GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

International – Europe

Nadia Whittome de Labour for a Socialist Europe

Nous nous sommes entretenus avec Nadia Whittome, une des dirigeantes d’une association de militants travaillistes de la gauche pro-Corbyn du parti qui mène campagne pour le maintien du Royaume-Uni dans l’Union européenne et pour la continuation du combat pour transformer l’Union dans un sens démocratique et social.

Peux-tu expliquer ce qu’est Labour for a Socialist Europe[1] ? Pourquoi et par qui cette association a-t-elle été créée et quels sont ses positions politiques et objectifs ?

Labour for a Socialist Europe a été fondé en décembre 2018 à la conférence nationale de la campagne nationale Another Europe Is Possible (AEiP[2]), comme un groupe affilié mais indépendant. La campagne se concentre spécifiquement sur le Parti Travailliste, tandis qu’Another Europe Is Possible est une alliance progressiste contre le Brexit, et donc elle ne peut pas faire campagne au sein du Parti Travailliste.

L’objectif de Labour for a Socialist Europe est de faire que le Parti Travailliste adopte comme position un nouveau référendum et conduise dans le cadre d’un tel référendum une campagne sous le slogan ‘Remain and reform’ (« Rester et reformer »).

Il existe plusieurs campagnes visant à rester dans l’UE.  Cependant, nous croyons que seul le Parti Travailliste peut diriger la large coalition requise afin de s’attaquer à la désillusion et la pauvreté qui ont contribué au résultat de 2016. Il ne faut pas oublier que le référendum en 2016 a été perdu par une campagne qui s’est identifiée au ‘statu quo’.

Nous sommes des socialistes dans le Parti Travailliste qui soutenons la direction et la vision de Jeremy Corbyn.  Nous nous opposons au Brexit car c’est un projet de droite et fondamentalement contraire aux intérêts des salariés, qui blâme les immigrants pour les problèmes créés par l’exploitation et l’austérité économique.

Nous nous sommes engagés à élire un gouvernement travailliste et nous considérons que la transformation radicale du Royaume-Uni est inextricablement liée à celle de l’UE.  Donc, nous voulons que le Royaume-Uni reste un Etat-membre de l’UE et nous voulons réformer l’UE.

Mais ce n’est pas une campagne à numéro unique.  Nos positions politiques comprennent la défense et l’élargissement de la libre circulation des personnes, la fin à l’austérité et la sauvegarde du NHS[3].

Laissez-moi donner quelques informations supplémentaires. Bien que le Parti Travailliste ait fait campagne pour le maintien dans l’UE en 2016, aux élections générales de 2017 il s'est engagé à mettre en œuvre le Brexit et à mettre fin à la libre circulation des personnes[4].

En septembre 2018 la conférence nationale du Parti Travailliste (l’organe de décision souverain) a adopté une politique consistant à « laisser toutes les options sur la table, y compris la campagne pour un vote public » dans le cas où le Parti ne réussirait pas à obtenir une élection générale. En adoptant cette politique, le Parti a expressément rejeté l’idée que le Brexit était inévitable ou que le Parti Travailliste devait le mettre en œuvre.

Grâce au travail acharné des activistes, le Parti Travailliste a récemment réaffirmé la position de la conférence en soutenant à la Chambre des Communes un amendement qui écarte la possibilité d'un ‘No Deal Brexit’ ou d'un ‘Brexit soft’[5] et qui ouvre la possibilité d'un référendum.

Notre objectif maintenant est de faire pression sur le Parti Travailliste pour faire également campagne afin d’empêcher le Brexit – pour défendre les emplois et les salariés.

Labour for a Socialist Europe défend un second référendum et désormais le Labour Party est sur cette ligne. Peux-tu nous expliquer pourquoi vous défendez un tel référendum et pourquoi une telle option ne serait pas antidémocratique ?

Le référendum de 2016 a offert un choix binaire : rester ou partir de l’UE ?

La démocratie exige au minimum que les gens soient autorisés à voter sur l’accord censé concrétiser le Brexit. Nous soutenons que ça doit se passer comme dans un syndicat. Lorsque les syndicats négocient des accords avec le patronat, leurs adhérents votent sur l’accord négocié pour l’accepter ou le rejeter. Ce n'est pas différent pour le Brexit, mais les enjeux sont beaucoup plus élevés.

Loin d’être antidémocratique, un nouveau référendum représente la seule solution démocratique à l’impasse du Brexit.  Après 18 mois, le gouvernement est encore divisé et le parlement a rejeté l’accord de la première ministre avec la plus grande majorité parlementaire de l'histoire parlementaire britannique.

La démocratie n’a pas cessé le 23 juin 2016 ; ce n’est pas un évènement unique mais plutôt une conversation continue entre l’Etat et les citoyens.

Une majorité écrasante des adhérents du Parti Travailliste soutien l’organisation d’un nouveau référendum. Par-dessus tout, les dernières enquêtes démontrent que ce changement politique est soutenu par 66% d’électeurs dans les circonscriptions du nord et au centre d’Angleterre qui ont voté pour le Brexit en 2016.

Le slogan du Labour de Jeremy Corbyn sur l'UE a Remain and reform. Peux-tu nous dire quelle vision vous défendez pour l'UE et quelle stratégie vous prônez pour la réformer ?

Nous sommes contre « l’Europe forteresse » mais « la forteresse britannique » serait encore pire. On pourrait soutenir que le Royaume-Uni est plus imparfait institutionnellement que l’UE, mais la solution n’est pas de partir du Royaume-Uni !

Nous devons conserver nos relations étroites avec l'UE pour de nombreuses raisons – les emplois, l’Irlande du Nord, le changement climatique et afin de lutter contre la montée du fascisme. Cependant, afin de répondre aux préoccupations des électeurs, nous devons faire partie de l'UE pour obtenir un changement des règles.

Les réformes incluraient plus de pouvoir pour les députés élus, mettre fin à la bureaucratie de l’UE, une politique humaine à l’égard des réfugiés et le renforcement de leurs droits. Nous devons également construire des millions de logements sociaux, développer la propriété commune, abolir les lois antisyndicales et encourager les investissements publics massifs.

Un gouvernement travailliste pourrait aider à réaliser ces réformes en coopérant avec les gouvernements socialistes existants, les partis socialistes, les luttes des travailleurs et les mouvements des gauches populaires à travers l’Europe. Nous admettons que l’UE est dominée par une idéologie néolibérale - parce qu’elle est actuellement composée de pays membres néolibéraux, mais cela peut changer.

Cet entretien, réalisé par notre camarade Christakis Georgiou, est à retrouver dans Démocratie&Socialisme, la revue de la Gauche démocratique et sociale (GDS) de mars 2019.

[1] https://labourforasocialisteurope.org/

[2] Ndlr : AEiP avait été créé en 2015 pour mener une campagne de gauche pour le maintien du Royaume-Uni dans l’UE au référendum de juin 2016. AEiP s’est maintenu par la suite, menant campagne contre la limitation de la liberté de circulation pour les ressortissants européens et puis pour un nouveau référendum. Nadia Whittome fait également partie du comité de direction d’AEiP.

[3] Ndlr : Le National Health Service (Service National de la Santé) est le service public gratuit et universel de la santé britannique. Il diffère de la sécurité sociale en ceci qu’il ne fonctionne pas sur une base assurantielle (des cotisations qui ouvrent des droits) mais sur une base « beveridgienne » avec un financement par l’impôt et des droits d’accès à tous les résidents.

[4] Ndlr : Theresa May a convoqué des élections anticipées en mai 2017 et a fait de la fin de la libre circulation des ressortissants européens sa ligne rouge la plus importante dans les négociations en vue de la mise en œuvre du Brexit.

[5] Ndlr : Un « Brexit sans accord » consisterait en la sortie de l’UE sans accord avec l’UE sur les modalités de sortie et les nouvelles relations commerciales et économiques entre les deux parties ; un « Brexit soft » prendrait la forme du maintien du Royaume-Uni dans l’union douanière et le marché unique (via l’Espace Economique Européen comme dans le cas norvégien).

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