GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

International – Europe

Cap à gauche au SPD ?

Le SPD organisait depuis deux mois des élections internes. Au second tour, les candidats situés à la gauche du parti, Norbert Walter-Borjans et Saskia Esken, l’ont emporté face au binôme Olaf Scholz - Klara Geywitz. Ce scrutin peut avoir des conséquences majeures, puisque Walter-Borjans et Esken ont fait campagne en critiquant la participation du SPD à la grande coalition tandis que leurs concurrents incarnaient la continuité stratégique.

Scholz est non seulement ministre des Finances, mais également vice-chancelier fédéral, ce qui fait de lui le numéro 2 de la grande coalition, juste derrière Angela Merkel !

Jusqu’à cette élection, les candidats victorieux étaient, eux, des figures relativement inconnues du grand public. L’économiste Walter-Borjans a été ministre des Finances du Land de Rhénanie du Nord-Westphalie entre 2010 et 2017. Son principal fait d’armes :avoir acheté pour 19 millions d’euros des données à des lanceurs d’alerte suisses pour poursuivre des évadés fiscaux allemands – ce qui a rapporté au gouvernement rhénan 7,2 milliards d’euros. Esken est, quant à elle, ingénieure informatique et députée fédérale pour le district de Calw dans le Land de Bade-Wurtemberg (sud-ouest de l’Allemagne) depuis 2013.

Refuser la fatalité

Le duo a mené campagne en dénonçant le fourvoiement « néolibéral » du SPD et les « erreurs » du passé, en particulier les réformes du marché du travail menées sous le chancelier Gerhard Schröder, qui avaient provoqué une scission historique du SPD vers sa gauche et qui sont aujourd’hui devenues un épouvantail pour les adhérents du parti. De même, ils ont dénoncé le soutien du gouvernement fédéral et de son ministre des Finances à la doctrine du Schwarze Null (le « zéro noir »), c’est-à-dire l’objectif d’un budget fédéral équilibré ou excédentaire, alors que les investissements publics en Allemagne sont au plus bas.

Par conséquent, ils plaident pour une loi réformant la règle d’or allemande (qui n’autorise en temps normal qu’un déficit public inférieur à 0,35 % du PIB), ou pour la création d’un instrument fédéral non-comptabilisé dans le budget fédéral afin de relancer les investissements en infrastructure (éducation, numérique, routes, voies ferrées) ; en même temps, ils dénoncent l’emprise des marchés financiers sur la démocratie. Les deux nouveaux dirigeants réclament un plan d’investissement public de 500 milliards d’euros, ainsi que l’augmentation du Smic de 9 à 12 euros de l’heure. Walter-Borjans et Esken plaident également pour des objectifs bien plus ambitieux en matière de transition énergétique, et ont vivement critiqué la politique européenne du gouvernement fédéral sous Merkel pour avoir consacré l’idée que la solidarité fiscale au sein de la zone euro se ferait au détriment des intérêts allemands. Enfin, ils ont également pris pour cible l’obligation faite aux pays membres de l’Otan de consacrer 2 % de leur PIB aux dépenses militaires.

Le duo a été formellement désigné à la tête du parti le week-end du 7-8 décembre (lors duquel le parti a également réhabilité la rose rouge pour bien marquer le retour à ses fondamentaux). Pour le moment, les nouveaux dirigeants ont déclaré vouloir laisser une « chance réaliste » à la grande coalition d’aller à son terme (les prochaines élections fédérales sont prévues pour 2021). En réalité, le SPD est, depuis les élections européennes de mai 2019, en perte de vitesse dans les sondages – où il est crédité de moins de 15 %, tandis que les Verts sont donnés autour de 23 %.

Dans l’air du temps

L’orientation défendue par Walter-Borjans et Esken en matière fiscale est en réalité de plus en plus populaire en Allemagne. Depuis cet été, des économistes de tout poil (y compris classés à droite), des hauts fonctionnaires (dont celui qui a conçu la règle d’or en 2009, Christian Kastrop*), mais surtout les syndicats et le grand patronat appellent publiquement à une remise en cause du dogme de l’équilibre budgétaire. Le lundi 18 novembre 2019, la DGB et le BDI (le Medef allemand) ont présenté un plan élaboré conjointement par des instituts de recherche qui leur sont proches (l’Institut de macroéconomie et de conjoncture de la fondation Hans-Böckler pour la confédération syndicale, l’Institut économique de Cologne pour le BDI) appelant à un plan de 450 milliards d’euros d’investissements publics sur dix ans – dont 110 milliards pour l’éducation, 20 pour les transports publics urbains et autant pour le réseau routier, 60 pour les voies ferrées, 20 pour le déploiement de la fibre optique et 75 pour la décarbonisation de l’économie.

Malgré cette prise de position du patronat et des économistes libéraux, la droite allemande – CDU/CSU comme FDP – rejettent toujours cette réorientation de la politique fiscale. Ils sont en effet sous la coupe de l’électorat conservateur qui rechigne à la moindre idée d’une augmentation des dépenses publiques... quand bien même l’État fédéral allemand emprunte à des taux négatifs !

De ce point de vue, et quel que soit le sort de la grande coalition, les dix-huit mois qui nous séparent des élections de septembre 2021 vont sans doute voir se dessiner outre-Rhin deux camps opposés sur cette question fondamentale non seulement pour l’Allemagne, mais pour l’Europe toute entière. L’affaire est donc à suivre attentivement.

Cet article de notre camarade Christakis Georgiou aété publié dans le numéro de décembre de Démocratie&Socialisme, la revue de la Gauche démocratique et sociale (GDS).

* Voir l’article du Financial Times, « Architect of Germany’s debt limit calls for new borrowing », 24 octobre 2019 (https://www.ft.com/content/329675fa-f1b2-11e9-ad1e-4367d8281195)

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