GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

International – Europe La revue DS

Corbyn : Un discours au goût de programme

Les 18 et 19 octobre derniers se tenait à Bruxelles la conférence « Construire ensemble l’avenir progressiste », organisée par le groupe des Socialistes & Démocrates au Parlement européen et par le Parti socialiste européen. Devant un parterre de ténors socialistes, c’est en véritable guest star que Jeremy Corbyn a prononcé le discours de clôture. Cet article est paru dans la revue Démocratie&Socialisme n° 249 de novembre 2017.

Il y a appelé les partis sociaux-démocrates européens à suivre l’exemple de son parti – la seule formation socialiste à connaître actuellement un réel engouement et des résultats électoraux impressionnants. Comme le rappelle son leader, le Parti travailliste a enregistré aux élections britanniques de juin dernier la plus importante progression de son score depuis 1945, passant de 30,4 % en 2015 à 40 % en 2017. Voici donc l’exemple à suivre, en France comme ailleurs. C’est pourquoi nous reproduisons ci-dessous des extraits du discours de Corbyn*.

« Depuis la crise financière, nous avons eu des années d’austérité en Europe. Ce choix politique [...] a pénalisé de nombreux pans de nos économies, encouragé le démantèlement de nos services publics et comprimé les salaires. Dans nombre de pays, l’État-providence et la Sécurité sociale ont été violemment percutés par cet agenda austéritaire. Les plus pauvres dans nos sociétés en ont été la cible. En même temps, le besoin d’investissements publics vitaux à grande échelle a été presque complètement négligé de la même manière que le dogme néo-libéral a permis que de nombreux actifs publics soient vendus à bon marché au bénéfice de quelques-uns et au détriment du plus grand nombre.

Au-delà des frontières de l’Europe, nous avons été témoins de la manière dont guerre et changement climatique conduisent à des déplacements de masse et aux migrations forcées ; une crise migratoire à une échelle jamais vue depuis la Seconde Guerre mondiale. [...]

Voici quelques-uns des défis auxquels nous faisons face – nous, et les gens que nous représentons. Et il est clair pour moi que ces gens [...] veulent du changement.

Pour une alternative radicale

Pourtant, depuis la crise économique et la mise en œuvre des politiques d’austérité qui ont échoué, les gens que nous représentons ont trop souvent refusé d’associer la gauche et le mouvement progressiste en général avec le changement qu’ils souhaitent. Nous avons même vu le contraire arriver. Nous avons vu des mouvements nationalistes et racistes de droite profiter d’un système qui ne marche pas. Et pour beaucoup parmi ceux et celles qui sont en colère, se sentent laissés pour compte, le message de l’extrême droite paraît souvent plus radical que celui de la gauche. [...]

À moins que nous proposions une alternative claire et radicale faite de solutions crédibles aux problèmes auxquels font face les gens [...], nous préparerons le terrain pour que l’extrême droite pénètre encore davantage et pour que leur message de peur et de division devienne le courant majoritaire dans nos opinions publiques.

Nous pouvons proposer une alternative radicale. Nous avons des idées pour faire de ce mouvement progressiste la force dominante de ce siècle. Mais si notre message n’est pas le bon, si nous ne défendons pas nos principes de base et si nous ne représentons pas le changement, nous pataugerons et stagnerons.

Pour commencer, le modèle économique néo-libéral ne marche pas. Il ne fonctionne pas pour la plupart des gens.

Les inégalités et le faible niveau d’imposition des plus riches nuisent à nos peuples et à l’économie – comme le FMI lui-même le reconnaît désormais. C’est pourquoi nos idées peuvent et doivent devenir le nouveau courant d’opinion majoritaire, à mesure que nous développons un nouveau consensus sur comment faire marcher l’économie pour le plus grand nombre, pas seulement pour quelques-uns. Une économie qui récompense les vrais créateurs de richesse – à savoir nous tous – et non pas les extracteurs de richesse.

Nous devons construire une économie pour le XXIe siècle, avec au centre un État démocratique qui n’ait pas peur d’agir lorsque quelque chose ne va pas. Mais aussi de déterminer et de propulser l’innovation et l’investissement dans les technologies de pointe de l’avenir. Ce nouveau consensus comprend non seulement la régulation mais aussi de nouvelles formes de propriété publique, coopérative et sociale.

Ce devrait être le devoir d’un gouvernement de s’assurer que la régulation tienne le rythme d’un monde en perpétuel changement ; durant trop d’années, les revendications pour des réglementations sensées et nécessaires des conditions et des normes de travail à travers l’Europe ont été ignorées – permettant que les salaires soient comprimés et alimentant le ressentiment [...].

Nous ne pouvons continuer à faire ces erreurs. La technologie de l’âge numérique nous offre une opportunité de redonner du pouvoir aux travailleurs et de coopérer à une échelle qui n’était auparavant pas possible. Mais cette technologie a aussi facilité l’émergence d’une forme plus abusive de capitalisme. Regardez Uber, Deliveroo, Amazon et les autres. Les plateformes que ces entreprises utilisent sont les technologies de l’avenir. Mais, trop souvent, leur modèle économique s’appuie, non sur un avantage technologique, mais sur la mise en place d’un monopole effectif sur le marché et son utilisation pour réduire les salaires et les protections au travail.

Les socialistes doivent relever le défi et repenser radicalement comment modeler le développement de nos économies et sociétés durant la génération qui vient. Utiliser le pouvoir des nouvelles technologies pour faire en sorte que notre économie fonctionne dans l’intérêt du plus grand nombre.

D’autres défis majeurs

Et tandis que le marasme économique s’installe, nous ne devons jamais oublier notre responsabilité dans la lutte contre le changement climatique et la recherche des solutions pour contrer l’impact du réchauffement planétaire.

Il est honteux que le président des États-Unis souhaite se retirer de l’Accord sur le climat de Paris alors que l’avenir de notre planète est en jeu. Nous, socialistes, devons être les voix les plus virulentes lorsqu’il s’agit de dénoncer de tels actes myopes et potentiellement catastrophiques.

Nous devons aussi réfléchir collectivement à comment relever d’autres défis globaux. […] Étant donné les problèmes auxquels nous faisons face – la prolifération nucléaire, le changement climatique, les crises humanitaires en Syrie, au Yémen et au Myanmar, avec les Rohingya –, un agenda mondial porté par les principes socialistes est plus nécessaire que jamais. [...]

Alors que l’Europe continue à être percutée par une crise migratoire sans fin, tous les socialistes doivent se rassembler pour défendre une réponse humaine et collective. Peu importe la difficulté de l’entreprise, c’est à la gauche de prendre les devants sur la crise des réfugiés. Il y a encore des gens en Méditerranée qui fuient la guerre et la persécution. [...]

Il nous faut une approche progressiste, cohérente et concertée. Cela comprend un système juste de partage des réfugiés et des voies légales d’accès en Europe. Et notre réponse doit être accompagnée d’efforts plus larges de tous les acteurs concernés pour traiter les causes profondes des mouvements migratoires, créer une meilleure protection pour les personnes en transit et traiter les problèmes des trafics humains. [...]

Chers amis, nous devons défendre les droits humains, la démocratie, la justice sociale au sein de nos propres frontières. L’attaque contre la liberté d’expression et contre les universitaires dans certaines parties de l’Europe ne devrait pas et ne peut pas être tolérée.

L’Europe est le lieu où sont nés les Lumières, la démocratie, le mouvement ouvrier et le socialisme, mais elle a aussi été le berceau du colonialisme raciste, du fascisme, du commerce d’esclaves et des crimes les plus terribles de l’histoire humaine.

La lutte pour ce qu’il y a de mieux en Europe et pour ses traditions progressistes contre cet autre héritage européen doit être vigilante et incessante. N’oublions pas que ces libertés sont cruciales pour nous tous.

Nous avons toujours été fiers de nous élever contre ces abus lorsqu’ils ont eu lieu en dehors de l’UE. Nous devons être deux fois plus déterminés à nous élever contre des abus lorsqu’ils ont lieu à l’intérieur de nos propres frontières.

Face aux Conservateurs

Enfin, sur Brexit, permettez-moi d’être clair : le Parti travailliste ne vous voit – ni vous, ni aucune partie de l’Europe – comme des ennemis. Vous êtes nos collègues, nos partenaires, nos camarades et nos amis.

Notre engagement est clair, nous devons respecter et respecterons le résultat du référendum. Mais en même temps, nous chercherons à construire une relation coopérative étroite avec nos amis européens sur la base de nos intérêts communs. Nous sommes internationalistes. [...]

À tous les ressortissants de l’UE qui vivent, travaillent et contribuent à la société britannique, nous disons notre gratitude. Nous vous remercions d’être nos amis, collègues et voisins. Et nous ferons tout ce que nous pouvons pour garantir que vous continuerez à être les bienvenus et à appeler la Grande-Bretagne votre pays.

Lors du référendum, notre parti a fait campagne pour « rester et réformer » et cette revendication de réforme des institutions et des règles de l’UE dans le sens de l’intérêt du plus grand nombre est reprise par des amis et des alliés à travers l’Europe. Nous résisterons à toute tentative des Conservateurs britanniques d’utiliser le Brexit pour créer un paradis fiscal dérégulé aux portes de l’Europe. Un accord qui soit dans l’intérêt de nous tous est essentiel à la fois pour la Grande-Bretagne et pour l’Europe dans son ensemble.

Nous continuerons à travailler avec vous et d’autres à travers l’Europe – et bien sûr l’Europe est plus grande que la seule UE – sur le changement climatique, contre le pouvoir des grandes entreprises et sur d’autres sujets. À l’intérieur ou à l’extérieur de l’UE, les avancées progressistes dans chaque coin de notre continent contribuent à nous renforcer tous.

De nombreux commentateurs de l’establishment sont déterminés à considérer la gauche comme une force épuisée. Au Royaume-Uni, on nous disait que nous n’avions aucune chance et bien que nous n’ayons pas vraiment gagné les élections législatives, nous avons prouvé de manière claire que nos détracteurs avaient tort en obtenant la plus grande croissance des scores du Parti travailliste depuis 1945 et en empêchant les Conservateurs de préserver leur majorité.

Nous avons montré qu’en combinant l’enthousiasme de la campagne de terrain et les réseaux sociaux, il est possible de mobiliser des millions de personnes autour d’un agenda de transformation radical et socialiste.

Il est possible de l’emporter si notre message est hardi et radical. Si nous écoutons ce que la majorité veut réellement, nous donnerons tort aux élites et aux commentateurs qui sont à leur service, nous démontrerons que dans notre mouvement nous avons l’enthousiasme, la capacité et les idées pour changer ce monde.

Mais je sais aussi que nous ne pouvons le faire que quand nous travaillons ensemble à la fois chez nous et à travers le monde.

Je vous remercie ».

Source :

https://labourlist.org/2017/10/we-have-seen-seven-years-of-austerity-in-europe-corbyn-speech-in-brussels

* NDLR : Les sous-titres ont évidemment été ajoutés par nos soins afin de faciliter la lecture.

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