GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

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Travailler toujours plus : une hérésie !

Le débat sur les retraites s’anime aussi en Suisse. Après le Conseil fédéral qui a relancé l’idée de relever l’âge de la retraite des femmes de 64 à 65 ans, les Jeunes libéraux-radicaux (JLR), viennent de franchir un pas de plus, en proposant, via une initiative populaire, de porter l’âge de la retraite à 66 ans pour les deux sexes à partir de 2032, puis de le lier à l’augmentation de l’espérance de vie à 65 ans.

Selon les calculs de cette formation politique proche des milieux patronaux, une personne qui aurait aujourd’hui 36 ou 37 ans devrait prendre sa retraite à 67,5 ans en 2050. Autant dire que cette initiative est celle de tous les dangers, d’autant plus qu’elle repose sur trois erreurs d’analyse.

Les femmes n’ont qu’un avantage

Première erreur : il ne saurait être question de pénaliser les femmes, tant qu’une égalité absolue n’aura pas été réalisée. Or, même si la proportion des femmes au Conseil national est passée de 32 à 42 % le 20 octobre dernier et malgré l’imposante mobilisation du 14 juin, cette égalité est encore loin d’être acquise. Le fait que les femmes puissent prendre leur retraite une année avant les hommes est d’ailleurs le seul avantage social qu’elles ont par rapport à eux. En revanche, dans tous les autres domaines (éducation, formation, emploi, salaire, cumul des tâches, hiérarchie professionnelle et politique), les femmes sont discriminées. La retraite des femmes à 64 ans ne relève donc pas d’un quelconque paternalisme.

En outre, le manque à gagner des femmes découlant des discriminations salariales se monte à dix milliards de francs (un peu plus de 9 milliards d’euros) par année. Les cotisations à l’AVS (branche publique des retraites fondée sur la répartition) des employeurs et des employés s’élevant au total à 8,7 % dès le 1er janvier 2020, il en résulterait, en cas d’égalité absolue, des recettes supplémentaires de 870 millions de francs (plus de 790 millions d’euros).

La fatigue ne diminue pas

Deuxième erreur : le fait de fixer l’âge de la retraite en fonction de l’espérance de vie sous-entend que la fatigue diminue avec l’augmentation de ladite espérance de vie. Or, rien n’est plus faux. Arrivé à l’âge de 60, de 62 ou de 65 ans, une vendeuse, un ouvrier d’usine ou un maçon ne sera pas moins usé, qu’il vive jusqu’à 82 ans au lieu de 78. À cela s’ajoute le fait que seule une minorité de Suisses (32 %) travaillent jusqu’à l’âge légal de la retraite, phénomène qu’on observe aussi dans d’autres pays, notamment en France.

Ne pas peindre le diable sur la muraille

Troisième erreur : le fait de faire croire que l’AVS est au bord du gouffre. Or, s’il est vrai qu’à moyen terme, notre principale institution sociale aura besoin d’un financement supplémentaire, celui-ci ne doit pas se faire obligatoirement sur le dos des femmes et il ne faut pas peindre le diable sur la muraille. D’autres solutions existent : relèvement modeste des cotisations (elles seront déjà augmentées de 0,3 % au 1er janvier prochain) ; participation de tous les revenus (y compris ceux du capital et ceux provenant d’un héritage) au financement de l’AVS ; super impôt sur les salaires annuels supérieurs à cinq millions et les fortunes de plus de 500 millions ; transfert des bénéfices de la Banque nationale suisse (BNS) à l’AVS.

Mais la solidité de l’AVS – comme celle des autres assurances sociales – dépend avant tout de la croissance (durable et de qualité, bien sûr). Or, en l’espèce, la droite libérale-radicale n’a pas fait preuve de beaucoup d’imagination jusqu’ici, alors que la transition écologique offre un immense champ de réflexion et d’action.

L’imagination au pouvoir

Les mesures qui précèdent sont non seulement importantes pour garantir la pérennité de l’AVS, mais aussi pour remettre l’imagination au pouvoir dans les réformes à venir de notre système de retraites :

  • Créer, comme pour les salaires, une treizième rente AVS (y compris pour les rentiers actuels), afin de sécuriser quelque peu le pouvoir d’achat des retraités.
  • Instaurer la retraite après 40 ans de cotisations (voire 41 ou 42, c’est le principe qui compte). Ce système est en effet le plus juste, en particulier pour les travailleuses et les travailleurs les plus âgés.
  • Favoriser le développement de la retraite progressive, qui permet aux travailleurs de réduire leur temps de travail durant les dernières années de leur activité professionnelle. Ce système est en vigueur au sein de l’entreprise de parfums Firmenich à Genève, ainsi que dans toutes les entreprises horlogères soumises à la convention collective de la branche. Dans ce dernier cas, les salariés peuvent réduire leur temps de travail de 20 % durant leur avant-dernière année d’activité professionnelle et de 40 % durant la dernière. À l’aube de la retraite, ils travaillent ainsi trois jours par semaine mais sont payés quatre, tout en ne perdant rien sur leur deuxième pilier (retraite complémentaire privée).

Assurément, ces quelques pistes sont moins dangereuses que les propositions des JLR !

Cet article de notre ami Jean-Claude Rennwald (ancien député au Conseil national suisse, militant socialiste et syndical) a été publié dans le numéro de décembre de Démocratie&Socialisme, la revue de la Gauche démocratique et sociale (GDS).

 

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