GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Écologie

Dérèglement et résistances : l'été de tous les dépassements

L’été 2023 aura été particulièrement marquant en matière de catastrophes écologiques liées aux évolutions du climat générées par l’activité humaine. Les incendies géants, particulièrement au Canada, mais aussi en Grèce, à Hawaï, ou encore en Russie, ont marqué les esprits. Côté militant.es, plus que jamais, l’heure est à la mobilisation.

Quinze millions d’hectares ont brûlé au Canada cet été, soit plus que la surface de l’Angleterre. Fin juillet, ces feux avaient émis plus d’un milliard de tonnes de CO2… soit les émissions annuelles du Japon, cinquième pollueur mondial. À Hawaï, les incendies ont été les plus meurtriers depuis un siècle aux États-Unis. Une série d’incendies destructeurs a également embrasé le pourtour de la Méditerranée.

L’été du basculement ?

Les épisodes de canicule se sont succédé à travers le monde, et juillet aura été le mois le plus chaud jamais enregistré sur Terre depuis 100 000 ans. Des températures inimaginables il y a quelque temps ont été enregistrées : 53,3°C dans la Vallée de la mort, en Californie, le 16 juillet ; 52,2°C le même jour à Sanbao, en Chine ; 50,4°C à Agadir, au Maroc, le 11 août… et même 40°C au Brésil en plein hiver austral ! Températures record également à la surface des océans, avec un pic frisant les 21°C…

Les phénomènes extrêmes, tels que pluies diluviennes, cyclones, inondations, grêle, coulées de boue etc., se sont multipliés partout sur Terre. Le 25 juin, le Chili a affronté les pires précipitations de son histoire. Le 2 août, Pékin a connu les pluies les plus fortes jamais enregistrées ; l’Espagne, des inondations torrentielles début septembre. Et celles qui ont frappé tout dernièrement une partie de la Libye ont été des plus meurtrières, avec plus de 11 300 victimes et autant de disparus. En Asie du Sud, alors qu’elle s’étalait dans le temps, la mousson intervient désormais de manière abrupte, faisant plus de 900 morts en Inde à la fin juillet, et près de 150 au Pakistan… Le typhon Doksuri qui a touché la Chine, les Philippines et Taïwan a provoqué la mort de plus de 200 personnes et des dégâts supérieurs à 15 milliards de dollars. Et l’on pourrait égrener encore longtemps la liste des événements climatiques des derniers mois.

De mal en pis

Face à cette accumulation, et notamment aux températures de surface des océans (aggravées par le retour du phénomène El Niño) et à l’état alarmant du déficit de la banquise, certains scientifiques s’interrogent désormais – sans pour l’instant avoir de certitude – sur la possibilité d’une accélération soudaine du réchauffement. Et comme si cela ne suffisait pas, s’y ajoute l’annonce toute récente du dépassement de la sixième limite planétaire (sur un total de neuf), celle du cycle de l’eau douce cumulant eau verte (absorbée par les sols et les plantes) et eau bleue (qui coule dans les cours d’eau, lacs et nappes). Ces cycles sont désormais perturbés au-delà du soutenable, ce qui menace la stabilité et la résilience du « système Terre ».

Antonio Guterres, le secrétaire des Nations Unies déclarait, le 27 juillet : « L’humanité a déchaîné les destructions. Le changement climatique est là, il est terrifiant, et c’est juste le début ». Et comme toujours, ces événements extrêmes touchent en premier lieu les populations les plus fragiles à travers le monde.

Résistances !

Dans ce contexte particulièrement alarmant, qui pourrait laisser place à un sentiment d’impuissance ou de fatalisme, les forces militantes engagées dans les luttes écologiques s’organisent pour mieux faire face et répondre à la hauteur des enjeux.

Un peu partout, les militant.e.s sont passé.es à une phase plus offensive. En France, la mobilisation autour des bassines et de Sainte-Soline, qui a fait connaître au grand public les Soulèvements de la Terre, leur implication dans plusieurs mobilisations emblématiques (dont celle de l’autoroute A69 Toulouse-Castres, après Sainte-Soline), puis la tentative de dissolution dont ils ont fait l’objet, ont engagé une dynamique nouvelle. Une compréhension plus large aussi des logiques productivistes à l’œuvre et de l’articulation systémique des enjeux, d’un « affrontement entre mondes ».

Cet été a connu plusieurs événements d’ampleur montrant une convergence entre secteurs militants et luttes locales.

Les Résistantes, rencontres des luttes locales qui ont eu lieu sur le Larzac du 3 au 6 août, sont particulièrement significatives. 7 500 militant.es de trois générations, des centaines d’associations et de collectifs se sont retrouvés là pour échanger sur leurs luttes, leurs pratiques et stratégies, pour se former (notamment sur le plan juridique), constater les convergences, se mettre en réseaux.

Ainsi, la création d’un réseau des acteurs des luttes en défense de l’eau, les « hydro-furieux » constitue un pas important sur cet enjeu d’avenir essentiel.

Une autre coalition s’est constituée là contre les entrepôts logistiques, dans la foulée de plusieurs victoires contre des entrepôts Amazon. Partout en France, des collectifs vont lutter contre l’artificialisation de milliers d’hectares. Cette coalition a proposé de se mettre en lien avec La Déroute des routes, une autre coalition de plus de 50 collectifs qui se bat contre des projets routiers développés au détriment de l’intérêt public et de la nature, au profit de quelques intérêts privés. Ce regroupement organise cet automne des rassemblements et manifestations sur tout le territoire.

Une lutte emblématique sur ce plan est celle engagée contre la portion d’autoroute A69 Toulouse-Castres, qui a connu en cette fin d’été un rebondissement important. Malgré une manifestation massive de plus de 8 000 personnes en avril et de nombreuses autres initiatives, les acteurs engagés dans cette réalisation d’un autre temps s’entêtent. Une douzaine de militant.es dont Thomas Brail, du GNSA, sont désormais entrés en grève de la faim depuis plus de trois semaines pour certains, et de nombreux soutiens se sont agglomérés à cette lutte, mettant sous pression le ministère de l’Écologie et la présidente de la Région Occitanie. Une nouvelle étape de mobilisation aura lieu en octobre.

Bataille culturelle

Autre événement notable de l’été, du 18 au 27 août, le convoi pour un juste partage de l’eau, parti des Deux-Sèvres, a vu près de 800 personnes converger sur 300 kilomètres vers Paris, en passant par le siège de l’Agence de l’eau Loire-Bretagne à Orléans, à vélo, à pied ou en tracteur. Cette mobilisation visait, après Sainte-Soline, à relancer l’action contre l’accaparement de l’eau et pour sa gestion démocratique, pour obtenir aussi un moratoire sur les méga-bassines. L’arrivée du convoi a eu lieu au moment de l’Assemblée générale des Soulèvements de la Terre, et pendant l’Université de mouvements sociaux et des solidarités, qui a rassemblé près de 2 000 militant.es à Bobigny.

Sur ce fond de mobilisation, la suspension de la dissolution des Soulèvements de la Terre par le Conseil d’État, le 11 août, a été un véritable camouflet pour Gérald Darmanin et le gouvernement, dans leur tentative de criminaliser le mouvement écologiste, et marque une victoire sur le terrain juridique, de plus en plus investi par les luttes écologiques en complément d’autres formes d’action. Pour certains, il s’agirait même là d’une victoire culturelle, par laquelle le Conseil d’État reconnaîtrait indirectement la légitimité de la désobéissance civile pour lutter contre l’effondrement des écosystèmes et la destruction de la nature.

Une question reste vive, au-delà de l’indispensable amplification de ces batailles : le renforcement de leur articulation avec celles qui se déroulent sur le plan social, pour construire une bifurcation écologique à la hauteur, socialement juste, dans une vision de transformation globale et cohérente.

Cet article est la version longue de l'article de notre camarade Christian Bélinguier publié dans le numéro d'octobre 2023 (n°308) de Démocratie&Socialisme, la revue de la Gauche démocratique et sociale (GDS).

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