Crise de la FI : retour sur un drame évitable
Faire le point sur la crise de la France insoumise dans nos colonnes relève de l’évidence. Il nous l’a semblé tout autant de reprendre en partie un long article de Danielle Simonnet, une des député.es purgé.es, tant il est éclairant pour comprendre d’où vient le mal*.
Jean-Luc Mélenchon et la direction de LFI ont décidé unilatéralement d’exclure des listes d’investiture pour les législatives les député.es sortant.es qui avaient émis des critiques contre sa ligne politique depuis septembre 2022 : Danièle Simonnet, Hendrik Davi, Raquel Garrido, Alexis Corbière. Les moyens investis et les méthodes utilisées pour empêcher la réélection des exclu.es déshonorent la FI. Seules les deux principales figures médiatiques, Clémentine Autain et François Ruffin, ont été épargnées, mais la volonté est claire de les isoler et de les pousser à partir. Appelons-les les insoumis unitaires.
Comment s’y retrouver dans ce conflit qui les oppose à JLM et à son clan ? En remontant le fil des positionnements et des désaccords exprimés, seule explication de leur éviction. Prenons les choses par le commencement.
En trois actes
Septembre 2022, c’est l’affaire Quatennens. Le député est accusé de violences sexistes. Jean-Luc Mélenchon l’assure de sa solidarité, la direction LFI tergiverse. Les unitaires prennent position sans ambiguïté, en interne comme en externe, à l’unisson avec les jeunes et les mouvements féministes. Les tergiversations sont un premier coup de canif contre la NUPES et LFI perd des milliers de jeunes et de féministes.
Automne 2022 : ce sont celles et ceux qui sont les plus fervents militants de la NUPES qui sont écartés des instances de LFI (Ruffin, Autain, Corbière, Garrido, autant de figures qui pouvaient nuire au nouveau plan de vol de JLM, qui de « Faites mieux ! » et passé à « 2027, c’est encore moi ! »). De démocratisation de LFI, il n’y aura pas. Le message est clair. Soit on se tait, soit on s’exprime de l’extérieur : tel est le choix pour celles et ceux qui ont des divergences.
Juin 2023, 3e coup de canif : EELV saute le pas et désigne sa tête de liste pour les élections européennes alors que LFI propose qu’une figure d’EELV prenne la tête d’une liste unique de la NUPES. Les unitaires déplorent cette décision et continuent à appeler à l’unité mais indiquent aussi qu’il ne faut pas insulter l’avenir tandis que la direction LFI semble vouloir prendre le prétexte de la désunion aux européennes pour considérer le rassemblement en 2027 comme irréaliste. Notons qu’EELV a voulu jouer sa carte, pensant reproduire la performance de Jadot à la précédente élection européenne pour rééquilibrer le rapport de forces au sein de la NUPES, mais que mal lui en a pris… Mais il semble indéniable que la direction LFI ne veut bien d’un rassemblement que si elle le dirige et dicte le tempo.
Errement internationaux
Le 7 octobre 2024, ce sont les attentats terroristes du Hamas puis l’horreur à Gaza. Tout a été dit sur cette séquence qui, à bien des égards ne s’est achevée, sur le champ politique français, qu’avec la dissolution. Après un premier communiqué très mauvais, la direction LFI s’est enferrée dans son refus de qualifier les actes de terroristes, gâchant systématiquement 50 % de son temps de parole dans les médias à se justifier sur le sujet. Mais surtout elle a pris le parti de cliver quoi qu’il arrive, alors que l’enjeu était de construire l’unité à gauche pour la solidarité avec la Palestine.
C’était possible. L’accord pour le programme du NFP le prouve. Et les Palestinien.nes s’en seraient mieux portés. Tous.tes les unitaires se sont exprimés dans ce sens, à commencer par François Ruffin, qui s’était positionné clairement dès le 7 octobre, ou Clémentine Autain, tandis qu’en miroir de LFI, des dirigeants du PS creusaient le fossé par des déclarations qu’on pouvait interpréter comme des soutiens à Israël. C’est sur cette question que la NUPES a explosé, elle n’y était pas condamnée. Olivier Faure a finalement sifflé la fin de la récréation, sous la pression de la partie du PS hostile à la NUPES. Les invectives ont plu, préparant les tensions produites par la division aux européennes. Côté LFI, la caractérisation des socialistes s’est durcie, au point que JLM a indiqué en mai qu’ils étaient en dehors du rassemblement.
Mentionnons également l’Ukraine. Le désaccord avec le campisme de Jean-Luc Mélenchon est ancien mais reconnaissons que depuis l’agression russe, il a recentré son propos. Cependant l’ambiguïté demeure : au parlement européen, les député.es LFI ont voté pour l’aide y compris militaire à l’Ukraine, mais les député.es français ont été plus discret.es et LFI n’a pas participé aux manifestations des anniversaires de la guerre en février 2023 et 2024. Rappelons que Jérôme Legavre est intervenu à l’Assemblée nationale contre tout soutien, c’est-à-dire hors des clous de la ligne LFI, mais sans être sanctionné. Enfin, les propositions d’issues s’en tiennent à la diplomatie et la « conférence des frontières », outre qu’elle porte le risque d’acter un rapport de force aujourd’hui favorable aux Russes, ne s’accompagne pas de l’exigence du retrait des troupes russes ni du soutien aux mobilisations populaires ukrainiennes.
Durcissement interne
Le durcissement fut aussi interne, notamment au sein du groupe parlementaire. On se souvient d’un message de Sophia Chikirou, interne au groupe parlementaire, mais qui s’était retrouvé dans la presse, où elle expliquait en substance qu’elle regarderait les cadavres des « frondeurs » depuis le bord de la rivière, on peut évoquer aussi les invectives répétées au sein du groupe LFI sur le thème « Cassez-vous ! ».
Logique, quand on justifie la fin du rassemblement, les unitaires n’ont pas bonne presse, ils perturbent le jeu. Ajoutons l’influence grandissante du POI, préposé aux basses œuvres depuis l’affaire Quatennens (une pleine page pour sa défense en septembre 2022 dans l’inénarrable journal Informations ouvrières) et véritable garde prétorienne de Mélenchon. Voilà une organisation qui ne relève pas du meilleur des traditions du mouvement ouvrier (accusations, invectives, fichage de militant.es … ).
Campagne confisquée
Durant la campagne des européennes, le pouvoir déploie une répression de très haut niveau contre le mouvement de solidarité avec la Palestine, contre des syndicalistes, des militant.es écologistes radicaux, mais surtout contre LFI, dans l’objectif de fracturer définitivement la gauche. Aucune organisation n’est à la hauteur de la situation, pas plus la FI, qui ne fait rien pour construire le large front nécessaire en défenses des libertés publiques gravement attaquées. En interne, les unitaires tentent de faire la campagne de Manon Aubry, font des offres de service, mais ils sont laissés à l’écart, effacés des photos, au propre et au figuré.
Elles et ils ne critiquent pas publiquement la campagne, bien que ne partageant pas la stratégie adoptée : tout miser sur la Palestine comme symbole de l’identification à la population issue de l’immigration maghrébine. La tête de liste n’est pas Manon Aubry, qui peine à se faire entendre sur ses thématiques, mais un ticket Jean-Luc Mélenchon - Rima Hassan.
Se sont ajoutées une série de déclarations franchement limites concernant l’antisémitisme, auxquelles les unitaires ont choisi de ne pas réagir pour cause de campagne, malgré le problème majeur qu’elles constituent.
Toute la séquence fragilise la possibilité du rassemblement. Les unitaires y appellent sans relâche, et font en sorte de maintenir les liens avec les anciens partenaires désormais honnis. Heureusement qu’il y eut des repas, c’est un minimum ! François Ruffin et Clémentine Autain tentent de crédibiliser la possibilité d’une candidature de rassemblement en 2027 et d’une alternative à JLM, désormais personnalité politique la plus clivante et la plus rejetée. Or, en 2027, il ne s’agit plus de gagner la course à gauche. La stratégie de Mélenchon était la bonne en 2022, elle ne l’est plus. Cette fois il s’agit d’aller au 2d tour et de l’emporter face à l’extrême droite. Il ne s’agit pas de rejouer le match des deux gauches irréconciliables, mais de rassembler autour d’une orientation de rupture avec le hollandisme, dès lors qu’elle constitue le centre de gravité à gauche. La direction LFI a eu tendance à minimiser la menace de l’extrême droite, comme si elle n’était que la continuité du macronisme en pire, comme si l’extrême droite était déjà au pouvoir, comme s’il n’y avait pas une différence de nature.
Rappelons que lors de l’assemblée représentative de décembre 2023, il a fallu toute la pression des délégué.es des GA pour que le mot « extrême droite » figure dans le document adopté. LFI n’a pas armé ses militant.es pour qu’elles et ils prennent la mesure du grave péril que l’extrême droite constitue pour les pauvres, les femmes, les racisé.es, le danger majeur pour les droits et libertés. Cette menace impose le rassemblement. Le soir de l’élection européennes, Jean-Luc Mélenchon est tombé dans le même travers : il n’a parlé ni de la menace de l’extrême droite en France ni du rassemblement.
La bataille commence
Quelques semaines plus tard, comment ne pas voir que l’accélération politique provoquée par la dissolution donne raison aux insoumis unitaires sur tous les points ? On pensait avoir trois ans, il n’y a eu que trois semaines pour le faire. L’accord sur les circonscriptions et le programme constitue une grande victoire, et confirme le centre de gravité à gauche établi en 2022.
Les insoumis unitaires accusés de traîtrise défendent la ligne du NFP que la direction de la FI a été contrainte d’accepter en une nuit. Alors comment comprendre que les principaux défenseurs de cette orientation soient écartés à la première occasion ? Le choix du NFP est-il un coup tactique et opportuniste ou le reflet d’une réorientation stratégique ? Il y a la dimension de règlement de compte bureaucratique dans un mouvement qui n’est doté d’aucun mécanisme démocratique réel. Mais force est de constater ces derniers jours qu’elle accompagne une logique politique : la direction LFI et JLM sont hostiles au NFP, qui contrevient au plan de vol pour la prochaine présidentielle. Bilan de deux années désastreuses : LFI n’est plus au centre. Pour suivre le plan, le NFP ne peut être qu’une alliance conjoncturelle et doit prendre fin le 7 juillet. D’ici là, il faut la fragiliser. La purge est un élément, auquel s’ajoutent l’omniprésence de JLM et ses provocations délibérées.
C’est une orientation suicidaire pour la gauche et pour LFI. Celle-ci est indispensable au rassemblement parce qu’elle porte les exigences des classes populaires et la perspective d’une transformation profonde de la société. Ne laissons pas la logique boutiquière éteindre l’espoir suscité par LFI, dont les unitaires sont les représentants les plus fidèles, tandis que jlm a tourné le dos au projet qu’elle portait. Portons une logique collective et démocratique. Les unitaires insoumis n’ont pas pour projet de brader le programme de la NUPES ou celui du NFP ou de revenir au hollandisme qui nous a conduits à la catastrophe. La dimension de rupture est la condition simultanée de la victoire, avec le rassemblement. Ce sont les deux éléments qui définissent les insoumis unitaires et la boussole qu’ils proposent à tous les insoumis, dans une situation bouleversée et inédite où il faut être à la hauteur de l’histoire. La situation dramatique dans laquelle nous nous trouvons est aussi une opportunité pour construire l’unité de la gauche de la base au sommet, pas pour affadir le programme de la NUPES mais pour incarner une véritable alternative à l’extrême droite, qui puisse entraîner les classes populaires et mettre en mouvement la société.
Cet article de Danielle Simonnet a été publié dans le numéro 316 (juillet-août 2024) de Démocratie&Socialisme, la revue de la Gauche démocratique et sociale (GDS). L’article de notre amie est à retrouver in extenso à l’adresses suivante : https://regards.fr/comprendre-la-purge-lfi-daniele-simonnet
* Outre les importantes coupes pratiquées, nous avons ajouté quelques mots à l’article original, ainsi que des sous-titres, pour la commodité de la lecture.