GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

International – Europe

Inquiétudes à gauche au Portugal

Le président Rebelo de Sousa a dissout l’Assemblée nationale et convoqué des élections anticipées pour le 30 janvier au motif que le gouvernement PS d’António Costa n’y avait pas réussi à faire adopter le budget 2022. Ont voté « pour » seulement les députés socialistes, les communistes s’étant abstenus et le Bloc de gauche ayant voté contre, de même évidemment que la droite.

Le gouvernement de centre-gauche tenait parce, de 2015 à 2019 des accords de législature, partiels mais fait de mesures sociales concrètes à même d’améliorer la vie des gens après les années de la Troïka, avaient été scellés entre le PS d’une part, et le PCP, le Bloc de gauche, les Verts et le parti animaliste d’autre part. Ce n’était pas un gouvernement d’union de la gauche, mais un gouvernement minoritaire du PS, viabilisé au parlement par le soutien des autres partis de gauche.

Lente dégradation

À partir de 2019, le PS a voulu se débarrasser de ces accords pour pouvoir gouverner en s’appuyant soit sur la gauche (pour les mesures sociales), soit sur la droite (pour des privatisations). Comme la vie des gens s’était améliorée, le chômage avait baissé, le déficit public avait reculé – grâce à la pression du PCP et du Bloc de gauche –, c’est en fait le PS qui en avait récolté les lauriers et augmenté son score aux législatives du 6 octobre 2019. Mais contrairement à son objectif, il n’avait pas obtenu la majorité absolue au parlement. La période précédente a ainsi peu ou prou continué après 2019, néanmoins avec plus de tensions, notamment aux moments des préparations puis de votes des budgets annuels. Le PS a aussi réprimé durement des grèves (notamment celle des chauffeurs routiers de produits dangereux), avant que le mouvement social ne soit « confiné » avec la pandémie.

Au printemps 2021, le PCP avait tenté de faire réviser les lois Travail héritées du temps de la Troïka, mais sans succès. On peut penser que c’est à partir de ce moment que le PCP s’est préparé à sortir du soutien extérieur au gouvernement. Le PC et surtout le Bloc étaient par ailleurs sortis affaiblis des élections présidentielles du 24 janvier 2021 : le PC avait conforté son score, mais à un niveau très bas (3,94 % en 2016, contre 4,31 pour João Ferreira, son candidat de 2021), mais ce fut une bérézina pour le Bloc de Gauche : Marisa Matias, l’eurodéputé du Bloc passant ainsi de de 10,1 en 2016 à 3,93 en 2021.

Pourquoi ce recul ? D’une part, le PS n’avait pas officiellement présenté de candidat et pas fait campagne, appelant de fait à la réélection du président de centre-droit avec lequel António Costa avait de bonnes relations. Ana Gomes, de l’aile gauche du parti, s’était alors présentée, comme indépendante, avec un objectif minimal : avoir un score plus élevé que celui de Chega, le nouveau parti d’extrême droite portugais, mais sans aucun objectif gouvernemental. Le président a été réélu largement – son score passant de 52 à 60,7 % –, et Ana Gomes a obtenu de justesse un score plus élevé que Chega (13 %, contre 11,2 pour le líder d’extrême droite André Ventura). À gauche, la démobilisation, du fait du soutien du PS à un président de droite et de l’absence d’objectif gouvernemental de la part d’Ana Gomes, a néanmoins produit un petit « vote utile » en sa faveur : nombre d’électeurs traditionnels du Bloc ont voté pour elle, abandonnant Marisa Matias, afin de faire barrage à l’extrême droite, sur fonds d’abstention massive (51,34 % des inscrits).

Législatives à haut risque

Il faut dire que le Bloc n’a pas fait campagne pour un vrai gouvernement d’union de la gauche, mais principalement autour de l’appel à « empêcher le PS d’avoir la majorité absolue ». Il n’a pas interpellé Ana Gomes pour qu’elle se prononce en faveur d’une telle unité PS-PCP-Bloc. Même si les critiques du Bloc sont entièrement justifiées, il s’est placé de fait en position de division de la gauche lors de ce scrutin présidentiel en opposant la question programmatique et la question unitaire, au lieu de répondre aux tendances droitières du PS par la revendication de « plus d’unité », plus de programme commun.

Fin 2021, pour accepter de voter le budget, le Bloc proposait neuf mesures concrètes et très réalistes. Le PS les a toutes refusées, tout comme celles du PCP. Le budget n’a donc pas eu la majorité au parlement. Cela n’imposait pas de le dissoudre : le gouvernement d’Antonio Costa pouvait parfaitement rester en charge, gouvernant budgétairement par douzièmes. Mais le président de la République voulait certainement revenir à la politique dite de « Bloc central » (alliance du PS avec les partis de droite, qui a fait des ravages au Portugal dans l’après-Révolution des Œillets). Il n’est pas certain que le PS le souhaite, mais il rêve une fois de plus d’obtenir la majorité absolue ou, si ce n’est pas possible, de gouverner en s’appuyant au coup par coup sur sa gauche ou sur sa droite. Mais il faudra que Costa soit réinvesti au parlement. Sinon, les élections de janvier mèneront au maintien de la situation présente… et à la convocation de nouvelles élections. Le risque d’instabilité est grand, et ceci peut profiter à l’extrême droite.

En effet, le parti traditionnel le plus à droite de l’échiquier politique, le CDS-PP (Centre démocratique et sociale-Parti populaire) est en état de crise avancée et son électorat est en train de partir vers Chega. Le PSD (centre-droit) est sorti très récemment d’une longue crise de direction et il est probable qu’il ne gagnera pas les élections. L’abstention, en revanche, va croître, en particulier à gauche : nombre d’électeurs veulent « punir » les formations de gauche de ne pas avoir réussi à s’entendre. Proportionnellement, on peut donc s’attendre à une nouvelle poussée de l’extrême droite, ce qui est un phénomène récent au Portugal : la génération qui avait connu le fascisme (1930-1974) ne votait pas à l’extrême-droite…

Le PCP n’est pas content de cette campagne législative forcée et accuse le PS et le président de connivence – ce qui n’est pas faux. Le Bloc de Gauche accuse le PS de préparer un virage à droite – ce qui n’est pas faux non plus. Mais aucun des deux n’a centré sa campagne sur l’exigence d’un vrai gouvernement d’union, fondé sur un pacte de législature. Le PS a alors beau jeu de se présenter comme seul rempart contre la droite…

Cet article de notre camarade Michel Cahen est à retrouver dans le numéro 290 ( décembre 2021) de Démocratie&Socialisme, la revue de la Gauche démocratique et sociale (GDS).

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