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Élections municipales turques : Erdoğan vient de subir sa pire défaite

Avec un taux de participation de plus de 77,5 %, les élections municipales du 31 mars constituent un camouflet historique pour le président turc. En faisant le choix de nommer lui-même les candidats de l’AKP dans les plus grandes villes, Erdoğan avait fait de ce scrutin un référendum pour ou contre lui.

Erdoğan, qui croyait dur comme fer que la défaite de l’AKP aux municipales de 2019 n’était qu’un accident de parcours anecdotique, n’a pas mesuré l’ampleur du ras-le-bol de la population turque.

À plate couture

En perdant, au profit du CHP (Parti républicain du peuple), des villes comme Bursa – la quatrième ville de Turquie et la plus riche après Istanbul –, ou encore des villes comme Afyon, Balikesir, Denizli, Manisa, mais aussi Adiyaman, considérées comme des fiefs conservateurs, Erdoğan subit une cuisante défaite. Une défaite bien pire que celle qui avait été annoncée.

Pour mesurer la profondeur de la défaite de l’AKP, il suffit de regarder en détail les résultats électoraux à Istanbul et à Ankara, les deux principales cibles visées par Erdoğan. À Istanbul, le CHP gagne 26 districts sur les 39 que compte la ville. Même le district d’Uskudar, où réside Erdoğan et qui était considéré comme un bastion imprenable des conservateurs, est passé au CHP. À Ankara, le principal parti d’opposition gagne 16 des 25 districts de la province d’Ankara. Même la ville de Keçiören, dirigée jusque-là par le richissime Turgut Altınok, désigné par Erdoğan pour reconquérir la capitale, est passée au CHP. Ces résultats permettent à ce dernier de détenir la majorité dans la Grande assemblée municipale des deux agglomérations, jusqu’alors aux mains de l’AKP, et dont Erdoğan n’hésitait pas à se servir pour contrecarrer la mise en œuvre des programmes des deux maires CHP.

Ces résultats en disent long sur la profondeur et l’étendue de la défaite d’Erdoğan qui utilisait sans vergogne les deux capitales pour servir les promoteurs du bâtiment, ainsi que ses proches. Par exemple en accordant des permis de construire dans des zones menacées par un risque sismique. C’est là une des plus grandes menaces pesant actuellement sur Istanbul.

Les raisons de la défaite

Deux éléments ont joué un rôle déterminant. D’abord la situation économique et sociale désastreuse du pays, avec un taux d’inflation supérieur à 100 % selon les économistes atterrés turcs. Une inflation qui frappe très durement les citoyens, particulièrement les retraités dont les pensions ont été revalorisées par Erdoğan de façon notoirement insuffisante. Sans surprise, ce sont les dépenses en énergie et l’alimentation qui subissent les hausses les plus importantes, ce qui pèse lourdement sur les budgets, notamment ceux des plus modestes. Le ministre de l’Économie, Mehmet Şimşek, à qui Erdoğan a laissé les mains libres, applique avec la plus grande fermeté les plans de rigueur successifs conçus pour satisfaire les agences de notation, dans l’espoir – pour l’instant vain – de faire revenir les devises.

Le deuxième facteur est la percée de l’ancien parti de Necmettin Erbakan, le YRP (Nouveau Parti de la prospérité), dirigé par son fils, Fatih Erbakan, qui a décidé de faire cavalier seul. Le principal motif du refus du YRP de faire alliance avec Erdoğan, c’est que ce dernier continue de faire des affaires avec Israël en dépit de la politique criminelle menée par Netanyahou contre les populations civiles de la bande de Gaza et de Cisjordanie.

Bilan des courses

À droite, le YRP sort gagnant du scrutin aux dépens de l’AKP qui partage le même électorat que le petit parti ultra-conservateur. Le CHP s’est lui aussi engagé seul dans le scrutin. L’Alliance de la nation qui avait été construite par et autour de l’ancien dirigeant du parti, Kemal Kılıçdaroğlu, lors des élections générales de 2023, a éclaté, notamment sous les coups de boutoir de Meral Akşener, dont la formation de droite laïque a subi une lourde défaite le 31 mars.

Le parti DEM, ex-HDP, lui aussi parti seul à la bataille, a regagné quasiment toutes les villes de l’Est à majorité kurde, comme Diyarbakir, Van, Hakkari, Batman… En 2019, quasiment toutes les localités dirigées par le HDP avaient fait l’objet d’une vaste opération du pouvoir consistant à démettre de leurs fonctions les maires élus pour mettre à leur place les préfets nommés par Ankara. Dans cette région, Erdoğan a reçu fin mars une belle leçon de démocratie !

Malgré les succès du DEM, la victoire revient sans conteste au CHP qui s’est posé comme le seul recours de gauche face au pouvoir autoritaire et anti-social d’Erdoğan, canalisant ainsi les voix des déçus et des mécontents. Il faut dire que son candidat à Istanbul, Ekrem Imamoğlu, l’a bien aidé tant son aura dépasse les frontières de la métropole turque.

En Turquie où l’expression « Tout peut arriver » est si populaire, la victoire historique du CHP aux municipales est un solide appui pour remporter les prochaines élections présidentielles.

Cet article de notre camarade Tuncay Cilgi a été publié dans le n°314 (avril 24) de Démocratie&Socialisme, la revue de la Gauche démocratique et sociale (GDS).

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