Instabilités politiques : gouverner dans le chaos
« Souverän ist wer über den ausnahmezustand entscheidet »1. C’est ainsi que le président Emmanuel Macron cite en allemand une phrase du juriste nazi Carl Schmitt lors d’une discussion avec Arié Alimi. Depuis son élection en 2017, le président multiplie les provocations tant au niveau international qu’au niveau national. L’état d’exception, c’est sa préférence. (Tribune libre de Jérôme Gleizes pour Démocratie&Socialisme, datant du 5 août 2024).
Lors du COVID tous les conseils des ministres étaient précédés d’un conseil de défense à huis clos. Les présidences Macron sont responsables du déclin français2 dont il prétend être en capacité d’y mettre fin. Depuis son élection, la croissance est en moyenne de 1,37 %3 alors que celle de l’Union européenne, déjà très faible par rapport au reste du monde, est de 1,72 %. Parmi les grands pays, seule l’Italie fait pire avec 1,26 %. Sur la même période, la dette publique a augmenté de 839 milliards. Le taux de chômage semble s’être réduit de 9,6 % à 7,4 % de la population active. Mais cela reste très relatif car, selon la Dares, les autres catégories d’inscrits à France Travail ont augmenté entre 11,94 % et 12,13 % ; les plus de 50 ans de 2,16 %, du fait des modifications des conditions d’entrée dans la retraite ; l’ancienneté de chômage progresse de 7,75 %. Le président accentue plus le risque de fascisation qu’il ne l’atténue4.
Gouverner dans l'adversité ?
Pour contrer cela, le Nouveau Front Populaire va-t-il gouverner ? Après la réélection de Yaël Braun-Pivet, nous savons aujourd’hui que se sera dans l’adversité. Emmanuel Macron continue sa stratégie du chaos pour mieux préserver son pouvoir. Le sursaut des forces progressistes de gauche et écologiste a eu lieu avec la création du Nouveau Front Populaire mais cela reste insuffisant pour réaliser la bifurcation géopolitique, écologique et économique indispensable pour répondre à toutes les crises actuelles. Il faut sortir de l’instabilité créée en permanence par Macron tout en résistant à la peste émotionnelle qui alimente le Rassemblement National
Quatre instabilités
La première instabilité est constitutionnelle et va peut-être accélérer le passage à la VIème République comme lors de la crise de 1958 qui a conduit à la Vème. Alors que le camp présidentiel s’est écroulé lors des législatives, comment pouvons-nous continuer à avoir la même présidente de l’Assemblée nationale et le même premier ministre ? Comment un président peut-il continuer à gouverner sans contre-pouvoirs ? Créer le chaos institutionnel avant les Jeux Olympiques et Paralympiques pour ensuite s’appuyer sur ceux-ci pour préserver son pouvoir est dans la logique schmittienne de l’état d’exception. Il a utilisé l’article 12 de la Constitution pour dissoudre l’Assemblée nationale le 9 juin après les résultats de l’élection européenne. L’article 8 de la Constitution lui attribue le pouvoir de nommer le Premier ministre, mais, en cas de cohabitation, la responsabilité du Gouvernement devant l’Assemblée nationale, telle qu’elle découle des articles 49 et 50 de la Constitution, a pour conséquence de choisir une personnalité que la coalition majoritaire à l’Assemblée nationale considère comme leur représentante.
La deuxième instabilité est économique avec la Procédure concernant les Déficits Excessifs prise par la Commission européenne le 8 juillet
en vertu de l’article 126 du TFUE. Nous devrions présenter d’ici le 20 septembre un “plan budgétaire et structurel national à moyen terme”. Cette procédure peut entraîner une pénalité allant jusqu’à 0,1 % du PIB, soit près de 2,5 milliards d’euros. Toujours et encore créer le chaos. Jamais autant d’argent public sous Macron n’a été versé à des entreprises sans contrepartie, plus de 800 milliards de dettes supplémentaires. Mais comme il n’y a plus de gouvernement, un plan d’ajustement structurel comme ceux imposés par le FMI aux pays du Sud n’est pas à écarter.
La troisième instabilité est géopolitique (4). Tous les yeux de la planète sont braqués sur la France et le premier évènement mondial, les Jeux Olympiques et Paralympiques. Les tensions au Moyen-Orient n’ont jamais été aussi élevées. Le génocide continue à Gaza. Le gouvernement israélien continue à faire des assassinats ciblés sans engager aucune processus de paix sérieux.
La quatrième instabilité est la tripolarisation du champ politique français avec une extrême-droite qui attire ce qui reste de la droite, un camp présidentiel qui préserve ce qui reste du bloc bourgeois5 et un bloc de gauche qui se reconstruit autour d’un programme en rupture avec la période Hollande. Chaque pôle a ses propres dynamiques mais avec la NUPES puis le NFP c’est trois pôles se stabilisent.
Préserver l'unité
Le temps n’est pas un allié car la situation se dégrade en continue. Le RN se cache derrière une racialisation des rapports sociaux au lieu de répondre aux vrais enjeux mais surtout prépare l’élection d’après jusqu’à sa victoire. Face à cette situation, le NFP a un chemin étroit avec peu de leviers si ce n’est son unité, malheureusement gâchée par des querelles de personnes.
Cet article de Jérôme Gleizes, conseiller de Paris écologiste, est paru en tribune libre dans le numéro 316 (juillet-août 2024) de Démocratie&Socialisme, la revue de la Gauche démocratique et sociale (GDS).
Notes
1.« Est souverain celui qui décide de l’état d’exception » Carl Schmitt, Théologie politique, Paris, Gallimard, 1988 p.15
2.« Emmanuel Macron et le déclin français », Politis, 24 avril 2024
3.Tous les calculs sont réalisés à partir des données d’Eurostat.
4.« La fascisation du monde », Politis, 12 juin 2024
5.L’illusion du bloc bourgeois. Alliances sociales et avenir du modèle français, Bruno Amable, Stefano Palombarini, Raisons d'agir, 2017, Paris, 178 p., ISBN : 9782912107909.