GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Féminisme

Femmes victimes de violences : sauvons le 3919

Le gouvernement envisage de soumettre la ligne téléphonique d’écoute des femmes victimes de violences  à une procédure de mise en concurrence pour désigner la structure qui doit continuer à organiser ce service en 2021. Au risque d’en perdre le sens et la qualité.

De « SOS Femmes battues » au 3919

Le numéro vert d’écoute des femmes victimes de violences, le 3919, a une longue histoire.

Le premier numéro « affiché » l’a été sur les murs de Strasbourg en 1973 après qu’une femme soit décédée alors qu’elle cherchait à fuir les coups de son conjoint. Une permanence téléphonique est organisée  à partir du domicile  d’une militante proche de la Ligue du droit des femmes sous la dénomination « SOS Femmes battues ».

Dans cette période et toutes les années suivantes,  des associations sont créées dans de nombreux départements pour venir en aide aux femmes victimes,  dénoncer ces violences et  combattre le « fatalisme » avec lequel elles sont alors considérées.

Elles font avancer leur cause, obtiennent des subventions publiques, ouvrent et font ouvrir des centres  d’hébergement.

Un grand nombre de ces associations se fédèrent dans le réseau  « Solidarité Femmes », qui affirme une position féministe « entendue comme lutte contre les effets des violences sexistes et vise la transformation des relations sociales dans les lieux et les situations qui les suscitent ou les reproduisent. »

En 1992, elles créent un numéro national d'écoute anonyme pour les victimes de violences conjugales avec un  numéro classique à dix chiffres.

En 2007, dans la continuité de cette plate-forme, est créé le 3919  « plus facile à retenir et, surtout, (...) facturé, pour les femmes, au prix d'un appel local, qu'elles appellent de la métropole ou des DOM-TOM », comme le soulignait Christine Clamens  alors directrice de la  Fédération « Solidarité Femmes » à qui est confié la gestion du nouveau numéro.

L’accompagnement personnel et la parole collective

Le 3919 aujourd’hui, c’est une trentaine d’écoutantes qui prennent en charge environ  2000 appels par semaine en moyenne. Ce n’est pas un numéro d’urgence, mais un numéro d’accueil d’écoute, d’accompagnement, d’échange, de conseils et d’orientation. Le 3919, s’appuie de manière quotidienne, sur le réseau de la Fédération, constitué de 67 associations, réparties sur l’ensemble du territoire, dont plus de la moitié anime des lieux d’hébergement, mais dont toutes pratiquent l’accueil et l’accompagnement. C’est dire  que le 3919 s’appuie non seulement sur une  bonne connaissance des réseaux locaux, mais aussi sur des années d’expérience partagée, d’échanges des pratiques, de réflexion collective sur les violences faites aux femmes.

Il est important de comprendre que les associations du réseau  développent deux volets indissociables de leur action, l’un nourrissant l’autre et réciproquement : « l’accompagnement des femmes » et « une action dans le domaine  politique et public pour amener à une prise de conscience collective et individuelle concernant les inégalités et les discriminations faites aux femmes afin de faire évoluer les lois et les politiques publiques. » (1)

C’est une dimension déterminante de la nature de l’accompagnement et peut être celui qui dérange. Certains désignent cet engagement collectif par le terme « militant »,  ce que souvent les femmes de Solidarité Femmes récusent, car il renvoie à une forme de « bénévolat » et de « non-professionnalisme ».  Leur expertise est reconnue, leur analyse  étayée : les situations individuelles  dans lesquelles les femmes se trouvent ne sont pas que le fruit de leur histoire personnelle, mais bien aussi le reflet et la conséquence d’une société  machiste et patriarcale qu’il faut faire évoluer. Peu de monde  réfute aujourd’hui (publiquement) ce constat ; c’est  le seul qui  peut faire évoluer la situation.

Mais c’est pourtant cette dimension « politique » au sens noble du terme, que le passage en marché public va  museler.

La logique des marchés publics stérilise les volontés de transformation sociale

Le gouvernement se cache derrière un argument prétendument juridique. S’engageant à un passage d’écoute 24H/24H entièrement financé par l’Etat, il serait obligé de faire appel à un marché public. Ceci est factuellement faux, le ministère de l’Économie et des Finances a reconnu à de nombreuses reprises que le marché public n’était pas une obligation  pour contractualiser avec des  associations (2). Ceci est d’autant plus vrai que tout l’historique du numéro d’appel montre que ce sont bien les associations de Solidarité Femmes qui en ont été à l’initiative.

Il y a maintenant plus de 15 ans que la logique des marchés publics a envahi la sphère de l’action sociale. Parfois motivée par la volonté d’instaurer une plus grande transparence du financement public et de combattre les pratiques de  favoritisme et clientélisme, cette pratique a profondément modifié le rapport entre les pouvoirs publics et les associations. Celles-ci non seulement ont été mises en concurrence entre elles, mais leur rôle a été réduit à celui  de simples prestataires de service, stérilisant leur capacité d’initiative, et leur volonté de faire évoluer la société, ce qui était bien souvent pourtant le point de départ de leur action.

La marchandisation de l’action sociale ou

« Quand on a un marteau dans la tête, on voit tout sous forme de clou »

Dans le même temps les gouvernements ont affaibli considérablement la notion de services publics passant de missions exercées par des services de l’État  à des services  financés par l’État ;  celui ci – ou les collectivités locales- devenant de simples  « acheteurs de service ».

Et l’on a vu de nombreuses associations loi 1901 devenir de véritables  entreprises sociales,  à but non lucratif dans un premier temps,  puis entrer dans le champ de l’économie « sociale et solidaire » , pouvant générer des bénéfices à condition qu’ils soient encadrés.

Sont alors arrivés de nouveaux gestionnaires qui ont développé un discours managérial offensif, « positif », « rejetant tout misérabilisme », mettant « les méthodes entrepreneuriales au service du social »... bref de quoi séduire largement les plus libéraux de nos décideurs sociaux !!

Un modèle qui permet de faire fonctionner le couple « commande publique/ entreprise » (le marteau et le clou) qui devient le paradigme de l’action publique et que l’on voudrait nous imposer partout – y compris dans l’éducation par exemple.

La forme managériale prend le dessus, la décomposition de l’action en « process techniques » en permettant une  exécution plus rapide et plus efficace –supposée moins onéreuse. Des méthodes assez éloignées de l’analyse collective des pratiques par les acteurs eux mêmes et surtout mettant hors de propos la volonté de transformation sociale et les combats collectifs.

Empêcher que la logique de marché soit imposée au 3919

Voilà pourquoi il faut absolument défendre la gestion du 3919 par la Fédération nationale « Solidarité Femmes ».

Il ne s’agit pas de défendre un « pré carré » associatif. En d’autres temps par exemple  le mouvement féministe s’est battu pour que la puissance publique crée des centres de planning familial. Par la création d’associations, il en avait fait émerger le besoin, en avait expérimenté des pratiques, apporté une expertise. Il ne s’est pas agi à ce moment-là d’ouvrir un nouveau marché public : soit de nouveaux centres ont été créés en gestion publique soit les centres gérés par les associations ont été mieux reconnus et financés.

« Mettre en concurrence le 3919, c’est prendre le risque de faire vaciller un réseau national d’associations de terrain et de leurs partenaires » : ainsi commence la tribune (3)  publiée dans Le Monde par un collectif de personnalités. Le mouvement est lancé ; nous le soutenons, et invitons nos lecteurs comme nos lectrices à faire de même en signant l’appel « contre le marché public et la mise en concurrence des associations féministes imposés par le gouvernement, sauvons le 3919 »

Cet article de notre camarade Claude Touchefeu a été publié dans le numéro de décembre 2020 de Démocratie&Socialisme, la revue de la Gauche démocratique et sociale (GDS).

Pour signer l’appel: http://chng.it/gDwnr6822Z

1) Dans la présentation de l’association toulousaine APIAF, membre de la fédération nationale Solidarité Femmes. https://apiaf.fr

2)  Voir par exemple La gazette des communes https://www.lagazettedescommunes.com/95479/de-la-subvention-aux-marches-publics-les-associations-face-a-la-mise-en-concurrence/

3) Pour lire la tribune https://www.solidaritefemmes.org/actualites/tribune-17112020

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