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Référendum au Chili : un « non » qui interroge

La proposition de la Convencion constitucional a été rejetée par 62 % des voix, le 4 septembre dernier. Sur les 13 millions de votants (85 % de l’électorat), 7,8 ont voté « rechazo ». Les 16 régions chiliennes ont opté pour le rejet. Une défaite amère, mais qui s’explique.

Il ne s’agissait pas principalement du choix entre une nouvelle Constitution et celle des militaires de 1980, mais bien d’approuver ou non un texte qui pouvait apparaître pour certains comme un arbre de Noël, au vu de la myriade de revendications qu’il contenait. En effet, les organisations sociales et les partis de gauche étaient très fortement représentés à l’Assemblée constituante. Avec plus de 70 % des délégués en son sein, ils imposèrent un texte à leur image.

Constitution ou catalogue ?

Ce texte était en quelque sorte le miroir de ceux qui l’avaient rédigé, un miroir trop précis dans lequel les électeurs ne se sont pas reconnus majoritairement et dont certains reflets ont détourné leurs yeux et leurs votes. Cette ambition a donné à la droite et l’extrême droite des grains à moudre pour leur campagne pour le rechazo (« rejet »). Elles ont pu piocher dans ce catalogue et cibler les sujets les plus clivants.

La tentation de cette assemblée pour régler par voie constitutionnelle le passif de la dictature et des gouvernements de la « transition », avec son cortège de manquements à des droits qui sont reconnus dans de nombreux pays, a donné, à la droite et à l’extrême droite traditionnelles, mais aussi de secteurs proches de la démocratie chrétienne et du centre politique, l’occasion d’une campagne sélective et extrêmement efficace pour le « rejet ».

L’opposition à la peine de mort, l’interruption volontaire de grossesse, le droit au divorce, à la connexion Internet, à l’air, à l’eau, à la santé de la naissance jusqu’à la mort, la parité de genres au gouvernement et dans l’État, les droits des animaux et de la nature… Autant de questions que la Constituante voulait graver dans le marbre.

La droite dans ses œuvres

Tandis que le texte constitutionnel interdisait toute discrimination, y compris pour les migrants ou les réfugiés, quand les peuples et nations indigènes y étaient titulaires de droits fondamentaux collectifs et avaient le droit à la terre et aux ressources, à leur propre gouvernement, voire à leurs tribunaux, la campagne réactionnaire s’échina à dénoncer ces populations comme des privilégiés. Elle surfait sur un racisme profondément ancré contre El Indio et trouvait un large écho dans la société. Et du côté des premiers intéressés, les droits revendiqués par les représentants des peuples pré-coloniaux ayant été revus à la baisse, le texte fut loin de faire l’unanimité parmi eux. Dans la région d’Araucania, où vivent la plupart des communautés mapuches, la réprobation a même dépassé la barre des 75 % de votants.

Cette campagne débridée de la droite et de l’extrême droite, relayée par certains secteurs de la démocratie chrétienne, n’était pas plus intense que lors de l’élection présidentielle d’octobre 2022, mais elle fit mouche. Portée par des associations thématiques ou des organisations catholiques, qui agitaient le chiffon rouge de la division de la nation dans un futur « État plurinational », sur les « indigènes qui deviendraient des privilégiés », sur la fin de la propriété privée, la fin de la liberté de l’enseignement, sur le droit à la vie vs le droit à l’IVG, elle alimentait les réseaux sociaux de nombreuses fake-news et nourrissait la campagne pour le rechazo en affirmant par exemple que la nouvelle Constitution permettrait l’avortement au neuvième mois de grossesse ou qu’elle interdirait d’être propriétaire d’une maison.

Enfin, les atermoiements du gouvernement Boric, en place depuis mars 2022, pour mettre en pratique son « programme de réformes structurelles » et ainsi satisfaire les revendications de son camp, ainsi que la démobilisation des secteurs populaires ont vu les communes les plus pauvres dans lesquelles la gauche l’avait largement emporté lors de la présidentielle, voter elles aussi pour le rejet et tout particulièrement dans la capitale, à Santiago.

L’obligation d’aller voter était prévue par la réforme constitutionnelle instituant le plébiscite final de ratification du texte constitutionnel. Cette obligation a conduit aux urnes 4 millions d’électeurs qui ne s’étaient jamais déplacés lors des scrutins précédents. Ces électeurs qui rejettent les partis et la politique en général ont sanctionné à plus de 80 % la Constituante par un « vote rejet » massif.

Et maintenant ?

Une nouvelle constituante doit voir maintenant le jour ; c’est la position du gouvernement Boric et elle est peu contestée frontalement. Ce sont les parlementaires, et donc les partis qui devront trouver un consensus et une majorité sur le processus d’organisation de cette nouvelle assemblée.

Une Constitution doit être approuvée largement, elle doit nommer les institutions et organiser leurs relations et laisser à la loi et aux règlements leurs espaces propres. Ce que dit Pierre Ruscassie dans son article (voir page ci-contre) est fort juste : la Constitution n’a pas vocation à inscrire en son texte l’ensemble du programme ni la stratégie des partis, mais doit permettre d’organiser le débat et les décisions politiques en fixant un cadre démocratique. C’est d’ailleurs sur cette question centrale que le texte proposé pêchait, puisqu’il perpétuait le présidentialisme comme système de représentation politique.

Le texte de cette nouvelle Constitution devrait être plus général et acceptable pour le plus grand nombre, tout en donnant à une élection directe et proportionnelle des représentants au Parlement un rôle central dans la formation des futurs gouvernements.

Cet article de notre camarade Jean-Alain Mazas a été publié dans le numéro 298 (octobre 2022) de Démocratie&Socialisme, la revue de la Gauche démocratique et sociale (GDS).

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