GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Le social au cœur

«Grande Sécu» démocratique ou «sécu étatique»

En 2018, Olivier Véran, alors simple député macroniste, voulait chasser la Sécurité sociale de la Constitution française. Cela fait 75 ans que patronat et haut appareil d’État veulent remettre en cause les principes fondateurs de la Sécurité sociale financée sous forme de « cotisations sociales » – de « salaire brut » – par les employeurs.

À l’origine, les caisses de Sécurité sociale, fruit du travail, étaient logiquement gérées par les syndicats. Les ordonnances de 1966-1967 remirent en cause cette gestion en donnant au patronat 50 % du contrôle des caisses (alors qu’auparavant les patrons n’avaient que 11,5 % des sièges selon le juste principe « un humain, une voix »)*. Par ce texte, De Gaulle et Pompidou voulurent en finir avec les élections démocratiques aux caisses de Sécurité sociale. En 1988, Michel Rocard inventa la CSG, contribution qui n’était ni impôt ni cotisation, une sorte de « sas » pour passer du salaire brut à l’impôt, du système dit « bismarckien » au système dit « beveridgien ». Mais le Conseil constitutionnel freina et imposa quand même que cette CSG aille dans les caisses sociales, pas dans les caisses de l’État.

Prendre la citadelle

Michel Rocard en 1989, puis Édouard Balladur en 1993 différèrent les élections à la Sécu (restaurées à l’arrivée de la gauche au pouvoir, elle se tinrent en 1983, puis furent repoussées sine die). Alain Juppé les supprima carrément en 1995 et confia au Parlement la gestion du budget, resté distinct, des caisses, via la Loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS). En créant l’ONDAM, pour (Objectif national des dépenses d’assurance maladie »), un « plafond » fixé par l’État indépendamment des besoins réels des assurés.

Leur but étant de transformer les cotisations (une part du salaire versé à la Sécu organisme de droit privé) en un impôt (prélèvement obligatoire versé à l’État) ils appelèrent alors les « cotisations » des « charges » et les bloquèrent, les réduisirent puis les exonérèrent peu à peu sous prétexte de « baisser le coût du travail ».

Macron vise, depuis le début, « la suppression des cotisations sociales » prélevées à la source comme élément de salaire versé par les employeurs. Il veut les remplacer par des impôts prélevés à la source et que ce ne soit plus les patrons qui paient mais les salariés. Tout ira donc dans les caisses de l’État. Fin du salaire brut. Fin des cotisations pré-affectées aux différentes caisses. Elles seront remplacées par des prélèvements non pré-affectés – donc à la merci des majorités politiques du moment. Un seul impôt, un seul budget : la « Sécu » n’est plus un sanctuaire, puisqu’elle ne dispose plus d’un budget séparé.

Le tour de passe-passe de Véran

Selon la LFSS, le budget de la Sécu ne générait que 10 % de la dette présumée du pays et il a été soumis à l’austérité, via « la règle d’or » et brutalement équilibré sous Sarkozy, puis sous Hollande-Touraine, et encore davantage sous Macron. Ce dernier laisse 136 milliards de « dette » du Covid que l’État ne remboursera plus à la Sécu, et prolonge la CADES, emprunt de type fonds de pension, durable aux taux coûteux.

Via le Projet de loi de finances (PLF), le budget de l’État génère, lui, 78,5 % de la dette publique nationale présumée : en le fusionnant avec la LFSS, ils vont pouvoir purger encore plus et réduire le volume du budget social, le vider de son « pognon de dingue ». Tout sera dans le même tonneau et il n’y aura qu’une seule tirette. Quand il y aura un budget unique, il sera possible, sans frein, sans que ça se voit, d’utiliser les fonds sociaux pour d’autres fins. Il sera possible de construire un porte-avions nucléaire de plus à la place de 100 hôpitaux, et un sous-marin de combat à la place de 1 000 scanners.

Capables de tout, les ultra-libéraux affirment vouloir « moins d’État » : la Sécu était de droit privé, et les voilà, contrairement à leurs principes affichés, qu’ils veulent l’étatiser pour mieux la contrôler, la limiter et la tuer.

Mais pour ce faire, il faudrait changer la Constitution : ils ont essayé dès le début du quinquennat Macron et celui qui s’en était déjà chargé, le 3 juillet 2018, c’était déjà... un certain Olivier Véran ! Il avait proposé de supprimer l’expression « Sécurité sociale » dans la Constitution française et de la remplacer par « protection sociale ». Devant notre vive réaction, à l’époque, ils ont dû reculer, mais provisoirement, car Olivier Véran avait reproposé, le 19 juillet, l’amendement 1521, visant à modifier l’article 34 de la Constitution, afin d’essayer de mettre l’institution « Sécurité sociale » sur le même plan que la notion de « protection sociale » en général, leur idée étant de ne plus se heurter aux objections du Conseil constitutionnel sur le « budget séparé » (où l’État est obligé de rembourser ce qu’il prend). C’est un peu comme si vous, vous remettiez l’argent de vos économies, de votre livret A d’épargne sur votre compte courant.

Alors quand, quatre ans plus tard, le même Olivier Véran vous propose « une grande sécu », méfiez-vous de son contenu.

Oui à une seule grande Sécu !

Mais pas à la façon Véran-Macron ! Depuis des décennies, les gouvernants ont attaqué la montagne de la Sécu par la face nord ;  ils ont installé des tickets modérateurs, des forfaits hospitaliers, puis des assurances, caisses de prévoyance ou mutuelles « complémentaires ». Ils ont modifié les normes de fonctionnement des mutuelles, faisant fi de leur esprit collectif solidaire d’origine. Ils ont bloqué les cotisations patronales, diminué les remboursements, et ont augmenté les « restes à charge » sur le dos des assurés. Macron et Véran viennent même d’inventer, à l’occasion du Covid19, un « forfait urgence » payable par tous, dans le pire des cas : aux urgences et visant ceux qui n’ont pas d’autre accès aux soins. Ainsi, une grande part de la cotisation s’individualise, la part des tickets modérateurs, « complémentaires » et « forfaits » ne cesse de progresser de façon inégalitaire insupportable, tandis que les restrictions s’installent dans les « paniers de soin » : tout cela rogne la « grande Sécu ».

Car cela impose une double cotisation : celle, de base, à la Sécu, et celle, redondante, à une complémentaire qui couvre un autre « panier de soins » limité. Les bas et moyens salaires ont bien du mal à payer ces deux échelons, notamment les retraités qui en ont le plus besoin. Les plus pauvres sont contraints de laisser des « ardoises » dans les hôpitaux. Et comment faire face aux coûts des honoraires « libres » des « spécialistes », aux examens de prévention en laboratoires, aux analyses, scanners, échographies eu autres IRM ? Et, en dépit de toutes les annonces, la lunetterie et la dentisterie sont mal couvertes ; ça vous coûte toujours les yeux de la tête. Cela sape les principes fondateurs de la Sécu de 1945 qui voulaient éviter une santé à deux ou plusieurs vitesses, des discriminations aussi bien dans les cotisations que dans les prestations.

Cela avait un immense inconvénient même du point de vue des capitalistes, c’est que ça coûtait cher : il existe ainsi plus de 400 mutuelles dérégulées qui se font une inutile concurrence, coûteuses en publicité, avec une véritable gabegie de frais de gestion et des « conseils d’administration » qui se servent des indemnités exorbitantes. En moyenne, la gestion coûte 25 %, tandis qu’à la Sécu, elle ne coûte que 5 % : c’est une énorme différence ! Voilà pourquoi Olivier Véran – encore lui ! – revient à l’attaque de la montagne de la Sécu par la face sud et propose « une grande Sécu », sous le prétexte évidemment justifié de rentabiliser la gestion. Mais cela s’accompagne de l’objectif de Macron qui est de supprimer les cotisations sociales payées par l’employeur : Véran utilise donc le mot d’ordre de « grande Sécu » pour fiscaliser le financement et étatiser la gestion. En fusionnant les deux budgets («Éétat » et « Sécu »), toujours sous prétexte d’économie de gestion, ils pourront comme ils le voudront, supprimer la part « pré-affectée » au social.

La gauche unie pour la grande Sécu

Lors du 75e anniversaire de la Sécu, à Saint-Étienne, la gauche dans sa totalité s’est mise d’accord sur un programme commun pour la Sécu ! Il a été signé par Olivier Faure et Julien Bayou, par Fabien Roussel et Jean-Luc Mélenchon, par Benoît Hamon et Marie-Noëlle Lienemann, par Jean-François Pelissier, par Pierre Larouturrou, par Michel Jallamion et par Gérard Filoche.

L’appel de Saint-Étienne dit que la Sécurité sociale, a un but « protéger les travailleurs et leurs familles contre les risques de toute nature susceptibles de réduire ou de supprimer leur capacité de gain, à couvrir les charges de maternité et les charges de famille qu’ils supportent ». Ses principes sont : unicité (institution unique et obligatoire), universalité (couvrir tous les citoyens), solidarité intra- et inter-générationnelle (« Je cotise selon mes moyens et reçois selon mes besoins ») et démocratie !

Faire l’inverse de Macron-Véran

- Financement par les cotisations salariales et patronales et modulation de celles-ci pour faire face aux besoins de santé pour tous les citoyens : une seule cotisation universelle, proportionnelle et plafonnée, pré-affectée aux différentes caisses des branches existantes : maladie, retraite, chômage, famille, logement (et aux deux caisses nouvelles à créer, formation jeunesse, dépendance dans l’âge).

- Augmenter massivement les rentrées de cotisations sociales par la création d’emplois, l’augmentation des salaires nets, bruts et super-bruts, l’application réelle de l’égalité salariale entre les femmes et les hommes, la lutte contre la souffrance, les accidents, les maladies professionnelles et contre la fraude sociale, essentiellement patronale.

- « 100 % Sécu / 100 % soins » en lien avec le refus des dépassements d’honoraires et l’exigence d’un pôle public du médicament au moment où des laboratoires s’enrichissent sur le dos de la Sécu. Allocations familiales pour tous, aides aux logements, assurance chômage pour une Sécurité sociale professionnelle, retraites par répartition, développement de la recherche et de la prévention afin d’assurer le bien-être de tous de la naissance à la mort.

- Gestion démocratique de toutes les caisses de la grande Sécu. Cela nécessite des élections démocratiques proportionnelles, un assuré une voix, tous les cinq ans, et la constitution ainsi d’une Chambre sociale : cela signifie une nouvelle démocratie sanitaire et sociale associant les représentants des salariés et usagers assurés dans toutes les instances décisionnelles et à tous les niveaux. La population doit avoir son mot à dire sur la définition des droits et besoins sociaux et des grands choix à opérer.

Cet article de notre camarade Gérard Filoche a ét épublié dans le numéro 290 (décembre 2021) de Démocratie&Socialisme, la revue de la Gauche démocratique et sociale (GDS).

* Cf. le film de Gilles Perret La sociale (2016), ainsi que l’article de Jean-Marc Gardère intitulé « Qui veut la peau de la Sécu ? », dans D&S 289, novembre 2021, p. 16-17.

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