GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Election présidentielle

La droite et les inégalités de patrimoine

Les inégalités de patrimoine ne cessent de se creuser en France après une lente et relative résorption au cours du siècle dernier. Doucement, depuis une quarantaine d’années, couverte par la musique ronflante et assourdissante des débats oiseux des chaînes d’information, pas après pas, la société de classes se reconstitue telle qu’au XIXe siècle – celui des Misérables.

L’alerte a été lancée dès fin 2013 par Thomas Piketty dans son Capital au XXIe siècle1, qui notait que la part du capital hérité dans le patrimoine des ménages – 10% des personnes françaises bénéficient de transmissions supérieures à 325 000 euros2, la moitié n’hérite de rien –, après avoir atteint un minimum de 45 % environ en 1970, allait croissant : elle aurait atteint, selon l’économiste, 60 % au début des années 2010, serait proche de 70 % en 2020 et pourrait s’élever à 80 % à l’horizon 2030-2040.

Vous avez dit mérite ?

Le sujet est rien moins qu’anecdotique pour les recettes de l’État et pour l’économie : le flux successoral, qui profite essentiellement – sinon exclusivement – à la partie privilégiée de la nation, s’élève chaque année à 250 milliards d’euros3. L’État récupère sur ces sommes « tombées du ciel » pour leurs bénéficiaires 15 milliards, soit un prélèvement moyen de 6% ; à titre de comparaison, les sommes gagnées par un individu salarié en échange de son labeur quotidien sont taxées à 11 % au-delà de 10 000 euros annuel, 30 % au-delà de 26 000 euros environ, etc.

Ces données contreviennent frontalement au discours convenu sur « l’égalité des chances » et broient dans les faits l’espoir – largement illusoire en 2021 – pour les personnes nées au sein des 90 % de la population les moins favorisés d’accéder aux écoles, aux filières professionnelles, voire à l’existence de leur choix.

Des voix de plus en plus fortes s’élèvent pour dénoncer cette « démocratie » qui n’a de méritocratique que le nom et encourage la reconduction, génération après génération, du pouvoir politique, économique et médiatique entre les mains d’un groupe extrêmement minoritaire de femmes et d’hommes.

Héritage, le retour ?

Dans le champ de la recherche, économique et sociologique, bien sûr : ainsi, après les travaux de l’OCDE et de France Stratégie et dans leur continuité, le Conseil d’analyse économique (CAE) vient de produire un rapport au vitriol3, fustigeant le « retour de l’héritage » qui « porte en lui le risque d’un dérèglement profond de l’égalité des chances, valeur cardinale des sociétés démocratiques et condition de leur possibilité d’existence à long terme » et dénonçant un dispositif de taxation « mité par des dispositifs d’exonération ou d’exemption (assurance-vie, démembrement de propriété, transmission d’entreprises familiales…) dont les justifications économiques sont faibles ».

Au-delà, et c’est l’une des nouveautés des campagnes des prochains mois, la question de l’héritage s’invite de plus en plus largement dans le débat public. Quantitativement, d’une part : le renforcement des prélèvements sur les successions et les donations est désormais proposé par la quasi-totalité des mouvements de gauche et assimilés4. Qualitativement, d’autre part, avec un alourdissement le cas échéant des taxations envisagées : la FI propose par exemple dans son programme présidentiel 2022 un taux de 100 % pour toute somme héritée à partir de 12 millions d’euros, contre 30 millions en 2017.

La droite aux aguets

Même si des marges de progrès existent en matière de redistribution intergénérationnelle et d’abolition du familiarcat, on ne peut que se réjouir de cette prise de conscience qui promeut un contre-projet commun défendable par toutes les sensibilités progressistes, face au bloc des droites qui, de son côté, prône unanimement un allègement voire une suppression des droits de transmission à titre gratuit.

Valérie Pécresse veut faciliter les dons défiscalisés entre parents au sens large, afin que les individus géniteurs ou adoptants mais aussi les grands-parents, les tatas et les tontons puissent donner davantage, sans être taxé,s à « leurs » jeunes pousses (un groupe de députés emmené par Éric Ciotti a également déposé le 21 octobre dernier un texte visant « à exonérer de tous droits, les successions dont la valeur nette totale de l’actif transmis est inférieure à 5 millions d’euros […] compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à la taxe sur la valeur ajoutée »). Marine Le Pen propose quant à elle de réduire le délai entre deux donations exonérées à dix ans, contre quinze actuellement – elle proposait cinq ans en 2017 – et d’exonérer les biens immobiliers jusqu’à 300 000 euros. Éric Zemmour appelle lui aussi le peuple de France à défiscaliser les dons intra-familiaux tous les dix ans, ainsi qu’à exonérer totalement les transmissions d’entreprises – bien que l’effet ravageur d’une telle mesure sur l’économie ait été démontré5.

Gageons – à l’instar des propositions communes sur le rétablissement de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) ou l’abolition de la flat tax – que la cristallisation de ce nouveau combat contre l’oligarchie héréditaire apporte un peu d’oxygène à l’union des gauches et lui ouvre en 2022 les portes d’une victoire, à laquelle beaucoup n’ont pas cessé de croire.

Cet article de notre camarade Arno Lafaye-Moses a été publié dans le dossier "Programmes de droite" du numéro 291 de Démocratie&Socialisme, la revue de la Gauche démocratique et sociale (GDS).

1. Notamment p. 638-639.

2. Donnée INSEE citée dans Christian Chavagneux, « Rentes : le tabou de la taxation de l’héritage », Alternatives économiques, 11 février 2019.

3. « Repenser l’héritage », Les notes du Conseil d’analyse économique n° 69 (décembre 2021).

4. Cf. le « Tableau comparatif actualisé des propositions à gauche » en ligne sur le site de la GDS (http://www.gds-ds.org/tableau-comparatif-actualise-des-propositions-a-gauche).

5. « Faut-il favoriser la transmission d’entreprise à la famille ou aux salariés ? », Cahiers - Documents de travail de la DG Trésor n° 2013/06 (novembre 2013).

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