GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Economie Théorie Histoire

Individualité, citoyenneté et marché

« Economie de marché et société de marché »

Depuis que Lionel Jospin a proclamé « Oui à l’économie de marché, non à la société de marché ! » cette formule sert de couverture à tous les sociaux-libéraux. Aucun d’entre eux ne se risque, pour autant, à en préciser le sens et, surtout, à indiquer les critères qui permettraient de distinguer une « société de marché » d’une « économie de marché ».

Le grand sociologue anglais, Karl Polanyi, auteur en 1944 de la « La grande Transformation » avait son idée sur la question. Elle était limpide : « Une économie de marché ne peut exister que dans une société de marché ». Il ne s’arrêtait pas là et précisait ce qu’était une économie de marché : une économie où le marché se régule lui-même. Une économie où la concurrence, pour reprendre les termes du projet de Constitution européenne, est « libre et non faussée » ; non faussée par des lois sociales, des services publics ou des politiques publiques qu’elles soient monétaires ou industrielles.

Cette conception des relations entre économie de marché et société de marché est autrement efficace pour comprendre la société dans laquelle nous vivons que la formule creuse répétée doctement par nos sociaux-libéraux. Elle permet de comprendre en quoi une économie où l’homme, la nature, la monnaie sont soumis à des marchés autorégulés ne se limite pas à la sphère économique mais bouleverse, au contraire, l’ensemble de la société. Une société qui détruit l’homme et transforme son milieu en désert.

Pour la construction des automobiles, des ordinateurs, pour le choix de la forme des vêtements ou de la couleur des chaussures, le marché joue un rôle irremplaçable. Mais le marché de travail doit être strictement encadré par la démocratie, par des droits égaux pour tous si nous voulons préserver la substance même de la force de travail : l’être humain. Pour sauvegarder « les droits des générations futures », certains biens doivent même être considérés comme des « biens publics » et ne plus être soumis aux aléas des marchés : la monnaie, l’air, l’eau, les océans, l’éducation, la santé, la recherche fondamentale…

Le socialisme, le travail, l’être humain et le marché

Pendant tout le 19ème siècle, le salariat n’a cessé de se battre pour se protéger contre la jungle libérale, contre un marché du travail autorégulé, laissant face à face, pot de terre contre pot de fer, le salarié et l’employeur. Il a fallu plus d’un siècle et demi d’innombrables luttes ouvrières pour que se construise un droit du travail qui a fait d’une relation individuelle entre un salarié et son employeur une relation collective permettant au salarié de disposer de droits qu’il n’aurait jamais pu obtenir individuellement. Grâce à ces droits, l’existence des salariés n’a plus été soumise à l’impératif d’un travail quotidien pour survivre : protection contre les licenciements abusifs, congés payés, durée légale du travail, allocations familiales, retraites, assurance-maladie, assurance-chômage, conventions collectives… Un véritable statut salarial a commencé à s’édifier.

Depuis le tournant néolibéral de la fin des années 1970, le Capital utilise l’arme du chômage de masse, pour reprendre petit à petit tout ce que plus d’un siècle de luttes sociales l’avait obligé à concéder. Denis Kessler, ancien vice-président du Medef, a récemment reconnu que, sous une apparence de « patchwork », la politique de Sarkozy était cohérente et visait à remettre en question le programme du Conseil National de la Résistance : la Sécurité sociale, les retraites, les conventions collectives, le statut de la fonction publique… Mais ce que vise le Medef va bien au-delà. Il ne veut plus payer que le seul travail productif. Il veut le retour au contrat de « gré à gré », au pot de terre contre le pot de fer, au salarié seul face à son employeur. Ce que vise le Capital c’est le retour à la jungle d’un marché du travail se régulant lui-même, sans que la société puisse intervenir en imposant des droits égaux pour tous, un Code du travail protecteur des droits de chaque salarié.

Une bonne partie du chemin a, malheureusement, déjà été parcourue. Les lois Balladur et Fillon réduiront, dans 25 ou 30 ans, la grande majorité des retraités à la pauvreté et livrent les autres à l’appétit des fonds de pension. La loi Douste-Blazy réduit l’hôpital public à la portion congrue et organise la privatisation de l’assurance-maladie avec comme seule perspective la possibilité de se soigner en fonction de l’épaisseur de son portefeuille. Le démantèlement de l’assurance-chômage a été l’objet des attentions répétées de la Droite mais aussi, hélas, de la Gauche (1984 et 1992). Le chômage de masse s’est incrusté profondément, le travail se précarise, les salaires stagnent.

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Sarkozy et le Medef essaient de passer à la vitesse supérieure : instauration d’un contrat unique qui accroîtrait encore la précarité de l’emploi, remise en cause du droit de grève et du statut de la Fonction publique, nouvel allongement de la durée de cotisation pour les retraites et donc une nouvelle baisse du montant des retraites puisque (dans la vie réelle) une carrière moyenne ne dépasse pas 37 ans, instauration de franchises médicales qui sont autant de tickets d’exclusion pour les plus démunis, « réécriture » du Code du travail, volonté de supprimer non seulement les 35 heures mais la notion même d’horaire légal, remise en question des congés-payés et des conventions collectives, ces dernières devant céder le pas aux accords d’entreprise.

Dans le rapport de force social, la mondialisation libérale joue un rôle déterminant pour le Capital. Il utilise la peur des délocalisations pour imposer de nouvelles régressions. Il essaie, surtout, de créer un marché mondial du travail où les salariés seraient mis en concurrence directe les uns avec les autres. Ce marché n’existe aujourd’hui qu’à l’état de tendance, mais la volonté du capital est bien d’y parvenir.

L’Union européenne, avec sa population et son PIB pourrait s’opposer à cette politique du Capital. C’est le contraire qui se produit. L’Union européenne est devenue le vecteur de la mondialisation libérale. Le Traité modificatif européen signé par Sarkozy, dans la droite ligne du projet de Constitution européenne, exclut toute harmonisation sociale par le haut. L’harmonisation devrait donc se faire par le bas et la force de travail être de plus en plus être soumise à l’inhumanité d’un marché du travail autorégulé, à la concurrence entre salariés organisée, notamment, par la « directive Mac Creevy » qui reprend à son compte plus de 70 % de la « directive Bolkestein ».

Quelle politique pour la gauche ?

Refuser, tout d’abord, que la mondialisation libérale puisse servir de prétexte aux régressions sociales. Les secteurs des hôtels, cafés, restaurant, ceux des supermarchés ou du bâtiment ne sont pas soumis à la concurrence étrangère : pourquoi avons-nous toléré que ces secteurs soient parmi ceux où la situation sociale est la plus dégradée ?

Refuser que les règles de l’OMC ou du FMI prévalent sur celle de l’Organisation Internationale du Travail. C’est l’inverse qui doit être vrai car seules ces règles protègent l’être humain des dégâts du marché.

Faire de l’Union européenne l’élément décisif d’une autre mondialisation. Le premier pas dans cette direction est d’exiger que le nouveau traité européen soit soumis à un référendum. La situation est, en effet, mûre pour une politique antilibérale en Europe. Tout pays qui mènerait une telle politique aurait aussitôt l’appui de la très grande majorité du salariat européen. La précipitation avec laquelle les dirigeants européens avaient arrêté les consultations référendaires à la suite des « non » français et Néerlandais en 2005 indique clairement à quel point ils étaient conscients de cette réalité.

Tirer, ensuite, le bilan de la gauche plurielle. Le gouvernement issu de cette majorité a privatisé à tour de bras, signé le traité d’Amsterdam et laissé en place la précarité mais il a créé deux millions d’emplois et fait reculer réellement le chômage de masse : un million de chômeurs avaient retrouvé un travail. De ce point de vue, la formule mis en œuvre était la bonne : RTT, hausse des salaires, euro bon marché. Elle a permis la relance de la croissance et la Sécurité sociale n’était plus en déficit. Pourquoi l’aspect positif de cette politique est-il, aujourd’hui, complètement évacué du débat entre socialistes ? Il faut au contraire continuer la réduction du temps de travail avec de vraies 35 heures pour tous, augmenter les salaires, refuser l’ « euro cher » et donc obliger Sarkozy à soumettre le nouveau traité européen à un référendum.

Protéger par la loi, les salariés de l’emprise du marché du travail en reconstruisant un statut salarial. Un marché du travail qui n’a, d’ailleurs, rien de « naturel » comme voudraient nous le faire croire les libéraux. Car ce sont bien nos lois, bien françaises, qui organisent la précarité : les CNE les CDD, les intérims sans limite, les contrats à temps partiel imposé. Ce sont bien des lois (ou des ordonnances) qui démantèlent la Sécurité sociale, les retraites, le code du travail, l’assurance-chômage. Il ne sera donc pas possible de protéger le salariat sans abroger les lois de la droite.

D’autres mesures d’urgence devraient être adoptées pour réparer les dégâts commis par le Capital et les politiques (de droite et, malheureusement, de gauche) qui ont accepté ses exigences. Un Code du travail ferme limitant à 5 % des effectifs les contrats précaires de toutes sortes pour toute entreprise de plus de 20 salariés, avec une inspection du travail renforcée et des pénalités fortes ferait immédiatement reculer la précarité. Des retraites à taux plein accordées en fonction de la durée réelle moyenne des carrières. Une assurance-maladie qui refuse les « tickets d’exclusion » et rembourse donc à 100 % les soins. Un Smic à 1 500 euros (bruts) tout de suite. Une augmentation proportionnelle des minimas sociaux et une négociation immédiate pour faire bouger dans le même sens l’ensemble des salaires.

Le socialisme, l’habitat, l’environnement et le marché

L’habitat est un élément essentiel à la qualité de la vie, à la survie même de l’être humain mais 47 % des habitants de notre pays estiment qu’ils pourraient un jour devenir SDF ! La crise des « subprimes » vient de révéler au grand jour comment le marché de l’habitat se régule lui-même : une bulle spéculative se gonfle puis éclate, provoquant l’expulsion de deux millions d’Américains de leur logement. Et ce n’est là que la première conséquence de cette crise.

En 1997, le protocole de Kyoto décidait de stabiliser les concentrations de gaz dans l’atmosphère. La méthode retenue était celle du marché autorégulé, celle des « droits à polluer ». Ces droits étaient gratuits et quasi illimités. Ils supposaient donc que l’environnement appartenait à ceux qui l’empoisonnaient. Les entreprises n’avaient qu’une seule obligation restituer autant de « droits à polluer » que de tonnes de CO2 produites. Malgré cela les Etats-Unis ont refusé de ratifier le protocole. Au total, les résultats ont été insignifiants et la soumission de l’environnement au marché autorégulé, au marché des « droits à polluer » condamne l’humanité à la catastrophe.

Les dégâts des marchés sur la nature ne s’arrêtent pas là. Le vivant est aujourd’hui breveté et confisqué par les multinationales agro-alimentaires. Le principe de précaution, condamné par l’OMC, permet à ces mêmes multinationales d’envahir la planète d’OGM dont personne ne connaît les véritables effets. L’eau devient un bien de plus en plus rare, il en va de même pour l’énergie ou pour les forêts des pays du Sud offertes sur un plateau, par l’OMC, aux multinationales du Nord.

Quelle politique pour la gauche ?

L’Etat devrait intervenir pour encadrer fermement le marché de l’immobilier et le soumettre à des règles démocratiques : instauration d’une couverture logement universelle, construction massive de logements sociaux de qualité, renforcement de la loi Solidarité et Renouvellement Urbain, taxation de la spéculation foncière et immobilière, encadrement strict des loyers et des prix du foncier.

Le « Grenelle de l’environnement » n’a été qu’un exercice d’adaptation au marché (de la construction, de l’automobile…). Le Parti Socialiste ne peut en rester là. Là encore, la démocratie devrait encadrer strictement le marché. Une politique volontariste de réduction drastique du transport de marchandises par camions et la systématisation de son remplacement par le ferroviaire, le fluvial et le cabotage devrait être mise en œuvre. Le choix devrait, également, être fait de privilégier les énergies renouvelables et de diversifier les sources. Le vivant de doit pas pouvoir être breveté : la biodiversité est une richesse que nous devons préserver. La recherche sur les OGM devrait être assurée en laboratoire et sous serre, leur culture en plein champ interdite.

Il est urgent d’empêcher le marché autorégulé de nuire, d’appliquer le principe « pollueur payeur » de façon dissuasive et d’instaurer un réseau de normes, d’obligations et de pénalités strictes définies internationalement et appliquées par les Etats. Ces normes et ses obligations ne devraient pas servir de prétexte pour entraver les économies des pays émergents. Des transitions devraient donc être aménagées et des transferts gratuits de technologie permettraient à ces pays de respecter leurs engagements. La coopération internationale doit remplacer la « guerre de tous contre tous » organisée par le marché autorégulé. Le chemin n’est sans doute pas pavée de roses mais, chacun pourrait en convenir, l’enjeu est de taille : la survie de l’être humain et de son environnement.

L’eau, l’énergie, les forêts, l’air, les océans ne devraient plus faire l’objet d’une recherche de rentabilité ou de spéculation. Ils devraient devenir des « biens publics » et ne plus être soumis au marché. Une véritable planification internationale de ces biens publics permettrait seule de ne pas condamner à la famine et à la destruction une bonne partie de l’humanité.

Les services nécessaires au développement ou à la survie à moyen ou long terme ne pourraient répondre au bien de tous que s’ils étaient, eux aussi, exclus de la rentabilisation et de la spéculation : la recherche fondamentale, l’éducation, la protection sociale, la santé, le transport ferroviaire, les télécommunications, la poste.

Le socialisme, la monnaie et le marché

Les variations de la valeur d’une monnaie ont des conséquences profondes sur la société. La soustraire aux décisions politiques démocratiques et la soumettre aux diktats d’un marché autorégulé constitue une action d’une brutalité inouïe contre cette société. L’euro en est une parfaite illustration.

L’euro est une monnaie entièrement soumise au marché sans que la moindre intervention politique puisse y apporter un quelconque remède. Le nouveau traité européen (copie conforme du projet de Constitution européenne) ne cherche pas, malgré les rodomontades de Sarkozy, à instaurer le moindre « gouvernement économique ». La Banque Centrale Européenne dont les dirigeants n’ont strictement aucune légitimité démocratique est sous la totale dépendance des marchés des changes et des spéculations qui s’y trament.

Les Etats de la zone euro ont perdu toute possibilité d’avoir une politique budgétaire autonome. L’euro, là encore, verrouille tout. Sous prétexte que des déficits budgétaires affaibliraient la valeur de l’euro, le pacte de stabilité signé à Amsterdam permet d’interdire petit à petit l’existence même de déficits. Un excellent prétexte, alors que les impôts des riches diminuent partout en Europe, pour s’attaquer aux dépenses publiques et sociales. C’est la première fonction que remplit l’euro pour le Capital.

L’euro n’est pas une monnaie « forte » mais une monnaie « chère ». Et c’est tout à fait délibérément que les rédacteurs du Traité de Maastricht en ont décidé ainsi sous la pression du Capital. Car l’euro cher remplit deux autres fonctions essentielles pour le Capital. Il permet, tout d’abord, de maintenir la valeur des patrimoines des rentiers. Il permet ensuite au Capital d’imposer une discipline de fer aux salariés des Etats-membres. Lorsque un euro vaut 1,5 dollars il ne reste plus, en effet, pour exporter les marchandises et les services produits dans la zone euro qu’à diminuer les dividendes (ce que le Capital n’envisage évidemment pas une seule seconde) ou à imposer une double régression au salariat. La régression des salaires, tout d’abord. Des salaires directs, mais aussi (et surtout dans un premier temps) des salaires indirects, c’est-à-dire de la part patronale de cotisations sociales qui fond comme neige au soleil grâce aux exonérations. La régression, ensuite, des conditions de travail, sous l’appellation pernicieuse de « flexibilité » ou de « souplesse ». Il s’agit, au contraire, d’imposer aux salariés des conditions de travail de plus en plus rigides et inhumaines. La multiplication des maladies professionnelles, des suicides, des dépressions nerveuses indique pourtant clairement ce qu’est cette prétendue « souplesse » du monde du travail, en usine comme dans les bureaux.

Les marchés monétaires et financiers n’ont pu acquérir que progressivement la puissance qui est la leur. La première étape a été la liquidation du système monétaire, né à Bretton Woods en 1944 et qui permettait (tant bien que mal) de faire de la valeur d’une monnaie une décision politique. La deuxième étape a été la libéralisation des mouvements de capitaux. Trop souvent cette libération a été présentée comme une conséquence quasi naturelle des nouvelles technologies de l’information. La réalité a été tout autre. Ce sont des actes politiques délibérés qui ont permis aux capitaux de circuler librement. L’Acte unique européen de 1986 constitue le moment décisif de ce processus. Il a permis aux capitaux de circuler sans entrave non seulement entre les pays de la Communauté économique européenne mais aussi entre les pays de la CEE et les pays tiers. Il a permis au capital d’acquérir un pouvoir sans commune mesure avec celui qui était le sien précédemment. Il est donc étonnant d’entendre (à Droite mais aussi malheureusement à Gauche) des hommes et des femmes politiques nous dire aujourd’hui : « Attention, si nous augmentons les salaires, si nous diminuons le temps de travail, si nous voulons conserver notre Sécurité sociale …les capitaux vont fuir ! » Etonnant, car ce sont les même qui, en votant l’Acte unique ou en se refusant à le remettre en cause, ont donné aux capitaux les moyens de passer sans obstacle d’un pays à l’autre et de soumettre à un chantage permanent des dizaines de millions de salariés.

Quelle politique pour la gauche ?

L’objectif que devrait se fixer les socialistes est celui d’un nouveau Système Monétaire International où la définition de la valeur des monnaies ne serait plus livrée à la spéculation mais ferait l’objet de décisions démocratiques. Ce nouveau Système Monétaire International signifierait également l’interdiction des paradis fiscaux, l’autorisation pour chaque pays (ou pour l’Union européenne) de mettre et place un système de contrôle des changes pour protéger son économie, la mise en œuvre d’une taxe d’un faible montant sur les mouvements de capitaux afin de taxer la spéculation tout en épargnant les transactions commerciales.

Il ne sera bien sûr pas possible de parvenir à un tel système sans l’engagement actif de l’Union européenne. Cela signifie donc qu’il faudra remettre l’Union européenne sur ses pieds, ne laisser à la BCE qu’un rôle administratif et confier à un pouvoir européen démocratique la possibilité décider de la politique monétaire de la zone euro. C’est une autre raison pour ne pas accepter le Traité Modificatif Européen et pour exiger que sa ratification soit soumise à référendum.

Pour une économie démocratique avec marché

L’économie néolibérale (l’autre nom de l’économie de marchés autorégulée) a une puissance qu’il serait tout à fait dangereux de sous-estimer. Cette puissance s’organise autour des gouvernements des principaux Etats de la planète, de la libre circulation des capitaux, les institutions internationales telles que l’OMC, le FMI, la Banque Mondiale, de l’Union européenne, des multinationales, des grands médias… Mais l’économie de marché autorégulée est profondément instable et profondément illégitime.

L’économie de marché autorégulée est profondément instable

La croissance de l’économie n’est plus fondée sur une hausse régulière des salaires mais sur les fluctuations boursières. Or, depuis 15 ans, les crises boursières ou monétaires se multiplient : Tokyo, Asie du Sud-est, Amérique latine, Russie, Nasdaq, Wall Street, Paris, Londres, Francfort, crise du crédit immobilier. Chaque éclatement d’une bulle spéculative se traduit par l’injection d’énormes liquidités par les banques centrales dans le but de sauver le système bancaire et les fonds spéculatifs. Ces liquidités alimentent aussitôt la création d’une nouvelle bulle spéculative, mettant à chaque fois l’économie et la société à la merci d’une crise systémique du type de celle de 1929.

L’économie la plus puissante vit totalement à crédit : la dette des USA représente 230 % de son PIB contre 140 % en 1929. Son déficit commercial annuel représente plus de 6 % de son PIB.

Le taux de profit moyen qui était de l’ordre de 16 % an cours des années 1945-1975 avait chuté à 12 % à la fin des années 1970. Les politiques néolibérales lui ont permis de retrouver ce taux de 16 %. Mais contrairement aux affirmations du « théorème d’Helmut Schmidt », les profits d’avant-hier n’ont pas été les investissements d’hier (le taux d’investissement moyen plafonne à 6,5 % au lieu de 8,5 % entre 1945 et 1975) et encore moins les emplois d’aujourd’hui : le chômage de masse ne baisse que dans les statistiques. La différence est allée, sous forme de dividendes, directement dans la poche des actionnaires.

L’économie de marché autorégulée est profondément illégitime

Les 255 plus grandes fortunes du monde dépassent les 1 000 milliards de dollars, soit l’équivalent du revenu annuel de la moitié de l’humanité. En France, les revenus des 3 500 ménages les plus riches ont cru de 42,6 % entre 1998 et 2005 alors que le revenu moyen n’augmentait que de 4,9 % dans le même temps.

L’économie de marché autorégulée est un système qui préfère ne pas produire plutôt que de produire sans profit. Mais, à la différence des années 1945-75 où la demande sociale correspondait à ce qu’il était rentable de produire (automobiles, appareils électroménagers…) il n’en va plus de même aujourd’hui. La demande sociale se tourne vers la santé, l’éducation, la culture. Des secteurs où l’augmentation de la productivité du travail se heurte rapidement à des limites et que le Capital n’estime donc pas rentable, sauf lorsque la demande correspond aux besoins de ceux qui peuvent payer une assurance privée ou des soins onéreux, des écoles ou des universités « d’excellence », des fonds de pension pour financer leurs retraites…

C’est pourtant uniquement en répondant à l’ensemble des besoins sociaux exprimés dans ces domaines que l’on pourrait (sans se payer de mots) assurer un véritable développement durable, une croissance qui ne mettrait pas en danger la survie de la planète. Il n’y a pas, en effet, d’activité moins polluante que l’enseignement ou les services à la personne.

Le Parti Socialiste doit refuser la société de marché et donc une économie où les marchés assurent leur propre régulation. Son objectif devrait être, au contraire, une économie démocratique où le marché serait fermement encadré par la démocratie, par des droits effectivement égaux pour tous.

Cet objectif ne pourra être atteint sans tourner le dos à la politique d’adaptation ou de soutien au néolibéralisme pratiqué par le Parti socialiste depuis 1983, à l’exception (malgré leurs limites) des lois instaurant les 35 heures. Il ne pourra être atteint sans modifier le partage des richesses qui s’est imposé dans notre pays. En effet, entre le début des années 1980 et celui des années 2000, les profits ont confisqué 8 à 10 points de la richesse nationale aux salaires : 130 à 160 milliards d’euros tous les ans ! De telles sommes permettraient d’augmenter les salaires directs, d’assurer une retraite correcte à tous, d’équilibrer la Sécurité sociale et de revaloriser les minimas sociaux. Certes, les actionnaires et leurs dividendes en prendraient un coup et ne se laisseraient certainement pas faire. Notre parti doit donc faire un choix : être le parti du salariat ou celui de l’actionnariat. Il n’y a pas de milieu, il n’y a pas de centre !

Janvier 2008,

Jean-Jacques Chavigné Pierre Ruscassie

Individualité, citoyenneté et marché


  • Iere partie : Individualité et solidarité contre l’élitisme
  • IIe partie : La citoyenneté, la nation et le peuple
  • IIIe partie : Le marché et la démocratie
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