GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Le social au cœur Au Parti socialiste

Intervention de Gérard Filoche

Merci de nous avoir présenté, en amont, au BN, ce nouveau projet de loi « sur le dialogue social » qui doit arriver au Conseil d’État dans 15 jours et en conseil des ministres à la mi-avril pour une lecture à l’Assemblée nationale le 20 mai.

Tu l’as présenté comme n’étant « pas une session de rattrapage » de l’échec des négociations entre partenaires sociaux, mais comme une « volonté du gouvernement » correspondant à son document de juillet 2014 soumis au patronat et aux syndicats.

Quatre axes, dis-tu :

1°) Le premier vise à la représentation des salariés et syndicats dans les TPE. C’est bienvenu car dans ces entreprises, c’est le « Moyen Age » en droit du travail. Le choix de supprimer les délégués du personnel (DP) me semble aller dans le sens contraire à celui qu’il faut emprunter. En Allemagne, les délégués commencent à 5 : pourquoi ne pas les imiter en ce cas ? Tu dis « en France les lois existent mais ne sont pas appliquées ; en Allemagne ce sont des contrats, il n’y a pas de lois, mais ça s’applique ». Il y a du vrai là-dedans, mais la cause n’est pas le débat ni choix entre « contrats » et « lois » ; la cause en est le comportement historique profondément différent des deux patronats des deux pays, l’un qui négocie davantage avec les syndicats, l’autre qui les combat.  Si 80 % des entreprises françaises qui devraient avoir des délégués du personnel n’en ont pas, c’est bien de la faute du patronat et de sa mentalité de chasse aux sorcières contre les délégués et les syndicats.

J’avais suggéré, et notre parti avait dû le voter en 1996, d’élargir prérogatives et moyens des « conseillers du salarié ». Ils ont l’avantage d’exister déjà. Ce sont des syndicalistes proposés par leur organisation et nommés par les préfets. Ils n’interviennent que lors des procédures individuelles de licenciements, là où il n’y a pas de délégués du personnel. Il suffirait d’étendre leurs possibilités d’intervenir aux cas de litige dans l’application de conventions collectives. Un numéro vert dans l’entreprise, leur droit d’entrer et de négocier des solutions entre l’employeur et les salariés. Il faudrait seulement qu’ils soient plus nombreux, avec plus d’heures de délégation, et désignés plus démocratiquement en proportion des voix des syndicats aux élections des TPE (puisque je note que tu maintiens celles-ci, ce qui est un volontarisme bienvenu, puisqu’en 2012 sur 4,2 millions de salariés concernés dans 1 million d’entreprises, seulement 420 000 avaient voté, 10 % ; il faudrait améliorer information et mobilisation en 2016).

2°) Au nom du trop grand nombre d’obligations qui, avec « 17 consultations annuelles » et « 12 négociations », entraineraient, selon toi, une « perte de substance » du fonctionnement des Institutions représentatives du personnel (IRP),  tu proposes de « simplifier » et de regrouper CE, CHSCT, DP avec 3 obligations annuelles, information et consultation sur la gestion des personnels  (GEPC ?), sur les orientations économiques et financière et sur les obligations sociales de l’entreprise.

J’objecte que, déjà informations et consultations des élus du personnel et des syndicats ont fortement reculé en pratique depuis que la « banque de données unique » (BDU) (issue de l’ANI du 11 janvier 2013, et de la loi du 14 juin qui en est la traduction) a été mise en place. Avant il y avait des calendriers fixes, trimestriel, semestriel, annuel, où l’employeur devait informer les IRP et consulter (NAO). Depuis que cela est traité au « fil de l’eau », informations et consultations ont reculé. Sans calendrier, sans obligations datées et régulières, la preuve est faite que le patronat ne joue plus le jeu.

3°) Ensuite la suppression des CHSCT signera leur mort. Ce sera un recul considérable par rapport à des décennies de prise en compte progressive et difficile des questions de santé, d’hygiène et de sécurité. Et aussi de ce qu’avaient permis depuis 30 ans, les lois Auroux, rajoutant « CT » à « CHS ».  Mais hélas, il n’y a que 22 000 CHSCT en France, les employeurs se sont arrangés, là où ils étaient pourtant obligatoires, pour ne pas les mettre en place. Rappelons vite que les CE à l’origine étaient les « comités patate » mis en place sous Pétain, qui servaient à distribuer les tickets de rationnement aux salariés ; c’est parce que les questions de sécurité et d’accidents n’arrivaient jamais à l’ordre du jour des « comités patate », que des commissions ad hoc, « CHS » ont été créées. Et ces CHS sont devenus CHSCT en 1982 grâce à nous. Si ces questions sont réintégrées dans les CE, elles seront « squeezées » à nouveau : il n’y aura jamais le temps de les aborder, et plus personne dans les réunions quand elles seront débattues. Je signale qu’il n’existe que 22 000 CHSCT (cf. le seul avis du CES que j’avais fait adopter et qui fut publié en 2001 par le Journal officiel de la République, « bilan de 20 ans de CHSCT ») et qu’ils ne sont pas « envahissants » ni « sédimentés », bien au contraire : il  faut donc du volontarisme pour les développer. Je proposais, à l’opposé, (dans cet avis adopté par le CES) que les CHSCT soient élus et non plus désignés, que la formation de leurs membres soit plus développée, qu’ils aient 20 heures de délégation et non plus 2, qu’ils aient un budget, en fait que le CHSCT soit un second CE aussi important, et non pas absorbé par le CE ! Il faut développer la santé, la sécurité, l’hygiène et la protection des conditions de travail, et non pas la réduire ; or les CHSCT ont l’avantage de voir participer les inspecteurs du travail, les médecins du travail et les agents de la CRAM, ce qui, avec ces regards extérieurs, permet de déjouer la passivité légendaire des employeurs sur ces questions.

Chaque instance a sa fonction, vérifiée depuis longtemps à l’usage, et qui ne sont pas « redondantes » : les DP pour les questions individuelles, les CE pour les questions collectives économiques et sociales, les CHSCT pour les conditions de travail. Vouloir mêler cela en une seule instance, quand bien même il y aurait le même nombre d’heures de délégation, sera confusionniste, trop lourd, et finalement impraticable. Déjà sous la forme actuelle les employeurs ne respectent pas les IRP ; sous une forme fusionnée, ils s’en moqueront et expédieront au galop les points à l’ordre du jour, usant les participants. Ça se fera donc au détriment de chacune des fonctions fusionnées. Et les personnalités morales des instances, le pouvoir d’ester en justice, le droit à l’expertise, le droit à la formation, les budgets seront diminués d’autant.

4°) Enfin, garantir « en échange » la représentation syndicale, valoriser les parcours professionnels contre les discriminations patronales sévères qui existent, oui, ça peut rassurer, sinon être une monnaie d’échange pour les cadres syndicaux pendant que diminuent d’autres droits pour les salariés. Mais si on veut séduire les syndicats… pourquoi ne commence-t-on pas par reprendre l’amnistie syndicale, que tu as votée en son temps, au Sénat, François Rebsamen ?

Je voulais ensuite et surtout, souligner, qu’il y a un problème grave et nouveau autour de la définition du contrat de travail : la planète « internet » s’est moquée de toi, François Rebsamen, parce que tu as dit au Sénat le 11 mars que « Le contrat de travail n’impose pas toujours un rapport de subordination entre employeur et salarié : il est signé par deux personnes libres qui s’engagent mutuellement ». Actuellement « ce qui caractérise un contrat de travail est un lien de subordination juridique permanent » et le fait qu’il est passé entre deux parties inégales. Ton ministère l’affiche encore, et la Cour de cassation l’a dit mille fois. Chacun sait que le salarié n’est au même niveau dans le contrat que son employeur. Dans l’entreprise, il n’existe pas de citoyenneté, pas d’égalité, pas de liberté ; c’est l’employeur qui décide de la naissance du contrat, de la gestion du contrat, de la rupture du contrat, de l’exécution des tâches et de leur sanction en termes de salaire. Il n’existe pas de volontariat en droit du travail, ni le dimanche, ni les autres jours. Essayez de travailler le dimanche si votre patron ne le veut pas. Essayez de ne pas travailler le dimanche si votre patron le veut. Le salarié est « subordonné », il n’est pas un « collaborateur ». C’est pour cela qu’il y a des contreparties à la subordination, et c’est le droit du travail. C’est parce que les salariés sont subordonnés qu’ils sont spécifiquement protégés par un code ad hoc, le Code du travail. Même si leur contrat écrit individuel imposé par l’employeur et signé par eux, comporte des clauses illicites, léonines, il est réputé ne pas compter ; il est alors illicite, le code l’emporte.

C’est pourquoi les réactions sur internet à tes propos, du 11 mars sont infondées : il n’y avait pas de raison de se moquer de toi à ce sujet. Car vous vous engagez dans une rupture radicale avec cet ordre public social. Et, en effet, tu t’adaptais très bien à la nouveauté que représente le projet de loi Macron art. 83, lorsqu’il supprime la précision qui, dans le Code civil (art. 2064 et loi du 8 février 1995) distingue les contrats civils de gré à gré : ce qui permet d’ouvrir des nouvelles relations de travail qui ne dépendent plus du code, lesquelles, comme tu disais « seraient signées entre deux personnes libres qui s’engagent mutuellement ». Tu t’adaptais dans tes propos à la nouvelle loi qui permet à des contrats d’échapper au code du travail. Par des contrats civils dérogeant à l’ordre public social qui jusque-là s’imposait à tout employeur et salarié. C’est effectivement quelque chose de fondamental en théorie : le Medef avait organisé en mars 2011, dans ses locaux de Wagram, un colloque sur la « soumission librement consentie », ils disaient avec leur accent anglais aussi mauvais que le mien : « compliance without pressure ». C’est ce que vous êtes en train d’adapter avec le projet de loi Macron. Il ne s’agit pas d’invoquer « un peu de libre arbitre » qui existe bien sûr, de toute façon, il s’agit d’enlever la notion de subordination pour enlever la notion de contrepartie !

Du « libre arbitre », évidemment il y en a dans l’exécution de tout travail (avec droit d’alerte, de retrait), mais pas dans le respect de l’ordre public social. Le repos dominical est d’ordre public social. L’ordre public social, les lois de la République, l’état de droit dans l’entreprise  s’imposent à tous. Un contrat individuel de gré à gré entre « deux personnes libres » ne devrait donc pas permettre de déroger au Smic, aux 35 h, au port des chaussures de sécurité, etc. Mais ce n’est pas une erreur, ni une imprécision : vous ouvrez la brèche.

C’est pour cela, puisqu’on est consulté en amont, que je demande au BN de prendre parti, avant le retour à l’Assemblée en mai, après le Sénat en avril, et avant un éventuel nouveau 49-3, de demander que soit supprimée la remise en cause de l’article 2064 du code civil et de la loi du 8 février 1995 dans l’article 83 de la « petite loi ».

Je n’ai plus de temps pour évoquer la gravité du décret du 2 février  concernant la diminution de la protection des enfants de 14 à 18 ans au travail, afin de les rendre plus « employables » par les patrons. Je trouve que ce décret devrait faire se lever des boucliers d’indignation. Je ne peux non plus parler des doutes sur la « carte professionnelle », sur la fin du délit d’entrave…

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