il est donc indispensable d’y accoler une climatisation qui tourne sans discontinuer.

Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, veut faire de la France la « première terre d’accueil des datacenters en Europe ». Aujourd’hui, nous sommes à 180 centres, derrière l’Allemagne, le Royaume-Uni et les Pays-Bas. À Amsterdam, un arrêt provisoire des implantations de centres a été décrété, le temps de réglementer une activité de plus en plus polluante. Partout, l’énergie utilisée est nucléaire ou fossile. Aux États-Unis, champions de l’accueil des datacenters, ce sont les centrales à charbon qui les alimentent...

Des alternatives sont possibles

Des innovations émergent. La chaleur produite, au lieu d’être refroidie par climatiseur, peut être captée pour le chauffage urbain. On trouve des chaudières numériques en France, comme à Nantes, dans un immeuble de quarante logements sociaux où la chaudière préchauffe l’eau sanitaire. Des grandes sociétés s’engagent sur la réduction des pollutions, notamment pour des raisons marketing… mais surtout pour réduire leurs coûts ! Elles parient sur les énergies solaires ou marines pour alimenter les datacenters. Elles construisent des centres sans climatisation, en misant sur le refroidissement naturel par le froid, dans les pays nordiques. Évidemment, tant que les énergies nucléaires et fossiles seront exploitées et moins chères, elles continueront à les utiliser massivement, laissant à la marge les serveurs écolos qui promeuvent l’Internet zéro carbone...

Il est aussi nécessaire de limiter la pollution en amont. Cela passera aussi par la formation des jeunes générations à la sobriété des usages, au tri, à l’arrêt du stockage superflu, à la lutte contre l’obsolescence des matériels ou au refus des modes imposées par le marketing, qui accompagnent l’utilisation d’Internet. Et elles y sont prêtes.

Rompre avec une logique de surconsommation technologique

Les émissions de CO2 du numérique devraient doubler d’ici 2025. Or le numérique représente déjà 4 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) mondiales et donc plus que le transport aérien civil (2,8 %). Si l’on prend au sérieux la nécessité de réduire drastiquement les émissions de GES, la logique qui guide actuellement le développement du numérique n’est pas écologiquement responsable. Sans parler du modèle social imposé par les plateformes numériques (Uber, Deliveroo...) ! S’il y a bien une urgence écologique, cela impose de penser un développement du numérique délivré de la course au profit maximum qui fait fi de l’environnement. Penser un système économique visant, non à augmenter toujours davantage les profits d’une minorité, mais à « maximiser le bien-être de tous sous contrainte écologique »4, voilà bien le défi à relever pour une gauche démocratique, sociale et écologique au XXIe siècle.

Cet article de notre camarade Marlène Collineau a été publié dans le numéro de septembre 2019 de Démocratie&Socialisme, la revue de la Gauche démocratique et sociale (GDS).

  1. Pour Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie.
  2. L’Humanité du 13 août 2019.
  3. Données 2013 de Dalkia, entreprise du groupe EDF spécialisée dans la production d’énergies renouvelables.
  4. Michel Husson, « Marx précurseur de l’écologie ? », http://hussonet.free.fr/marxecolo.pdf.

 

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