Le grand manipulateur, les réseaux de Macron
Âmes sensibles s’abstenir. Le dernier ouvrage du journaliste amiénois Marc Endeweld (1) décrit, sur plus de 300 pages, le vaste réseau de relations mafieuses – il n’y pas d’autres mots – qui entoure Emmanuel Macron et sous-tend son action aux commandes de la République depuis plus de deux ans.
L’ancien élève du lycée de la Providence, dont un collègue de chez Rothschild estime qu’« il est capable de tout » a « réussi la synthèse des pires turpitudes de la Sarkozie et de DSK », ainsi que de la Mitterrandie dont il a rallié les figures de Michel Charasse (visiteur du soir), Julien Dray (« conseiller officieux »), Jean-Yves Le Drian (ministre des Affaires étrangères « malgré lui »), dont le nom est apparu en son temps dans le dossier des frégates de Taïwan, ou encore Christian Prouteau (conseiller informel), condamné dans l’« affaire des écoutes ».
Une galaxie du mal
On peine à croire au nombre de personnalités troubles qui gravitent, parfois depuis des lustres et de manière très rapprochée, autour de Macron : des hommes d’affaires algériens, des fonctionnaires affairistes français, de multiples patrons du CAC 40, des femmes et hommes de la culture et des médias, d’anciens élèves du lycée Saint-Louis-Gonzague, « temple de la reproduction sociale » (dixit les Pinçon-Charlot) que dirigea la mère de l’actuel ministre de l’Économie Bruno Lemaire et où l’épouse de l’actuel chef de l’État fut la professeur des enfants du milliardaire Arnault. L’auteur s’appuie pour son enquête sur les « confessions» d’anciens collaborateurs de Macron, ainsi que sur des informations déjà parues, mais – curieusement – peu exploitées par la presse.
C’est une véritable « galaxie du mal » qui s’étale sous nos yeux, dans toute son étendue et sa complexité, à l’image des rapports entre Emmanuel Macron, Nicolas Sarkozy et leurs réseaux respectifs. On s’y perd parfois un peu, mais c’est pour la bonne cause... Il apparaît en tout cas relativement clairement que tous les tentacules convergent vers quelques personnages récurrents, dont le sulfureux homme d’affaires français Alexandre Djouhri (lié aux affaires libyennes) et le désormais célèbre Alexandre Benalla (« un porteur de valises »).
Last but not least, il convient de mentionner Ludovic Chaker, actuel chargé de mission (Lybie) auprès du chef d’état-major particulier d’Emmanuel Macron, ancien secrétaire général d’En marche !, ancien colocataire d’Ismaël Emelien, neveu de Claude Atcher (le directeur du mondial de rugby 2023 dont Médiapart affirme qu’il « navigue depuis près de 25 ans […] entre billetteries illégales, fausses factures et conflits d’intérêts manifestes ») (2), ancien de la DGSE (dont il aurait été remercié), proche collaborateur de Richard Descoings à Sciences Po, candidat des Français de la région Asie aux législatives de 2012 (condamné par la suite à un an d’inéligibilité). C'est à ce sémillant quadragénaire que Benalla a adressé de nombreux SMS dans la nuit du 18 au 19 juillet 2018. Il serait peut-être à l’origine de la violation du coffre-fort au domicile de ce dernier, tandis que son amie Pascale Jeannin-Perez (ex-RPR, proche du milieu nîmois et du Medef), qui hébergea la famille du barbouze élyséen alors poursuivie par la presse, n’a a priori jamais été auditionné par le Parlement.
Les copains et les coquins
Les grands dossiers ne sont pas oubliés : Marc Endeweld évoque par exemple au fil des pages la privatisation d’Aéroport de Paris (où l’on apprend que Michel Charasse est un grand ami d’Augustin Romanet de Beaune, l’actuel PDG, et que la chef de cabinet de la secrétaire d’État Pannier-Runacher est une ancienne de Rothschild spécialiste du sujet) ou celle d’EDF après scission pour financer un gigantesque plan de relance du nucléaire que l’exécutif appellerait (discrètement) de ses vœux. Sans oublier les grands mouvements de rachats au sein de la presse française, ainsi que la politique de la ville – au-delà des enjeux de l’« amitié » qui unit le ministre Denormandie à l’acteur Belattar.
Le livre sait aussi être léger, voire people, confirmant par exemple que Stéphane Bern a failli être nommé ministre de la Culture en remplacement de Françoise Nyssen ou qu’Emmanuel Macron serait directement à l’origine du renvoi de Raphaël Glucksmann du Nouveau Magazine Littéraire.
On en apprend également un peu plus sur la personnalité du président. Notamment sur son incroyable déloyauté, dont furent victimes inter alia l’homme d’affaires Henry Armand (qui finança son mariage) ou Jean-Pierre Jouyet (son « parrain » à l’Élysée) ou, plus étonnant, sur l’obsession du chef de l’État à démentir son homosexualité, que l’auteur (qui fut sept ans journaliste à Têtu) fait remonter à une liaison présumée d’Emmanuel Macron en 2015 avec un garde du corps du SDLP qu’auraient complaisamment relayée certains services du ministère de l’Intérieur.
On ne peut s’empêcher en refermant le livre d’avoir à l’esprit cette prémonition de Nicolas Sarkozy : « Ça va mal finir ».
Cet article de notre camarade Arno Lafaye-Moses a été publié dans le numéro 265 de Démocratie&Socialisme, la revue de la Gauche démocratique et sociale (GDS).
1.Marc Endeweld, Le grand manipulateur, Stock, 2019
2.Antton Rouget, « Les dossiers noirs de l’argentier du rugby et de Bernard Laporte », Mediapart, 7 septembre 2017.