GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Le social au cœur

Augmentez les salaires, les pensions et les minima sociaux !

Dans ce contexte de forte inflation qui leur profite tant, les possédants sont vent debout pour s’opposer à toute hausse des salaires, présentée, pour les besoins de la cause, comme un remède encore pire que le mal qu’il est censé guérir. C’est bien évidemment un mensonge éhonté.

La mobilisation interprofessionnelle du 13 octobre, à l’appel de l’intersyndicale unie, tombe à point nommé, puisqu’elle a pour revendication centrale la hausse des salaires, des pensions et des minima sociaux. Cette journée d’action cherche à relayer les nombreuses luttes qui se déroulent actuellement dans les entreprises, pour arracher des augmentations afin de faire face au surenchérissement du coût de la vie.

Haro sur les salaires !

Augmenter les salaires : c’est à l’évidence une mesure de bon sens. Mais, n’en déplaise au grand Descartes, ce n’est pas là la chose la mieux partagée au monde. Car depuis des mois, nombre de porte-paroles des classes dominantes s’échinent à montrer qu’une hausse des salaires, au mieux, ne ferait qu’empirer le mal, et, au pire, serait tout bonnement catastrophique pour l’économie mondiale.

« Promesses démagogiques » : la formule a été lancée début novembre dernier par Bruno Le Maire, pour dénoncer les propositions syndicales d’indexation des salaires sur les prix. L’ambitieux tenancier de Bercy, pas avare de courbettes en direction de celui à qui il doit tout, saluait alors la « décision responsable » du chef de l’État qui avait, quelques jours plus tôt, balayé du bras toute mesure de lutte authentique contre le décrochage salarial devenu une réalité prégnante à une échelle de masse. Depuis, la mobilisation contre l’inique réforme des retraites est passée par là, rejetant au second plan la question salariale, mais le discours du pouvoir n’a pas changé. Cela fait même quelques semaines, sinon quelques mois, qu’il est revenu en force. Ainsi, en mai dernier, François Villeroy de Galhau, fustigeait toute hausse des salaires qui serait de toute façon, selon lui, « bouffé[e] dans les mois qui suivent ». Et le gouverneur de la Banque de France d’ajouter que les augmentations généralisées de salaires avaient, par le passé, « toujours provoqué des spirales prix-salaires ».

La fameuse « spirale prix-salaires », voilà donc l’ennemi désigné par les néo-libéraux ! Selon leur « théorie », dans un contexte inflationniste, toute augmentation des salaires induit une hausse des coûts de production, qui force mécaniquement les entreprises à augmenter du même montant leurs prix, provoquant un nouveau cycle de négociations salariales, qui, si elles aboutissent, suscite un nouveau surenchérissement des prix, etc. Le spectre de « l’inflation hors de contrôle », si commode pour effrayer les salariés et leur faire courber davantage l’échine, est brandi. Il est au passage intéressant de noter que Bruno Le Maire, pourtant guère connu pour son orthodoxie marxiste, ajoute à l’équation prix-salaires, la question… des profits ! Il affirmait en effet, en novembre dernier, que l’indexation des salaires mènerait « à une nouvelle réduction de la marge des entreprises qui, du coup, seraient obligées de répercuter cette perte de marge sur l'augmentation des prix à la consommation ». Prix-salaires ou prix-profits ? La spirale n’est donc pas forcément celle que l’on croit !

Réfutation nécessaire

En novembre 2022, à l’ouverture des débats au Sénat sur la loi de programmation budgétaire, Bruno Le Maire – toujours lui ! – expliquait doctement qu’il était primordial d’« éviter la spirale inflationniste qui avait été provoquée dans les années 1970 par une augmentation générale et automatique des salaires totalement découplée de la productivité du travail ». Il s’agit là d’une nouvelle fable du ministre-romancier. En effet, c’est précisément peu avant et surtout dans les années qui suivirent la brutale récession de 1974 que les salaires ont commencé à décrocher de la productivité, signant la sortie de la période des Trente glorieuses qui, rappelons-le, avait été marquée par une hausse annuelle moyenne d’environ 5 % de la croissance et des profits, mais aussi des investissements, des salaires et de la productivité ! Depuis cette date, le découplage est bel et bien patent, mais il est exactement opposé à celui qui n’a visiblement eu lieu que dans la tête du ministre de l’Économie et des Finances. Ainsi, sur une base 100 en 1980, la productivité est pratiquement passée à l’indice 180 en 2010, alors que, sur la même période et sur une même base, le salaire moyen n’a pas dépassé 135. C’est en réalité depuis la crise du capitalisme dans sa configuration fordienne et son entrée dans l’ère néo-libérale que les salaires ne suivent plus la productivité – elle-même est en berne, tout comme le taux d’investissement, par rapport aux profits, qui, eux, se portent comme un charme !

Mais assez de réfutation de pareilles « théories » ! Intéressons-nous plutôt à l’évolution réelle des salaires depuis le début de la phase inflationniste. Depuis 2021, en France, les revalorisations du Smic ont été nombreuses et le taux de croissance du salaire minimum s’élève à 6,6 % l’an dernier. Ces données pourraient donner l’illusion d’une forme de rattrapage des salaires par rapport à l’inflation. Mais ce n’est évidemment pas le sens de la politique de Macron-Borne-Le Maire. En effet, cette légère réévaluation du salaire minimum n’a pratiquement pas eu d’effet sur le reste de la masse salariale, mais elle a eu pour conséquence un tassement des bas salaires.

La hausse des salaires nominaux est dans les faits évaluée à 1,5 % en 2021, à 3,2 % en 2022 et à 2,4 % pour le premier semestre de 2023. Ces augmentations sont en elles-mêmes insuffisantes pour faire face à l’inflation qui a atteint une moyenne annuelle de 5,2 % l’an dernier. Cette dernière persiste à un niveau relativement stable depuis le début de l’année 2023, avec une légère baisse en juin-juillet. Il résulte de tout cela que les salaires réels, qui dénotent le pouvoir d’achat des salariés, ont diminué de 2 % en 2022 et même de 2,7 % dans les six premiers mois de 2023. C’est un fait irréfutable : l’augmentation des prix n’a pas été compensée par celle des salaires.

Changement de rapport de force ?

La question des salaires et de l’inflation nous invite à revenir sur ce que l’on appelle la « courbe de Phillips ». Selon cette théorie formulée dans les années 1950, plus le chômage est bas, plus l’inflation est forte. Pourquoi ? Parce qu’un chômage bas permettait au salariat d’imposer des salaires plus élevés. Ces hausses de salaires se répercutaient sur les prix, puisque les entreprises les augmentaient pour ne pas voir leurs profits diminuer. Le niveau très bas des taux de chômage officiels dans nombre de pays capitalistes avancés aujourd’hui semble plaider pour un retour à cette théorie en déshérence pendant de longues décennies de « stagflation » (faible croissance, chômage de masse et forte inflation). Pis, le phénomène de « grande démission », largement perceptible aux États-Unis, mais qui semble gagner le « vieux continent », en produisant de véritables pénuries de main-d’œuvre dans différents secteurs, serait actuellement censé concourir à la hausse généralisée des salaires.

On l’a déjà vu, rien de tel ne se produit. Mais sommes-nous précisément sur la voie du plein-emploi, comme l’affirme triomphalement nos gouvernants ? Selon l’Insee qui reprend le mode de calcul du BIT, le taux de chômage s’établit actuellement à 7,2 %. Guère plus de 2,2 millions de travailleuses et de travailleurs seraient donc privé.es d’emploi. Les chiffres de Pôle emploi indiquent une réalité bien différente : 2 799 500 chômeurs en catégorie A (sans aucun emploi) et 2 698 100 en catégories B et C (les personnes à la recherche d’un emploi à temps plein, et n’ayant qu’une activité réduite). Soit un total, sans compter les catégories D et E, de 5 067 700 chômeurs (plus de 16,5 % de la population active). Il est vrai que l’on est loin des chiffres du chômage de l’ère Hollande-Valls, mais ce n’est pas trop difficile…

Les effets théoriquement bénéfiques de la pénurie de main-d’œuvre dans les fameux secteurs « en tension » et la baisse – toute relative – du chômage se voient en réalité contrecarrés par une donnée macro-économique plus fondamentale encore. C’est que le taux de croissance reste faible, depuis la fin de la phase de rattrapage post-Covid. Et, comme l’a fort justement écrit Romaric Godin dans Mediapart, il y a déjà plusieurs mois, « si les emplois créés le sont dans un contexte d’activité faible, la condition même d’existence de ces emplois est de ne pas coûter trop cher ». Les emplois créés sont massivement des emplois faiblement, voire très faiblement qualifiés. Ne pouvant plus se permettre de partager les gains de productivité comme il le faisait lors des Trente glorieuses sous la pression du mouvement syndical, le capital a tendance à fuir les postes qualifiés qu’il est contraint de rétribuer correctement et à se porter vers les emplois les plus précaires. La croissance étant en berne, la profitabilité des entreprises dépend essentiellement de la compression des salaires et, seulement secondairement, de la hausse des prix – quand elle est possible. D’où la baisse vertigineuse de la productivité du travail, notamment aux États-Unis. Seule cette configuration historiquement inédite du capitalisme peut expliquer que nous nous retrouvons dans une situation où l’emploi augmente, alors que la croissance stagne et que les salaires réels diminuent.

Nous exigeons…

- l’indexation des salaires et des retraites et pensions sur les prix ! Cela reste la meilleure garantie contre les profiteurs de crise. Celui qui doit payer à ses salariés ce qu’il cherche à leur voler par l’inflation est forcément freiné et le salarié est forcément protégé en temps réel. Tant d’inflation, tant de salaire en plus, net et brut : c’est bon pour le mois, c’est bon pour la Sécu !

- La hausse du Smic à 1 600 euros net et 2 000 euros brut ! Un « rattrapage », ça ne suffit pas, car il survient tard et ne compense pas ce que l’inflation a pris. Cela fait des années que les salaires ont reculé face aux profits et dividendes. Voilà pourquoi il faut un gros « coup de pouce » que Sarkozy, Hollande et Macron ont toujours refusé. 1 600 nets et 2 000 bruts ! Il faut un rattrapage immense après tant d’années d’austérité salariale. Pas de minima conventionnels en dessous du Smic, ils devront être automatiquement réajustés par la loi. Toutes les aides sociales doivent être aussi indexées sur l’inflation.

- 300 euros de plus pour toutes et tous ! Là aussi, il s’agit d’un choix, celui de la relance, pour redonner aux salaires ce qu’il faut pour que l’économie vive. Évidemment, c’est un transfert à l’envers : c’est une reprise aux profits et aux dividendes, c’est un retour des richesses à ceux qui les produisent. Une augmentation uniforme, égale pour tous, a cet immense avantage d’être plus juste, plus lisible qu’une augmentation en pourcentage. Mais cela signifie que toutes les conventions collectives devront renégocier leurs grilles de salaires : coefficients, niveaux et qualification. Il est temps que le patronat paie, sinon ce sera 40 % de hausse de salaire qui seront exigés comme dans l’automobile aux États-Unis. Et 15 euros de l’heure minima comme dans les Mac Do en Californie !

- Le blocage des prix de première nécessité ! L’inflation alimentaire a atteint 21,5 % : c’est intolérable. La TVA doit être baissée pour qu’on puisse toutes et tous manger à notre faim. Les prix doivent être contrôlés et bloqués par la loi avec un corps de contrôle et un système de pénalités fortes contre les entreprises fraudeuses. Il ne suffit pas de « demander » à la grande distribution, il faut la contraindre. Pas un sou pour les spéculateurs, pas d’exonérations de cotisations sociales !

- La taxation des superprofits et des dividendes ! Chacun sait où va l’inflation : dans la poche des spéculateurs de la grande distribution, leurs marges augmentant au fur et à mesure qu’ils rehaussent les prix de notre consommation. Ces marges doivent être taxées, reprises par l’impôt sur les grandes sociétés. Rétablissement de l’impôt sur la fortune. Pas de salaire supérieur à 20 Smic ; au-dessus, une tranche d’impôt à 90 % !

- La sortie des prix de l’énergie et des transports du marché ! Renationalisation d’EDF et des distributeurs à 100 %, réorganisation des transports avec priorité aux transports collectifs au plus bas coût, choix du fret ferroviaire (la voiture ne venant qu’en complément là où elle est indispensable). C’est un gain pour tous et cela correspond aux besoins de l’impérative transition écologique.

Cet article de nos camarades Jean-François Claudon et Gérard Filoche a ét épublié dans le numéro 308 (octobre 23) de Démocratie&Socialisme, la revue de la Gauche démocratique et sociale (GDS).

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