GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

À Gauche

Au-delà des polémiques, unifier le salariat

À en croire l’actualité, la gauche serait donc condamnée à se diviser à l’infini entre les végétariens et les « viandards », les bénéficiaires des « allocs » et les « vrais » travailleurs, les « déconstruits » et les virilistes… Nous préférons quant à nous unifier le salariat en mettant au cœur ce qui l’identifie en propre : la question sociale.

En marge de la Fête de L’Huma, Fabien Roussel a réussi le tour de force pour un responsable communiste d’opposer la « gauche des allocs » et la « gauche du travail ». Si cette formule a le mérite de remettre au goût du jour l’idée marxienne que l’être humain se produit en produisant et qu’à ce titre, le travail est un facteur décisif d’humanisation, force est de constater que c’est bien là le seul.

Reconnaissant à toutes les composantes de la gauche, une absolue liberté d’opinion et d’expression, nous avons dénoncé le Roussel-bashing. Nous n’en regrettons pas moins que le Secrétaire général du PCF se complaise dans une formule, non seulement polémique vis-à-vis de nombreuses sensibilités de gauche, mais aussi et surtout qui fait la joie de la droite. Une gauche qui se déchire sur la question de « l’assistanat » et de la « valeur » travail ? Celles et ceux d’en face croient vivre un rêve éveillés…

Classe en soi et classe pour soi

Nous considérons, à la GDS, que la tâche primordiale du parti du salariat à construire, face aux manœuvres de division, généralement orchestrées par la bourgeoisie, mais parfois menées – hélas ! – par une fraction de la gauche, est d’élever la conscience de classe des salariés. En termes marxistes, cela signifie transformer le salariat de « classe en soi » à « classe pour soi ».

La notion de « classe en soi » désigne chez Marx un ensemble d’individus qui, bien que partageant objectivement un même positionnement dans le procès de production et partant des conditions de vie similaires, n’ont aucunement conscience de former une classe sociale cimentée par des intérêts communs, et qui ne sont de ce fait représentés par aucune organisation politique, voire syndicale. Pour Marx, la classe en soi par excellence reste, dans la France du milieu du XIXe siècle, la « paysannerie parcellaire », c’est-à-dire les petits et moyens exploitants agricoles propriétaires de tout ou partie des terres qu’ils cultivent. À ses dires, ils « constituent une masse énorme dont les membres vivent tous dans la même situation, mais sans être unis les uns aux autres par des rapports variés. Leur mode de production les isole les uns des autres, au lieu de les amener à des relations réciproques »(1).

La bourgeoisie se situe à l’exact opposé : il s’agit d’une classe unie par des coutumes et des codes sociaux similaires, mais aussi consciente de ses intérêts communs, notamment en raison de l’existence d’un taux de profit moyen reliant objectivement tous les membres de cette classe, au-delà de la concurrence existant entre capitalistes individuels. Les profonds bouleversements qui ont chamboulé le monde occidental, de la Révolution française aux révolutions industrielles successives, ont fait du patronat industriel une « classe pour soi ».

Qu’en est-il de son « frère ennemi », le salariat ? Marx a bien vu que le processus de prise de conscience de leurs intérêts communs est, chez les salariés, le produit direct de la domination du capital qui les place dans une situation productive comparable, tout en organisant, sur le fameux « marché du travail », une concurrence meurtrière entre eux. D’où la construction d’organisations syndicales, puis politiques en vue de se défendre et d’arracher des droits nouveaux. Pour contrer cette dynamique mortifère pour elle, la société bourgeoise se protège en mobilisant à l’envi des récits occultant la réalité objective des rapports sociaux et des intérêts de classe (2) : mythes nationaux, préjugés anti-immigrés, stéréotypes de genre, discours contre les « assistés », opposition villes-campagnes sont autant de moyens pour casser le processus d’auto-production du salariat en tant que « classe pour soi ».

Nos tâches

La GDS s’assigne pour tâche, à son échelle et en contribuant à créer ce grand parti de la gauche qui nous fait tant défaut, de contribuer à l’unification du salariat, afin de préparer la voie à une société nouvelle, débarrassée des antagonismes de classe et de la violence socio-économique qu’ils charrient. Les pages qui suivent se veulent une démonstration de cette conviction théorique que nous avons chevillée au corps.

En effet, nous pensons que les questions sociales les plus centrales (salaires, retraites, Sécu…) constituent le socle sur lequel le salariat peut pleinement se construire comme classe pour soi. Mais nous considérons par ailleurs que, face à une bourgeoisie dont la perpétuation du règne malmène toujours davantage les sociétés et la planète, les questions d’institutions et de démocratie, mais aussi les enjeux environnementaux, sont des ferments d’unité de notre camp. Face à la montée de l’ordo-libéralisme autoritaire et des néo-fascismes, tout comme face à l’épuisement des ressources naturelles imposé par la course sans fin aux profits, il y a un intérêt commun de l’immense majorité. En France, en Europe et dans le monde.

(1) Karl Marx, Le 18 Brumaire de Louis-Napoléon Bonaparte, Éditions sociales, coll. Classiques du marxisme, 1969 (1éreéd. 1851), p. 126.

(2) Ce développement doit beaucoup à l’article « Conscience de classe », www.universalis.fr.

Cet article a été publié comme introduction au dossier du numéro 298 (octobre 2022) de Démocratie&Socialisme, la revue de la Gauche démocratique et sociale (GDS).

Inscrivez-vous à l'infolettre de GDS




La revue papier

Les Vidéos

En voir plus…