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Rebsamen : « le contrat de travail n’impose pas toujours un rapport de subordination »

« Le contrat de travail n’impose pas toujours un rapport de subordination entre employeur et salarié : il est signé par deux personnes libres qui s’engagent mutuellement ». François Rebsamen ministre du travail, le 11 mars, au Sénat.

Ce n’est pas une anecdote, ce n’est pas une maladresse, ou une ignorance qui prête à rire, ce n’est pas du domaine du simple coup de poignard dans le Code du travail, mais cela relève, en concordance avec le projet de loi Macron, de la tentative consciente délibérée, réfléchie avec le Medef, de liquidation au bazooka, sur le fond, du Code du travail dans ses fondations. Voyons pourquoi :

Ce qui caractérise un contrat de travail est un « lien de subordination juridique permanent » selon le Code du travail. Il n’y a pas de citoyenneté dans l’entreprise, il n’y a pas d’égalité, il n’y a pas de liberté, le salarié est subordonné. Le contrat de travail n’est pas signé entre deux parties égales. C’est l’employeur qui décide de la naissance du contrat, de la gestion du contrat, de la rupture du contrat ; il définit vos tâches et décide de votre salaire et de vos horaires, et, en échange de votre subordination, vous avez des droits, ceux qui sont contenus et définis dans le Code du travail. C’est parce que vous êtes subordonné que vous avez une contrepartie à la subordination. C’est parce que l’employeur décide pour vous que ses décisions sont encadrées et que des lois et conventions vous protègent. Un contrat de travail est « synallagmatique » : les deux parties qui le signent s’obligent du même coup, même si ce n’est pas écrit dans le contrat de travail, à respecter les obligations du Code du travail. C’est la loi qui l’emporte ainsi sur le contrat. Les deux parties n’étant pas à égalité, par la signature du contrat, les contractants s’obligent réciproquement l’un envers l’autre à respecter le Code du travail. Ce qui dans le contrat est contraire à la loi, est réputé ne pas exister, ne peut être invoqué. Tout engagement non causé, c’est-à-dire ne possédant pas de justification juridique, est nul.

Il a fallu un siècle et demi depuis le rapport du Dr Villermé sur la santé physique et morale des travailleurs dans les fabriques en 1840 pour que, peu à peu, ces droits assurent au salarié subordonné, une protection en matière de santé, sécurité, hygiène dans les conditions de travail, une dignité en matière de respect de la personne et du collectif de travail, des garanties en matière de salaires et de durée du travail, de repos, un minimum de respect avec les institutions représentatives du personnel et face au licenciement. Le préambule de la Constitution française de 1946 repris en 1958 précise que « les salariés s’expriment par l’intermédiaire de leurs délégués et participent ainsi à la gestion des entreprises ». La Déclaration universelle des Droits de l’homme en 1948, la Charte européenne des Droits de l’homme en 1999, la convention 158 de l’OIT garantissent la protection contre les licenciements : le salarié subordonné doit être informé, le motif du licenciement doit lui être communiqué, il doit pouvoir se défendre et bénéficier d’un recours.

Depuis des décennies, le CNPF puis le Medef s’acharnent contre ces droits qui leur ont été imposés par les lois de notre République.

Le Medef a tenu un colloque le 29 mars 2011 sur « la soumission librement consentie » afin de remplacer la « notion de subordination ». Il s’agit de prendre appui sur un concept de psychologie sociale (Compliance without pressure) introduit par Freedman et Fraser en 1966 : c’est un procédé de persuasion qui conduirait à donner l’impression aux individus exposés à ces procédures d’une soumission librement consentie, bien connu dans les pays anglo-saxons. Leur intérêt est de conduire à la responsabilisation des acteurs qui en arrivent à modifier librement leur comportement et à intérioriser les traits ou les valeurs qui vont en assurer la pérennité (garder leur emploi à tout prix, par exemple, renoncer au Smic, aux 35 h, aux prud’hommes…). Le but est de soumettre le salarié afin qu’il renonce à ses droits. Il s’agit de mettre fin à la spécificité du contrat de travail, de le remplacer par un contrat de type civil, de gré à gré, qui ne soit plus soumis à des règles légales et conventionnelles, collectives.

Le colloque du Medef n’est pas resté platonique : il a réussi à inspirer un projet de loi (« Macron ») parvenu en 2015 sur le bureau de l’Assemblée nationale qui abroge une restriction de l’article 2064 du Code civil excluant le contrat de travail des conventions amiables de gré à gré ! (Cf. à la fin de l’article 83 chapitre II droit du travail section I Justice prud’homale p. 61) C’est une tentative qui peut paraître à la fois sophistiquée et grossière, ou laisser incrédule, mais qui ne fait aucun doute car elle est explicitement confirmée par la proposition de modifier une autre partie de loi, celle du 8 février 1995… Il s’agit de déplacer le droit du travail vers le droit civil, qui ne sera pas plus protecteur, n’étant plus soumis aux prud’hommes mais aux tribunaux civils…

Et voilà que le ministre du travail François Rebsamen, au risque d’apparaître néophyte, malhabile et ignorant, et de faire s’esclaffer de rire tous les spécialistes du droit du travail, déclare le 11 mars, devant une commission du Sénat :

« Le contrat de travail n’impose pas toujours un rapport de subordination entre employeur et salarié: il est signé par deux personnes libres qui s’engagent mutuellement. Dans les situations de plein emploi, c’est même l’employeur qui recherche les salariés… »

Cela va contre les fondements mêmes de notre Code du travail depuis 1892, 1898, 1906 et 1910. Le ministère du Travail continue d’expliquer sur son site que :

« Le contrat de travail existe dès l’instant où une personne (le salarié) s’engage à travailler, moyennant rémunération, pour le compte et sous la direction d’une autre personne (l’employeur). Le plus souvent, le contrat de travail doit être écrit. Son exécution entraîne un certain nombre d’obligations, tant pour le salarié que pour l’employeur. »

Et la Cour de cassation définit le lien de subordination :

« Caractérise le lien de subordination l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné. »

Ce qui constitue un principe juridique évidemment valable en période de plein emploi comme en période de chômage de masse.

Il ne faut donc pas prendre la « petite phrase » de François Rebsamen à la légère, car, venant après les travaux et volontés du Medef (cités ci dessus), venant au moment où le projet de loi Macron modifiant l’article 2064 du Code civil afin de supprimer la spécificité des relations de travail et abrogeant aussi l’article 24 de la loi n° 95-125 du 8 février 1995, nous avons affaire à une tentative de contre révolution théorique et pratique, fondamentale dans l’histoire du droit du travail depuis 130 ans.

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