Philippe Corcuff et Philippe Marlière viennent de publier aux éditions Textuel un petit livre « coup de gueule » intitulé Les Tontons flingueurs de la gauche. Ils y défendent l’idée que la gauche s’est faite flinguer par les dirigeants qu’elle s’était donnés. Focus sur un ouvrage rafraîchissant.

Les deux Philippe s’adressent à six dirigeants politiques, dont deux ont portés au pouvoir en trompant l’électorat de gauche, François Hollande et Emmanuel Macron, et quatre sont des prétendants déçus ou peut-être promis à l’échec : Jean-Luc Mélenchon, Fabien Roussel, François Ruffin, Michel Onfray. Chacun reçoit sa lettre dans laquelle les auteurs rappellent les (rares) actions qui font honneur au destinataire et les orientations antidémocratiques (trop fréquentes) qui expliquent son échec final ou annoncent le fiasco à venir.

Ni dieu, ni césar, ni tribun

La principale leçon qui se dégage de la lecture de ce petit ouvrage, c’est que la solution à la crise de la gauche ne se trouve pas dans la découverte du sauveur. Le large éventail des orientations que les auteurs ont sélectionnées laisse échapper celle de l’écologie, mais on devine vite que, quelle que soit la personnalité écologiste mise à l’épreuve, son bilan serait « globalement négatif » puisque c’est l’appréciation uniforme que recueillent les six examinés. Pourtant, de François Ruffin à Emmanuel Macron, on couvre davantage que la palette de la gauche, puisque Macron invente le « centrisme » d’extrême droite.

La présence de l’actuel président de la République dans le panel étudié est d’ailleurs une incongruité, car si, dans le passé, il a pu se réclamer de la gauche, depuis longtemps il ne s’y risque plus (de peur d’être traité de menteur ?). Le traitement réservé aux six examinés est très inégal, mais il évite à ce tribunal de devenir un outil de campagne de l’un d’entre eux.

On se retrouve davantage avec les deux auteurs, quand ils écrivent, à la fin de leur petit ouvrage, que la gauche, toute la gauche est « en panne d’imaginaire ». Les deux Philippe d’ajouter : « Elle ne propose aucun récit politique qui puisse passionner et rassembler, susciter l’espérance et rassurer celles et ceux qui subissent des injustices, des inégalités et des discriminations ». Mais gageons que le Nouveau Front populaire constitue un regroupement pérenne à même de créer une alternative à vocation majoritaire.

Épitaphes à des fossoyeurs

Pour Hollande et Macron, il était impossible de trouver une action suffisamment positive pour faire jeu égal avec une seule des très nombreuses mesures scélérates qu’ils ont imposées. L’un peut invoquer le « mariage pour tous » en oubliant que la durée de cette campagne tentait de détourner l’attention de la politique de droite mise en œuvre. L’autre peut invoquer ses déclarations de soutien à l’Ukraine en oubliant que c’étaient surtout des déclarations.

Pour critiquer Mélenchon et Ruffin, les deux Philippe ont dû déterrer quelques formules ambiguës, frisant le nationalisme, prononcées par les deux examinés, sans qu’elles puissent faire le poids face au profil nettement de gauche qu’ils affichent et sans tenir compte de leur évolution ultérieure.

L’évolution très droitière – et même extrême droitière ! – opérée par Onfray depuis de nombreuses années est clairement dénoncée. L’orientation très sectaire de Roussel qui, comme la droite d’EELV et du PS, se plaît à diviser la gauche, n’est pas, en revanche, critiquée par les deux Philippe autant qu’elle le mériterait. Il faut peut-être y voir une sous-estimation de la nécessité d’une stratégie d’unification de la gauche.

Sauvons-nous nous-mêmes !

Le but que les deux Philippe proposent est celui d’une gauche de l’émancipation qui construise une « coalition électorale majoritaire » et qui, pluraliste, surmonte l’opposition réformisme / révolution.

S’inspirer de Rosa Luxembourg et de Pierre Mendès-France, comme les deux Philippe, devrait permettre d’aller plus loin, d’être plus précis et de se prononcer pour un parti qui, librement constitué, unifie toute la gauche en son sein. Le parti unitaire de la gauche, non un parti unique imposé, mais un parti respectueux de tous ses courants.

Cet article de notre camarade Pierre Ruscassie est à retrouver dans le numéro 316 de Démocratie&Socialisme, la revue de la Gauche démocratique et sociale (GDS).

Philippe Corcuff et Philippe Marlière, Les Tontons flingueurs de la gauche.

Lettres ouvertes à Hollande, Macron, Mélenchon, Roussel Ruffin, Onfray,

Éditions Textuel, coll. Petite encyclopédie critique, mai 2024, 96 pages 11,90 euros