Au cœur de la guerre sociale 784 plans antisociaux
La défense de l’emploi et des salaires sont liées. C’est la ligne de front essentielle. C’est le cœur de la guerre qui se déroule. Il n’y aura pas d’harmonie sociale, sans retour à l’emploi pour tous avec des salaires décents pour tous.
En accompagnement des luttes des salariés concernés, on doit exiger de se donner les moyens juridiques pour dire efficacement « Halte aux licenciements ! ». Ce qui revient à partager du travail, à garantir la hausse des salaires, à imposer au capital qu’il cesse de piller le travail. « Le niveau de rémunération du capital », comme le dit élégamment Stéphane Lauer, éditorialiste du Monde « devient de moins en moins soutenable sur le plan social et écologique ». Cette crise doit être l’occasion de rendre aux salariés les immenses superbénéfices et les dividendes surabondants captés par les actionnaires. Imposer le partage des richesses, cela commence par protéger les emplois. Et aussi de les partager, en réduisant la durée du travail vers 32 h et même 28 par semaine.
Des outils existent
Commençons par exiger le contrôle préalable sur les licenciements, afin d’interdire aux patrons de licencier sans que tout soit fait pour assurer la pérennité de l’entreprise. Les « accords de performance » doivent concerner les patrons et les actionnaires, ils doivent gagner moins et continuer à produire.
En interdisant qu’ils licencient sans autorisation préalable, on place les patrons sous contrôle de leurs salariés et de la puissance publique. Les Comités d’entreprise doivent exercer un droit de veto, et donner ou non leur avis conforme. Les tribunaux de commerce doivent être supprimés. Des commissions départementales mixtes composées des IRP des salariés concernés, des syndicats, de l’Inspection du travail, des Dirrecte et préfets, de la Banque publique d’investissement doivent pouvoir proposer des solutions alternatives aux licenciements.
Des journaux jouent un rôle très utile pour recenser les centaines de plans de licenciements, et étudier et dénoncer, chiffres à l’appui, les mauvaises raisons qu’utilisent les actionnaires pour les mettre en œuvre. Outre les sites syndicaux – celui d’Info’com CGT notamment – et celui de L’Humanité quotidienne et hebdomadaire, on pense à Alternative économique, l’excellent site Bastamag, l’Observatoire des multinationales (Maxime Combes) et, récemment, Médiapart qui a publié le 30 novembre une « carte des plans dits sociaux » (cartesociale@mediapart.fr).
De Sanofi...
À Sanofi, le blocage des licenciements imposerait à la direction de discuter. Car le groupe a dévoilé un plan de deux milliards d’euros d’économies impliquant à terme 1 700 suppressions d’emplois en Europe, dont un peu plus de 1 000 en France. La crise sanitaire actuelle propice à l’activité des laboratoires pharmaceutiques devrait la remettre en cause et le refus d’autorisation de ces licenciements sanctionnerait le patron de Sanofi, Paul Hudson, qui a déclaré que le gouvernement américain serait prioritaire dans l’accès au vaccin contre le Covid-19 au motif que « ce pays partage le risque des recherches ».
Sanofi est un groupe dont 80 % de l’activité en France dépend de la Sécurité sociale et qui bénéficie chaque année de 150 millions d’euros au titre du crédit d’impôt recherche (CIR) et du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE). Il a terminé l’année 2019 sur une croissance de 2,8 % du chiffre d’affaires (36,1 milliards d’euros) et de près de 10 % du résultat net (7,5 milliards). Quatre milliards d’euros de dividendes ont été servis aux actionnaires, soit plus de 11 % du chiffre d’affaires ! Il y a là des arguments plus que solides et le droit, s’il est évidemment associé à une mobilisation sociale d’ampleur, peut imposer le maintien des 1 000 emplois !
… à Auchan
Auchan annonce la suppression de 1 475 postes alors que son chiffre d’affaire, comme celui de toute la grande distribution, a progressé. La direction invoque la crise du modèle de l’hypermarché, mais ça se savait depuis longtemps et les syndicats avaient alerté que les parts de marché étaient rognées de tous côtés par l’essor du hard-discount, du commerce en ligne, des magasins bio, etc. L’enseigne, fondée par la famille Mulliez dans les années 1960, y réalise encore 75 % de ses ventes, contre moins de 50 % pour son concurrent Carrefour, qui a beaucoup développé les magasins de petit format du type « City » ou « Contact » dans les centres-ville.
« Le groupe Mulliez a des devoirs vis-à-vis des salariés qui ont fait sa fortune, et nous proposons donc que les reclassements se fassent au sein du groupe », demande la CFDT. Le « groupe », ce sont toutes les entreprises dont l’Association familiale Mulliez (AMF) est actionnaire : outre Auchan, on dénombre Décathlon, Leroy Merlin, Boulanger, Flunch, Kiabi, Cultura… Un ensemble d’entreprises qui a toujours pris bien soin d’éviter d’être reconnu comme une seule et même unité légale. « Nous allons entamer des actions devant la justice pour faire reconnaître le groupe Mulliez en tant que tel », prévient à juste titre le délégué syndical central de la CGT Auchan. Si une telle démarche aboutit, le plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) devrait tomber sous le coup du refus des licenciement et imposer des reclassements à l’ensemble des enseignes de la famille Mulliez, interdisant le risque de licenciements secs.
À Toulouse comme ailleurs
Airbus et Latécoère : les employés du célèbre équipementier toulousain, sous-traitant de premier rang d’Airbus, sont dans l’incertitude depuis l’annonce par la direction de 475 suppressions de postes (dont la quasi-totalité en Occitanie) sur 1 504 en France.
La région toulousaine, où le secteur aéronautique représente environ 60 000 emplois (soit 8 % de l’emploi privé), est particulièrement touchée. L’inquiétude est d’autant plus grande que le secteur stricto sensu irrigue tout un écosystème. Selon la Chambre de commerce et d’industrie de Toulouse, quand un emploi est menacé dans l’aéronautique, 2,5 emplois le sont dans d’autres secteurs. Dès que le géant européen Airbus est secoué, l’onde de choc se propage. Or, le constructeur a annoncé fin juin son intention de supprimer 5 000 emplois en France, dont 3 600 à Toulouse. Si des accords viennent d’être conclus pour éviter des licenciements secs, il n’en va pas de même chez les sous-traitants, fournisseurs et prestataires de services. L’intervention de la puissance publique dans l’intérêt de l’emploi et des salariés est impérative.
Le hic, c’est que cette intervention fait bien souvent défaut dans le France de Macron. Il en va ainsi dans le cas de Bridgestone où le refus d’homologation du plan de licenciements aurait pu imposer au patron de négocier à de bonnes conditions (voir encadré ci-dessous). C’est également le cas de Nokia, Total, de Rossignol, Mésachrome, Escoval, Société Générale, Bénéteau, La Halle, Cargill…
Que faire ?
Au lieu de « laisser faire, laisser aller » et de donner des « aides » à tire-larigot sans contre-partie, il faut responsabiliser les donneurs d’ordre, interdire plus d’un niveau de sous-traitance, imposer l’alignement des sous-traitants sur la convention collective des donneurs d’ordre, faciliter la reconnaissance des unités économiques et sociales, suspendre les licenciements et les contrôler, tout cela en vue de trouver des alternatives économiques avec des commissions mixtes départementales.
C’est ce que proposait la GDS dès le 6 avril 2020 dans son document « Pandémie et jour d’après » publié dans les colonnes de D&S n°254. Nous ne sommes plus les seuls à vouloir contrôler le tsunami de licenciements qui s’annonce. Un grand consensus devrait pouvoir s’établir à gauche dans la perspective de lutter aujourd’hui contre les sales coups de Macron et de gouverner demain en ce sens.
Cet article de notre camarade Gérard Filoche a été publié dans le numéro de décembre 2020 de Démocratie&Socialisme, la revue de la Gauche démocratique et sociale (GDS)
Le gouvernement a donc laissé délibérément fermer Bridgestone le 12 novembre, en renonçant à utiliser la procédure de « refus d’homologation » qui existe pourtant encore dans le droit du travail. Bridgestone, un des premiers fabricants mondiaux de pneus, c’était 863 emplois à Béthune. 168 millions d’euros d’investissements auraient suffi à sauver l’entreprise, dont 100 millions d’euros en partie publics proposés par le gouvernement. À long terme, pour la collectivité, en termes d’emplois, cette réduction de 6 % dans l’industrie entraînera une perte de près de 4 % de l’emploi total du bassin, soit 2 500 postes en tout. Le coût cumulé sur dix ans de la fermeture sera bien supérieur : il atteindra 228 millions selon les économistes Axelle Arquié et Thomas Grjebine, qui se sont exprimés sur ce point dans Le Monde.