Palestine : contrastes et similitudes
Que les mêmes causes produisent les mêmes effets semble aller de soi. Aussi devrait-on s’étonner dès lors qu’il en va autrement. Mais, ô surprise, voici que même l’étonnement, comme prohibé, disparaît des salles de rédaction des médias dominants. Les principes dont se réclament les démocraties occidentales peuvent selon les cas s’appliquer ou ne pas s’appliquer. Ces variations, une fois mises au jour, remettent néanmoins en question leur crédibilité principielle.
Prenons un exemple concret : comment justifier la différence de traitement dont sont l’objet les vins de Crimée d’une part, et les vins du Golan de l’autre ?
Les points communs
Si nous écartons ici comme hors sujet leurs qualités gustatives louées tant par les œnologues que par les amateurs, il n’en va pas de même pour les territoires qui les voient naître : la Crimée comme le Golan sont tous deux considérés comme des terres occupées. L’Union européenne dénonce le référendum de 2014 en Crimée et ne reconnaît pas le rattachement de cette péninsule à la Russie. Et en 1981, l’annexion du Golan occupé par Israël n’est pas plus reconnue : la Résolution 497 du Conseil de sécurité la définit comme « nulle et non avenue et sans effet juridique sur le plan international. » À première vue, ces condamnations paraissent relever des mêmes préoccupations d’équité dans la justice ; leurs conséquences devraient donc être similaires. Il n’en est rien.
Sanctions et absence de sanctions
Dès 2014, des sanctions concrètes frappent la Russie1. Pour la France, pas question de plaisanter avec le droit, qui ne doit pas seulement être dit, mais aussi appliqué. Pour la petite histoire qui correspond à notre exemple, les vins de Crimée ne peuvent plus être présentés que via la valise diplomatique, sans être autorisés à sortir de l’enceinte de l’ambassade russe2.
Mais combien plus légère s’avère la main théoriquement équitable de la justice lorsque c’est l’État d’Israël qui fait l’objet de la condamnation ! Non seulement les sanctions décidées font preuve de mansuétude en se limitant à une prescription d’étiquetage3, mais leur application pose problème en raison de l’absence de traçabilité fiable des produits concernés, et dans les faits, elles se retrouvent de surcroît ouvertement bafouées. Restons-en à notre sentier viticole : en décembre dernier, le quotidien Les dernières nouvelles d’Alsace relate ainsi une dégustation publique de vins du Golan dans une rubrique carrément sur-titrée « Histoires de vins – en Israël »4, sans que cela émeuve quelque autorité institutionnelle ou juridique que ce soit.
La revendication d’équité relèverait-elle du politiquement incorrect ?
L’exemple irlandais
Un premier État européen s’engage cependant sur la voie de la mise en accord des principes dont se réclame l’Union européenne avec sa législation :
« La Chambre basse du parlement irlandais – le Dail – a voté hier (31 janvier 2019) en faveur d’un projet de loi interdisant l’achat de tous les biens et services des colonies israéliennes en Cisjordanie, considérées illégales par le droit international. Le projet de loi avait déjà été adopté par la chambre haute du parlement – le Seanad – avant d’être présenté à la chambre basse et de recueillir une majorité de 78 voix contre 45, a expliqué Al Jazeera.
Le projet de loi – connu officiellement sous le nom de projet de loi sur le Contrôle de l’activité économique (Territoires occupés) – doit encore franchir plusieurs étapes avant d’être intégré dans la loi irlandaise, mais il devrait aboutir grâce à son large soutien des partis de l’opposition irlandaise.
Une fois la loi approuvée, des amendes pouvant aller jusqu’à 250 000 euros (284 000 dollars) ou à cinq ans de prison seraient infligées pour les personnes reconnues coupables d’importation ou de vente de biens ou de services originaires des colonies de Golan, de Jérusalem-Est ou de Cisjordanie, a rapporté le Jerusalem Post. »5
Qu’attendent la France et les autres pays de l’Union Européenne pour suivre cet exemple ? Ou faut-il nous interroger sur ce que sont réellement les principes dont ils se prévalent avec une fierté mal placée ? Car un droit à géométrie variable ne saurait se justifier.
- « Sanctions de l’UE à l’encontre de la Russie concernant la crise en Ukraine », sur le site https://europa.eu.
- Ophélie Neiman, « Les vins de Crimée empruntent la valise diplomatique », sur le site https://www.lemonde.fr.
- « Un épisode révélateur », Démocratie &?Socialisme 231, janvier 2016.
- « Des vignes sur le Golan », Les Dernières nouvelles d’Alsace, 1erdécembre 2018.
- « BDS : l’Irlande vote une loi interdisant les produits des colonies israéliennes », sur le site https://www.chroniquepalestine.com.
Cet article de notre ami Philippe Lewandowski est à retrouver dans le numéro de février 2019 de Démocratie&Socialisme, la revue de la Gauche démocratique et sociale (GDS).