GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

International – Europe

Constitution Européenne : en attendant, c'est NON !

Lors de ses « journées d'étude de Reims », les 4, 5, 6 juillet dernier, D&S avait analysé la pseudo-constitution de la Convention Giscard et s'était prononcé, en l'état, pour le " NON". D&S a aussi milité depuis un an (exactement depuis l'appel, en octobre 2002, pour « ancrer le parti socialiste à gauche ») pour que Nps (Nouveau parti socialiste) et Nm (Nouveau monde), vu le peu de différences entre leurs motions, se retrouvent dans un combat commun et fusionnent.

Non seulement, ce texte commun sur l'Europe déposé et soumis au vote lors du Conseil national du Parti socialiste du 11 octobre (61 voix pour, 116 contre) répond à cette démarche, mais il entraîne un troisième courant (Force militante, Fm, de Marc Dolez) dans son sillage. Les trois courants réunis à la base peuvent affirmer représenter a minima 40 % du Parti socialiste en l'état.

Mais le débat s'ouvre, et d'autres voix se font entendre, très critiques vis-à-vis du projet de Constitution Giscard, c'est le cas, entre autres, de Manuel Valls, d'Harlem Désir, de Jean Glavany...

La direction majoritaire du Parti socialiste n'a pas encore pris toutes les positions sur cette importante question et la porte est ouverte, au terme de la Conférence inter-gouvernementale, au cours du referendum interne qui doit avoir lieu, à la décision des militants, qui pourrait être un « non » - tout comme les électeurs eux-mêmes pourraient dire « non ».

Ce « non » pourrait remodeler la gauche et... l''Europe, contraignant ses leaders néo-libéraux actuels à tenir (enfin !) compte des aspirations des peuples.

Nos lecteurs et lectrices comprendront la joie, disons même la fierté, que nous avons de reproduire ici, en entier, ce document fondateur.

D&S appelle à le diffuser massivement, à le populariser, à le faire connaître par tous moyens, partout dans le pays, dans vos syndicats, associations, collectivités.

En attendant, c'est NON !

Nous aimons l'Europe. Passionnément.

Son sol et son idée. Nous sommes les enfants de ceux qui forgeaient dans l'exil et la ferveur de l'internationalisme naissant le projet des Etats-Unis d'Europe. Depuis ses origines, avec d'autres, les républicains et les socialistes sont au premier rang du combat pour l'Europe. A chaque pas important de la construction européenne, et quels qu'aient été les débats entre nous, nous avons soutenu et porté les avancées de la construction européenne : mise en place des politiques communes, intégration de pays nouveaux, création d'une monnaie unique.

Elle est notre présent, et encore plus notre avenir. Persuadés que l'émergence d'une puissance européenne fédérale, démocratique et sociale, est la seule réponse d'avenir pour porter nos valeurs face à une mondialisation libérale qui ne se soucie ni des droits politiques ni des droits sociaux, ne lutte ni contre les inégalités ni contre les pandémies, et consomme notre planète comme une marchandise périssable sans souci des équilibres écologiques et des générations futures.

Soucieux de la nécessité d'équilibrer l'hyper puissance américaine et de construire un ordre international fondé sur le droit et un multilatéralisme rénové, nous avons fait du combat européen notre idéal et un élément central de notre engagement socialiste.

Aussi parce que nous sommes européens et socialistes, et que nous ne voulons pas avoir à choisir entre ces deux engagements qui pour nous n'en font qu'un, parce que nous croyons à la nécessité d'une puissance européenne porteuse de valeurs et soutenue par l'adhésion et l'enthousiasme de ses peuples, nous nous devons aujourd'hui, face à la crise de la construction européenne que nous vivons, être vigilants et exigeants. Car si les carences de l'état actuel de la construction européenne sont manifestes et reconnues par tous, les conséquences de ces dernières se sont exacerbées et le projet de Constitution, après les ratés de l'élargissement, font courir à l'Europe un risque profond en l'entraînant dans une crise qu'elle ne saura maîtriser et en favorisant les replis nationalistes qui prospèrent sur ce terreau malsain et nous préparent d'autres terreurs. Marché prospère et attractif pour le reste du monde, l'Europe n'est malheureusement que cela : un espace économique performant mais incapable de lutter contre son propre chômage. Son organisation politique est quasi-inexistante, illisible et sans légitimité démocratique suffisante. Dépourvue des moyens de la puissance, inefficace en tant que telle sur le plan diplomatique et militaire, elle semble se suffire d'être une zone de libre-échange. Elle en vient même à renoncer aux ambitions auxquelles elle pourrait prétendre en matière démocratique et sociale et qui pourraient constituer une référence pour les autres pays du monde.

L'adoption d'une Constitution doit être l'occasion de corriger cet essoufflement du projet européen et de lui donner un nouvel élan, de vaincre le scepticisme et les tentations régressives.

Le travail engagé par la Convention Européenne, tout comme celui qui sera élaboré par les gouvernements européens, appelle donc un effort de lucidité, de courage et de vérité auquel les Socialistes, dans ce moment essentiel et grave de la Constitution Européenne élargie, ne peuvent se dérober.

Le rôle des socialistes est de se prononcer sur la nature et le contenu du projet de Constitution en regard du chemin parcouru depuis le traité de Rome, mais aussi de l'histoire des Etats qu'il concerne, des attentes démocratiques des peuples d'Europe, du modèle politique fédéral à construire et des valeurs qui sont les leurs. De ces points de vue le projet de Constitution issu de la Convention, n'est pas à la hauteur des espérances fédéralistes, démocratiques et sociales qui ont toujours été à la base du programme des socialistes et de la social-démocratie européenne. Il fait courir à l'Europe, comme à la possibilité de conduire demain des politiques où efficacité économique et justice sociale puissent marcher ensemble, de graves dangers.

Il consacre le triomphe constitutionnel de l'économie de marché libérale :


Erigé par l'article 3 en objectif supérieur de l'Union, l'Europe est défini comme un " marché unique où la concurrence est libre et non faussée ", formule directement issue de la tradition économique libérale et du modèle de la concurrence pure et parfaite. En de très nombreuses occasions, qu'il s'agisse des relations avec les pays associés ou les autres pays du monde, ce principe est réaffirmé et l'engagement de l'Europe de contribuer à la suppression progressive des restrictions aux échanges internationaux et à la réduction des barrières douanières affirmé. Le mandat européen pro-libéral pour les prochaines négociations de l'Omc est désormais constitutionnalisé.

Malgré les exigences de nombreux conventionnels, le texte de la Convention a constitutionnalisé l'article du Traité de Rome, devenu III-55, qui a servi de base à l'offensive contre les services publics. Les arrêts de la Cour de justice des communautés européennes ont édicté une obligation de privatisation et de mise en concurrence des services publics à partir de la réglementation contre les ententes et les abus de position dominante ainsi que la restriction des aides publiques aux entreprises. La constitutionnalisation de ce texte aura pour conséquence d'empêcher juridiquement et constitutionnellement une majorité parlementaire progressiste de mener une politique conforme au mandat qu'elle aura reçu en ce sens.

L'ensemble des principes fondamentaux de la Banque Centrale Européenne figurera désormais dans le texte de la Constitution. Malgré les critiques est ainsi réaffirmée l'indépendance totale de la Banque Centrale Européenne, mais surtout sa seule mission de stabilité des prix et de contrôle de l'inflation, à l'exclusion des objectifs de plein emploi et de croissance. Ce choix politique de la Convention laisse hors du contrôle politique l'instrument monétaire, à l'inverse des statuts de la Banque Centrale Fédérale américaine placée sous le contrôle du Congrès américain.

Affirmation du primat de l'économie libérale ; absence de toute reconnaissance des services publics ;

constitutionnalisation des principes restrictifs fondateurs de la Banque Centrale Européenne. Le projet de Constitution de la Convention consacre le triomphe constitutionnel du dogme libéral selon des termes qu'aucune Constitution n'a jamais osé assumer puisqu'il interdit désormais toute politique progressiste.

Le projet de Constitution aggrave la confusion des pouvoirs, organisant l'impuissance politique

Le conseil des ministres y est à la fois un législateur incontrôlable et un gouvernement incontrôlé. L'invention d'un président du Conseil de l'Union et d'un ministre des Affaires

Etrangères va inévitablement ouvrir une compétition, d'abord entre eux, puis avec le président de la Commission, porté à s'appuyer sur le Parlement. La malfaisance de la cohabitation à la française sera ainsi européanisée. Le président de la Commission est toujours choisi par le Conseil des chefs d'Etat et de gouvernement, seulement investi par le Parlement et nullement désigné par la majorité issue des élections européennes. La Commission reste un organe condamné à la neutralité, dont les membres sont toujours désignés par les Etats. Le Parlement est une chambre inter-étatique dont les pouvoirs législatifs sont partagés avec le conseil des ministres et au pouvoir budgétaire marginal.

Malgré l 'accroissement des questions pouvant être traités à la majorité qualifiée, le droit de veto et l'unanimité restent la règle pour les sujets essentiels comme la politique extérieure, la défense, mais surtout pour la fiscalité. C'est dans ce domaine qu'on a assisté depuis dix ans à l'extension de l'influence des Etats les plus libéraux. La fiscalité économique a connu une baisse massive dans toute l'Europe si bien que s'y est installée une concurrence fiscale déloyale avec l'apparition de régimes de discrimination positive en faveur du capital et contre le travail. La question cruciale du dumping social et fiscal est donc interdite de solution par le projet de Constitution. En accordant un veto constitutionnel aux libéraux, elle rend la social-démocratie plus minoritaire encore qu'auparavant dans le champ essentiel des politiques de redistribution et de justice fiscale. Pourtant l'élargissement à dix nouveaux pays dont les disparités fiscales (entrée de deux paradis fiscaux supplémentaires : Chypre et Malte) et sociales sont considérables place l'exigence de l'harmonisation au cœur de la question européenne dans les années qui viennent.

Cette impuissance organisée est constitutionnalisée et elle est sans appel. La Constitution doit être adoptée à l'unanimité des 25 Etats membres et ne pourra être révisée qu'avec une double unanimité, celle du Conseil européen et des Etats. La révision ressort donc d'une négociation diplomatique qui rend très improbable sa mise en œuvre. Le texte adopté a toutes les chances de rester immuable. Il ne consacre pas une étape de plus dans les petits pas de la construction européenne, mais constitue un verrou interdisant l'accession à l'Europe politique et démocratique.

Confusion des pouvoirs ; impuissance politique ; sanctuarisation de cette impuissance du fait de la quasi impossibilité de réviser la Constitution. On retrouve à nouveau la plus pure tradition libérale qui, écartant toute possibilité d'intervention politique, laisse " la main invisible du marché " : des normes et des règles dans lesquelles est insérée la politique économique et budgétaire à la précision rigoriste de 240 pages de stipulations constitutionnelles. La politique est durablement entravée. Désormais, les Etats et les Citoyens devront faire valoir leurs droits auprès des juges, et non auprès des élus.

La question démocratique, condition du rapprochement de l'Europe et des européens , n'est pas réglée

Les quelques pouvoirs nouveaux octroyés au Parlement sont aussitôt limités. Ainsi le processus législatif reste un " processus " partagé avec la Commission qui garde le pouvoir de l'arbitrage final.

De même le Parlement dispose d'un veto sur les accords intergouvernementaux. Sont ainsi crées les conditions d'un blocage sans issue en cas de conflit. Immanquablement, cela consolidera la part de pouvoir occupé par les organes technocratiques.

Ayant pour objectif de simplifier les règles existantes, ce qui est un préalable à une assise démocratique plus solide, la Constitution de 240 pages augmente le nombre d'actes juridiques pouvant être édicté par l'Europe. Aux 5 catégories d'actes possibles jusqu'alors, le texte ajoute 3 nouvelles catégories qui contribueront d'autant plus à l'opacité des processus de décisions.

La création d'un droit de pétition des Citoyens d'Europe est présentée comme majeure. En fait, elle se limite dans les faits à une simple invitation pouvant être adressée à la Commission de prendre une initiative législative dans un domaine nécessaire à l'application de la Constitution : aucune contrainte ne peut s'exercer, tous les sujets ne peuvent être abordés.

Une autre Europe est possible

Les socialistes ne peuvent donc partager le contenu et la logique qui sous-tend le projet de Constitution. Libérale, organisant l'impuissance, anti-démocratique, ce texte constitutionnalise le contraire de nos exigences, de nos convictions et de nos combats. Sans attendre d'une Constitution Européenne qu'elle soit socialiste, nous voulons au moins qu'elle ne nous interdise pas de l'être et de mener les réformes auxquels nous croyons. Nous ne voulons pas être ceux qui auront contribué à empêcher ceux qui défendent nos valeurs de poursuivre leur action. Nous ne voulons pas demain porter la responsabilité devant le peuple souverain d'avoir accepté de soutenir la remise en cause de deux siècles d'acquis démocratiques et sociaux. Nous ne voulons pas contribuer à favoriser encore davantage la montée des populismes dans notre pays en souscrivant à un processus qui ne répond pas aux attentes légitimes de nos concitoyennes et de nos concitoyens.

C'est pourquoi, à la démarche en cours, dont nous demandons qu'elle donne lieu à une ratification référendaire par le peuple, nous opposons résolument notre projet européen.

• Celui d'un régime parlementaire avec un véritable Parlement, issu d'une élection avec des listes transnationales, conduites par un candidat à la Présidence de la Commission, gagnant le pouvoir de voter l'impôt et devant lequel la Banque Centrale est responsable.

• Celui d'une Europe gouvernable, dans des conditions compréhensibles par les citoyens, avec un seul président (de la Commission et du Conseil), libre de choisir ses commissaires jusque dans le Parlement et responsable devant lui.

• Celui d'une véritable Fédération assurant la représentation des Gouvernements et Parlements nationaux, et garantissant la possibilité de coopérations renforcées.

• Celui d'un vrai traité social spécifique comportant, comme celui de Maastricht, cinq critères capables de faire reculer la pauvreté, le chômage, de garantir les droits sociaux et un niveau de protection sociale élevé, d'assurer un développement commun et durable.

• Celui d'une Europe capable de se faire entendre sur la scène internationale, pour défendre partout les exigences des droits de l'homme, de la liberté des peuples à disposer d'eux-mêmes et de la paix, pour combattre les inégalités de développement et les ravages d'une croissance non maîtrisée.

• Celui d'une Europe au service de l'Onu qui érigerait, indépendamment de l'Otan, son propre système de défense.

Celle-ci pourrait être mise en œuvre au lendemain des prochaines élections européennes, à partir de propositions que le nouveau Parlement Européen, transformé en Assemblée constituante, pourrait élaborer dans un certain délai, projet qui serait ensuite soumis à un référendum européen organisé, le même jour, dans tous les pays de l'Union.

Voilà la véritable voie de réconciliation de l'Europe et des peuples. Il n'y a pas d'autre chemin possible. Celui que l'on nous propose porte en lui des lendemains difficiles, pour l'Europe, pour la France, pour les valeurs de la démocratie et du socialisme. C'est pourquoi, aujourd'hui, nous disons non, en l'état, au projet de Constitution issu des travaux de la Convention et appelons les socialistes et la gauche toute entière à engager un grand débat avec le pays.

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