GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Economie Théorie Histoire

Pourquoi nous sommes éco-socialistes !

Frédéric Lutaud est membre du Bureau national et premier signataire de la contribution commune Oser un Éco-socialisme Solidaire et Démocratique. Cet article est paru dans la revue Démocratie&Socialisme de mars.

Démocratie Socialisme et la motion 4 Oser Plus Loin Plus Vite ont rédigé une contribution commune éco-socialiste qui a créé la surprise au Parti socialiste. En refusant le prêt-à-penser qui consiste à baisser la garde sur le terrain économique et social pour adopter des préoccupations environnementales, nous faisons la démonstration que le socialisme est bien vivant. Car c’est en marchant sur ses deux jambes, le social et l’écologique, que le socialisme peut poursuivre son combat historique pour l’égalité réelle, tout en refusant de se laisser enfermer dans le carcan périmé de la gauche productiviste. Notre écologie n’est pas un supplément d’âme, c’est un projet de transformation sociale. Explication.

Depuis le début du quinquennat, la situation s’est terriblement dégradée. Le « changement » attendu lors de la campagne électorale n’a pas eu lieu, en tout cas pas sur le terrain économique et social. Nous constatons tous les jours combien la politique du gouvernement se situe dans le prolongement de la doxa libérale. La solution à la crise serait la baisse du « coût du travail », la compétitivité de nos entreprises, l’allongement des cotisations retraite, le travail du dimanche, la dérégulation du droit du travail, le remboursement de la dette… Non seulement cette politique a échoué partout où elle a été appliquée mais elle ne cesse de décrédibiliser l’action de la gauche. « Le redressement dans la justice » promis par le candidat François Hollande se traduit par un creusement des inégalités et l’augmentation du chômage de masse. La pauvreté et l’exclusion gagnent du terrain poussant les plus fragiles dans les bras du Front national. « De plus en plus de Français en sont réduits à survivre », voilà ce que nous rapporte la dernière enquête du Secours Populaire. Par contre, les dividendes explosent (+30,3 % en 2014), la fortune des 500 plus riches atteints des sommets avec 390 Mds € (+25 % en 2013 et +15 % en 2014). L’enrichissement des élites a pour conséquence l’augmentation du nombre de milliardaires sur notre territoire. Ils sont désormais 67, soit 13 de plus que l’an dernier. Ce sont bien les seuls à connaitre les bénéfices d’un « socialisme de l’offre » qui tourne le dos à tous nos engagements, et n’apporte aucune réponse ni au chômage ni à la souffrance au travail pourtant qualifiée de « défi prioritaire » par l’OCDE. Nous sommes « éberlués par cette politique qui va contre notre histoire » pour reprendre les mots employés récemment par Pierre Joxe.

Un tel degré de renoncement a pour seule vertu de questionner notre identité socialiste. Si la politique menée atteint des objectifs inverses à ceux recherchés, en quoi une orientation socialiste doit elle se distinguer des pratiques actuelles ? D’abord dans sa capacité à répondre à l’urgence sociale. La France n’a jamais été aussi riche et la pauvreté qui règne dans notre pays est indigne d’une politique socialiste. Le partage des richesses est ce qui nous distingue radicalement d’une politique de droite. Celui-ci passe obligatoirement par le rééquilibrage de la part des salaires dans sa répartition avec le capital. C’est le combat mené depuis toujours par la gauche pour l’augmentation du salaire de base. Aujourd’hui, 24% des SDF travaillent. Rien ne saurait justifier une activité dont la rémunération ne répond pas aux besoins de celui-qui l’exerce. Le rapport que vient de publier l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale (ONPES) démontre que la moitié de la population française se serre la ceinture. Gagner le Smic implique des restrictions de l’ordre de 20 % par rapport au budget de référence permettant de vivre dignement, les minima sociaux révélant des écarts de l’ordre de 40 à 50 % par rapport au budget de référence. La détresse sociale n’est pas une invention, mais bien une réalité.

Le partage des gains de productivité passe aussi par une diminution du temps de travail qui permettra aux entreprises d’embaucher. Ce levier indispensable pour lutter contre le chômage de masse est un enjeu prioritaire. Les gains de productivité n’ont pas vocation à alimenter exclusivement les revenus du capital. Nous produisons de plus en plus avec de moins en moins de travail humain. Il faut donc en tirer toutes les conséquences. Être socialiste, c’est refuser l’appropriation de la richesse collective au profit des seuls propriétaires des outils de production. Ce combat historiquement fondateur de notre courant politique est plus que jamais d’actualité, mais nous en ressentons aussi les limites. Les Trente glorieuses pourtant héritières du programme du Conseil National de la Résistance n’ont pas réussi à faire obstacle à la résurrection d’un capitalisme actionnarial prédateur. Le néo keynésianisme prôné aujourd’hui par une partie de la gauche ne saurait suffire à inverser la tendance. Les politiques de relance par la croissance, la consommation et la réindustrialisation relèvent d’une nostalgie productiviste erronée à bien des égards. Le combat pour le partage de la richesse ne peut se suffire à lui-même car il n’interroge pas la nature et les conditions mêmes de la production de cette richesse. La répartition n’est qu’une partie du problème. Une gauche de transformation sociale a le devoir de proposer une alternative à l’économie libérale et celle-ci repose sur la mise en œuvre d’un nouveau modèle de développement.

Marx termine le livre I du capital par ces mots : « la production capitaliste […] se développe en épuisant en même temps les deux sources d’où jaillit toute richesse : la terre et le travailleur ». Autrement dit, il anticipe les modalités de la crise écologique et sociale contemporaine. La surexploitation des ressources naturelles est consubstantielle à celle de la masse salariale. Leurs destins sont liés. C’est pourquoi il convient de dénoncer la falsification idéologique qui consiste à laisser entendre que la croissance résoudrait le problème du chômage et de la pauvreté. L’augmentation de la richesse produite n’a jamais garanti sa meilleure répartition. Et une meilleure répartition des richesses ne nous protège pas d’une utilisation excessive des ressources naturelles, et plus particulièrement des énergies et des minerais. Au contraire, la croissance continuelle de la production matérielle nous pousse de plus en plus au bord du précipice écologique. Le réchauffement climatique et, d’une façon plus générale, le saccage catastrophique de l’environnement sous toutes ses formes, nous conduit à « la destruction du monde », comme l’a encore rappelé le Club de Rome en 2012.

Il ne suffit donc pas de repeindre en vert le processus de production, invoquant une « croissance durable » qui intègrerait les nouvelles contraintes écologiques, mais de proposer une mutation qui rentre en contradiction avec le fonctionnement du capitalisme. Tout l’enjeu de l’éco-socialisme est là : changer le cadre de l’actuel mode de production qui empêche de limiter ou de bloquer la croissance tout en répartissant plus équitablement les biens disponibles. Le capitalisme fonde une partie importante de ses profits sur l’accélération des cycles de production et la création de besoins artificiels. L’obsolescence programmée, la mode, le marketing, la publicité et, d’une façon générale, la surconsommation qui sévit dans tous les pays développées en sont les principes moteurs (d’autant plus actifs qu’une partie croissante de la population voit sa consommation réduite). Ce n’est qu’en se dégageant de cette logique productiviste que nous serons en mesure de proposer une décroissance matérielle qui puisse apporter à tous un confort équivalent, sinon supérieur, à celui que nous connaissons. Notre éco-socialisme, loin d’être un idéalisme, est une utopie concrète qui prend racine dans l’existant. Des bâtiments à énergie positive avec mutualisation de services domestiques (buanderie, salle de jeu…), des transports en commun efficaces pour se déplacer sans embouteillages, une économie circulaire pour le recyclage de tous nos déchets, des matériaux inusables ou presque, des produits réparables et améliorables grâce à des mises à jour continuelles, une agroécologie respectueuse de la biodiversité et de la santé publique, la sphère marchande sera réduite au nécessaire, nous libérant ainsi du superflu. Nous travaillerons 20 h par semaine (peut-être moins) pour mieux nous consacrer à ce qui relève de notre développement personnel, de nos activités sociales et créatives. Imaginez chaque quartier, chaque commune disposant de « fab labs », ateliers ouverts jour et nuit, équipés d’imprimantes 3D, d’ordinateurs, d’outils, de machines, et où nous pourrions individuellement ou collectivement produire hors marché, le superflu, selon nos goûts et désirs. Bref, selon des procédés responsables, sans gaspillage, sans exploitation de son prochain et dans le respect de notre environnement. C’est ce que nous appelons la sociale écologie, autrement dit l’éco-socialisme.

Pour cela nous devons combattre la finance de marché et ses exigences de rentabilité à deux chiffres. Mais aussi en finir avec un système monétaire absurde qui adosse le volume de la masse monétaire actuel au volume de crédits et nous pousse à la recherche d’une croissance continuelle. Celui-ci sera remplacé par l’injection de monnaie permanente à l’abri des cracks boursiers et des bulles spéculatives. Les gains de productivité doivent libérer du temps sur le travail en abaissant la durée légale en-dessous des 35 h afin de vaincre le chômage de masse et renouveler la citoyenneté. La compétitivité, qui n’est que l’autre nom de la concurrence généralisée entre les travailleurs, doit laisser place à une économie sociale et solidaire où le salarié pourra révoquer définitivement le lien de subordination hérité d’un autre âge.

Si l’on devait résumer, notre éco-socialisme s’attaque aux banquiers pour sauver la banquise, il refuse de faire de nous des consommateurs asservis au dogme de la croissance, mais souhaite construire les principes d’émancipation où, comme le disait Marx, « À la place de l'ancienne société bourgeoise, avec ses classes et ses antagonismes de classe, surgit une association où le libre développement de chacun est la condition du libre développement pour tous ».

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