GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

International – Europe

Face à l'embrasement obscurantiste, ne nous fions pas aux pompiers pyromanes

Nous publions ci-dessous l'article de notre camarade Jean-François Claudon, paru dans la revue Démocratie&Socialisme n°218 d'octobre 2014.

Paris vient d'adjoindre 3 nouveaux Rafales au contingent français envoyé en Irak dans la cadre de la coalition internationale formée contre l'« État islamique ». De quoi rassurer Obama qui, suite aux première frappes françaises sur une base de l'EI, le 21 septembre dernier, avait salué en notre pays « un partenaire solide [des États-Unis] dans [leurs] efforts contre le terrorisme ». Ce soutien a dû grandement réjouir un Hollande au plus bas. Déjà, le 16 septembre, Christian Jacob, le chef des députés UMP à l'Assemblée, avait affirmé que, si le président « souhaitait engager des forces française au Moyen-Orient », il aurait le soutien de son groupe « au nom de l'Unité nationale ».

Quand on déçoit à ce point la gauche et le peuple, rien d'anormal à ce que l'on recherche l'union sacrée la plus large avec l'impérialisme US et avec la droite… De quoi clouer le bec aux mauvais esprits qui répètent à l'envi qu'Hollande n'a pas de ligne !

Un « monstre » conçu à Washington

Si la participation française à la coalition contre l'EI est présentée comme une simple décision de bon sens, il n'en reste pas moins que de nombreuses voix se sont élevées pour dénoncer cette fuite en avant dans la guerre sans fin. Après la Lybie, le Mali, les gesticulations de nos dirigeants visant à provoquer une intervention en Syrie l'an dernier, voilà la France impliquée en Irak. Dominique de Villepin, s'il se complaît dans son rôle de pacifiste professionnel pour soutenir ses ambitions personnelles, n'a pas tort lorsqu'il affirme que l’État Islamique constitue « l’enfant monstrueux de l’inconstance et de l’arrogance de la politique occidentale ».

Il n'y a en effet pas besoin d'être un expert en géostratégie pour constater que l'ascension vertigineuse de ce groupe djihadiste parmi tant d'autres a été rendu possible par la faillite totale des politiques occidentales au Moyen-Orient, à commencer par celle des États-Unis en Irak. La guerre de Bush et de ses amis pétroliers. Les mensonges éhontés de Colin Powell qui ont faire connaître à la Planète djihad le combattant de seconde zone qu'était alors Al-Zarkaoui. Le soutien initial inconditionnel apporté par l'armée américaine aux Chiites du Sud, en la personne d'Al-Maliki, voué aujourd'hui aux gémonies par la coalition. Et la propagande visant à faire de l'insurrection nationaliste sunnite l’oeuvre du groupe Al-Zarkaoui afin de la discréditer comme étant le fait de djihadistes apatrides. Puis – paradoxalement – le départ précipité des troupes étasuniennes, marginalisant les milices sunnites dites du Sahwa (« le Réveil ») qui avaient finalement été recrutées pour lutter contre EIIL…

L'enchaînement des événements, aboutissant au retrait US de fin 2011 et à la divine surprise que constitua pour le groupe l'enlisement de la révolution syrienne dans le chaos confessionnel, fait figure de tapis rouge, que les Américains et leurs alliés occidentaux, auraient consciencieusement déroulé sur les pas des successeurs d'Al-Zarkaoui. Comme l'affirme Allan Kaval, auteur fin juillet d'un article de fond sur le site Orient XXI, la trajectoire de l’État islamique ressemble bel et bien « à une étrange prophétie auto-réalisatrice ».

Les partisans enthousiastes d'une lutte commune de la France et des États-Unis contre cette bête immonde d'un nouveau type devraient plus souvent rappeler à leur mémoire le fait que le monstre né dans la poussière des confins montagneux de l'Irak centrale et de l'Iran a en réalité été conçu à Washington dans les alcôves où règne en maître l'incurie politique et diplomatique US.

Quelques menus détails à ne pas omettre…

À certains, l'enthousiasme belliciste et le zèle « civilisationnel » face aux barbares online font oublier le ridicule d'une coalition hétéroclite regroupant les démocraties occidentales en partie responsables du désastre, une Turquie plus que réticente et d'anciens bailleurs de fonds saoudiens ou qataris de l'EIIL, à l'ombre d'un Iran dédiabolisé et d'un Assad hilare. Quant aux gendarmes autoproclamés du monde « libre », ils ne veulent pas voir que la vague noire, présentée comme irrésistible, déferle essentiellement sur des contrées désertiques et que les Kurdes, dès lors qu'on leur en donne les moyens politiques et matériels, résistent vaillamment aux djihadistes. Au plus fort de la bataille pour le contrôle de Kobané, le porte-parole du Pentagone a reconnu qu'à elles seules, les frappes aériennes ne peuvent pas « apporter la solution » et qu'il faudrait en réalité, pour parvenir à vaincre l'EI, une arrivée massive de « troupes compétentes » envoyées par « les rebelles syriens ou [par] les forces gouvernementales irakiennes ».

À ces « missionnaires armés » qui veulent encore et toujours offrir aux peuples la liberté à coup d'interventions armées « démocratiques », cet aveu du Pentagone prouverait, s'ils voulaient regarder la réalité en face, que la victoire ne peut venir que d'un sursaut national irakien et de l'union fraternelle des peuples arabes menacées par cette peste noire. Difficile à croire que les bombes de la coalition américaine, formée précisément pour contenir les velléités populaires dans les limites du raisonnable, puissent susciter cette levée en masse des peuples arabes qui se dirigerait certes contre l'EI, mais aussi contre leurs élites corrompues à la solde des gouvernements occidentaux…

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