GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

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Comment expliquer le « Non » chilien ?

Cette analyse s’appuie sur les informations factuelles contenues dans l’article de Franck Gaudichaud et de Miguel Urrutia sur la victoire du « Non », paru sur le site de Contretemps*. Ces données suggèrent une explication que, malheureusement, leur texte ne retient pas comme fondamentale.

Cette explication, c’est celle du maximalisme du texte soumis au vote de l’électorat. Les auteurs la survolent, mais ne s’y arrêtent pas. Cet évitement provient du fait que leur grille d’analyse du rapport qu'entretient l’électorat avec le texte d’une Constitution réside dans l’orientation programmatique et stratégique qui y a été introduite, alors qu’une Constitution doit garantir la démocratie dans les débats.

Ce qu’est une Constitution

En conformité avec sa fonction démocratique, une Constitution ne doit pas imposer des objectifs programmatiques ni peser sur le choix des stratégies des partis. Elle doit montrer les enjeux, mais laisser aux organes législatifs la définition des mesures politiques et aux partis la définition de leur stratégie, de leur organisation et de leurs alliances.

Une Constitution doit établir les règles qui assurent les droits de toutes les parties dans les débats et les prises de décision. Elle doit donc obtenir l’assentiment le plus large, allant même si possible de l’extrême gauche à l’extrême droite, de sorte que ceux qui la rejettent soient très minoritaires.

C’est pourquoi dans un référendum constitutionnel, les « Oui » doivent obtenir une majorité qualifiée d’au moins deux tiers des votes non-nuls pour que le texte soit adopté. Il faut deux tiers des votants, pas seulement deux tiers des exprimés, puisque les votes blancs dans les scrutins à bulletins secrets (ou les abstentions dans l’Assemblée constituante) peuvent être assimilés à des « contre ». Ces règles ne sont presque jamais respectées (elles le sont plus souvent pour les statuts d’une association).

Maximalisme chilien

Au Chili, le maximalisme de la formulation des droits constitutionnels, auquel s’est ajoutée la complexité du texte (long de 388 articles !), a fait obstacle au large accord nécessaire pour une Constitution : on sait que, en ajoutant une exigence dans un texte, on lui enlève des voix et on risque d’ouvrir un nouveau conflit.

Pour définir les fonctions que peut remplir une Constitution démocratique, il faut définir l’enchaînement « valeurs - droits - mesures ». Chaque valeur à laquelle nous donnons une dimension politique (liberté, égalité, fraternité, etc.) ouvre un ou plusieurs enchaînements de ces trois maillons de complexité croissante : valeurs, droits démocratiques, mesures politiques. Pour faire respecter une valeur, on formule des droits ; comme ils finissent par se révéler insuffisants, on formule des droits supplémentaires, etc. Pour faire respecter chacun de ces droits, on adopte des mesures politiques ; puis, comme elles s’avèrent insuffisantes à la longue, on en adopte d’autres, etc.

Par exemple, pour concrétiser la valeur « féminisme », on reconnaît plusieurs droits : à disposer de son corps, au divorce, etc. Pour faire respecter le droit à disposer de son corps, on adopte plusieurs lois autorisant la contraception, autorisant l’IVG, le remboursant par la Sécurité sociale, etc. Pour faire respecter le droit au divorce, on adopte plusieurs lois supprimant l’autorisation du mari pour ouvrir un compte bancaire et pour travailler, supprimant la notion de chef de famille, etc.

Constitutionnaliser des droits

Une Constitution démocratique doit reposer sur les valeurs démocratiques et elle doit les faire déboucher sur la reconnaissance de tous les droits principiels, du moins le plus possible. Mais elle doit éviter de risquer le dissensus en détaillant trop leur composition technique et ne doit pas s’aventurer sur le terrain des mesures politiques.

Les mesures politiques assurent le respect des droits constitutionnellement reconnus. C’est le domaine des lois. Or, pour remplir cette fonction, ces mesures doivent souvent être reformulées ou modifiées, alors que la formulation des droits est plus stable : elle convient donc mieux pour une Constitution. Parfois des mesures légales peuvent être en avance sur les droits. En ce cas, on doit déduire de ces mesures les droits en faveur desquels il faut amender la Constitution.

Mais ce ne sont pas les mesures en question qu’il faut introduire dans la Constitution, ce sont les droits qui en dérivent. Il ne faut pas donner de dimension constitutionnelle aux mesures politiques. Le « maximalisme » peut se manifester aussi par l’introduction de mesures politiques dans la Constitution : c’est une des fautes commises par Giscard d’Estaing en 2005-2006 en introduisant la partie III sur les politiques européennes dans son projet de « Constitution européenne ».

Cet article de notre camarade Pierre Ruscassie a ét épublié dans le numéro 298 (octobre 2022) de Démocratie&Socialisme, la rrevue de la Gauche démocratique et sociale (GDS).

* Franck Gaudichaud et Michel Urrutia, « Chili : comment expliquer le large rejet du projet de nouvelle Constitution ? », www.contretemps.eu, 10 septembre 2022.

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