GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

International – Europe

Éligibilité des étrangers : La gauche suisse en pointe

Alors que la question de l’immigration provoque des tensions en France et dans d’autres pays européens, certains cantons suisses sont allés assez loin dans l’octroi de droits politiques aux étrangers. Avec Neuchâtel, le Jura est l’un des deux cantons les plus avancés. Explication.

Dans le canton du Jura, les immigrés ont non seulement le droit de vote sur les plans local et cantonal, mais aussi celui d’être élu au niveau communal. Un exercice dans lequel la gauche tire bien son épingle du jeu, comme on va le voir. Pourtant, depuis des décennies, les immigrés jouent le rôle de bouc émissaire sur le plan socio-économique. Dans une certaine mesure, c’est aussi vrai d’un point de vue politique, en ce sens que les étrangers ont toujours été relégués à l’arrière-plan des institutions. Sans doute parce qu’ils seraient coupables de bouleverser les équilibres politiques.

Femmes et immigrés discriminés

En 1907 déjà, le socialiste et syndicaliste Robert Grimm, l’un des leaders de la grève générale de 1918, qui siégea au Conseil national de 1911 à 1955, et devait devenir conseiller d’État bernois (ministre cantonal) en 1938, faisait cette observation : « Le droit de vote est incomplet encore de deux autres manières, et […] l’usage en est faussé, pour les ouvriers, par les plus criantes injustices »*. La première discrimination, c’est que les femmes sont alors privées des droits de vote et d’éligibilité, ce qui sera le cas jusqu’en 1971 ; la seconde, c’est qu’il en va de même pour les travailleurs étrangers, alors qu’à l’époque, ceux-ci forment 16,5 % de la population ouvrière des fabriques.

Une lente conquête

Depuis ce constat de Robert Grimm, la conquête des droits politiques des étrangers sera extrêmement lente. À l’exception de Neuchâtel, qui a accordé le droit de vote aux étrangers en 1849 (pour le supprimer et le réintroduire en 1875), il faudra attendre le dernier quart du XXe siècle pour que ce droit soit étendu à d’autres cantons, à commencer par le Jura en 1978. Depuis, six autres cantons octroient aussi des droits politiques aux immigrés, à des degrés divers : Vaud, Genève, Fribourg, Bâle-Ville, Appenzell Rhodes extérieures et les Grisons. Au printemps 2024, cette possibilité sera soumise sous forme d’une option aux électeurs du canton du Valais, en même temps que le vote sur leur nouvelle Constitution.

Sur le plan européen, la situation est très variable d’un pays à l’autre. On rappellera toutefois que les citoyens de l’Union européenne (UE) qui résident dans un autre État de l’UE dont ils n’ont pas la nationalité peuvent participer aux élections municipales dans les mêmes conditions que les nationaux. Un Portugais peut ainsi participer aux élections municipales et européennes dans un autre pays de l’UE, que ce soit la France, l’Allemagne ou l’Italie.

La gauche cartonne dans les communes

Dans le Jura, les étrangers établis en Suisse depuis dix ans et depuis un an dans le canton ont aussi la possibilité d’être élus dans les législatifs et les exécutifs communaux, sauf au poste de maire. Sur la base d’informations émanant des secrétariats des cinq communes concernées (les autres vivent sous le régime de l’assemblée communale, à laquelle tous les citoyens peuvent participer), il ressort que jusqu’ici, 18 immigrés siègent ou ont siégé dans un législatif.

Parmi ceux-ci, on compte neuf PS, deux Combat socialiste-POP (Gauche alternative et communiste), deux chrétiens-sociaux indépendants (centre), deux démocrates-chrétiens et trois sans étiquette. En revanche, la droite libérale-radicale et l’extrême droite UDC n’ont jamais eu un seul représentant étranger dans ces conseils.

Une seule femme

La prédominance de la gauche et des partis d’inspiration chrétienne n’est pas un hasard. D’abord parce qu’une part importante de l’immigration est issue d’une classe ouvrière combative et militante, fortement liée au mouvement syndical. Ensuite parce que nombre d’immigrés viennent de pays à dominante catholique, dont le poids s’est toutefois amoindri dans la période récente, avec l’arrivée de migrants de Turquie et des Balkans.

On ne compte malheureusement qu’une seule femme parmi ces 1  élus. S’agissant de la nationalité, on observe une prédominance italienne, française et espagnole. Sur 18 élus, on compte sept Italiens, quatre Français, trois Espagnols, un Kosovar, un Pakistanais, un Togolais et un Haïtien. Tout cela montre une belle ouverture du Jura suisse au monde et aux autres cultures.

Cet article de Jean-Claude Rennwald (ancien député PS au Conseil national suisse, militant socialiste et syndical) a ét épublié dans le numéro 308 de Démocratie&Socialisme, la revue de la Gauche démocratique et sociale (GDS).

* Robert Grimm, La grève politique générale, paru en feuilleton dans La Voix ouvrière, 1907 (1ère éd. allemande 1906)


Immigration rime avec richesse

Pour l’extrême droite et même pour une partie de la droite, l’immigration favorise la pauvreté. Une analyse minutieuse montre au contraire que plus un pays compte d’immigrés sur son sol, plus il est riche. Le Luxembourg (47,3 % d’étrangers) et la Suisse (29,7 %) occupent ainsi les premier et quatrième rangs du classement mondial des pays selon le revenu par habitant, alors que la France, avec 12,8 % d’immigrés, ne se situe qu’à la 24e place.

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