GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

International – Europe

Aprés le Conseil européen des 16 et 17 juin, Blair à nu

Ce sommet des chefs d'Etat et de gouvernement était prévu de longue date. Il devait permettre d'adopter le budget de l'Union Européenne pour 2007-2013.

Mais les « non » français et néerlandais ont chamboulé l'ordre du jour. Et le Conseil a d'abord dû répondre à la question que tout le monde se pose en Europe : que faire du traité constitutionnel ?

Qu'il s'agisse de l'empoignade sur le budget européen ou de la reculade sur la ratification du traité constitutionnel, le Conseil des chefs d'Etat et de gouvernement tenu les 16 et 17 juin à Bruxelles, a relevé au grand jour la véritable nature de l'Union européenne telle qu'elle se construit aujourd'hui.

Le budget

Les 25 se sont d'abord empoignés sur le montant global du budget européen.

Les six pays qui contribuent le plus au budget de l'Union européen, l'Allemagne, la France, le Royaume Uni, les Pays Bas, la Suède et l'Autriche ont annoncé d'emblée leur exigence : le budget de l'Union ne doit pas représenter plus de 1 % du PIB de l'Europe, soit 815 milliards d'euros. La présidence du Conseil (Jean-Claude Junker) proposait 1,06 % de ce même PIB (871 milliards d'euros). Les 25 n'ont pas réussi à se mettre d'accord et ont étalé, aux yeux de tous, leurs querelles de boutiquiers.

Nous étions bien loin alors de l'Europe solidaire dont ils nous vantaient les mérites avant le référendum français. Quant aux déclarations de Chirac en faveur d'une « politique économique davantage au service de la croissance et de l'emploi » elles montraient là toute leur vacuité.

En effet, que le budget européen soit de 1 % ou de 1,06 % il sera, de toute façon très loin de ce qui serait nécessaire pour permettre aux 10 (et bientôt 12) nouveaux entrants de rattraper les 15 premiers arrivants. Ce budget est une leçon de choses sur les voies choisies par l'Union européenne : le refus de l'harmonisation sociale et le choix du dumping social. Exactement ce que le traité constitutionnel se proposait de graver dans le marbre.

Ils se sont ensuite empoignés sur le « chèque britannique » et sur la « Politique Agricole Commune », la PAC. Blair contre Chirac.

Blair ne voulait pas revenir sur le rabais qui avait été consenti à Margaret Thatcher en 1984. Ce rabais permettait au Royaume uni de ne contribuer qu'à hauteur de 13 % du budget européen alors que, calculé comme pour les autres pays, sa contribution aurait dû s'élever à 18 % de ce budget. Pourtant, rien ne justifie plus ce rabais, s'il a jamais été justifié : la situation économique du Royaume-Uni est nettement meilleure que celle de la plupart des pays continentaux.

Chirac ne voulait rien céder sur la PAC. Pourtant, cette PAC représentera, pour la période 2007-2013, 40 à 45 % du budget européen alors même que l'agriculture ne représente plus que 1,6 % du PIB de l'Union Européenne et ne concerne plus que 5 % de ses actifs. Pourtant cette PAC, outre les grands propriétaires fonciers que sont le prince Charles et les ducs britanniques, profitent essentiellement aux gros céréaliers et betteraviers français.

Le Conseil s'est terminé sur une impasse. Chirac n'a rien voulu céder sur les « aides directes » de la PAC et la proposition de Jean-Claude Junker de geler le « rabais britannique » à 5,5 milliards (au lieu de 7,1) la première année puis de diminuer chaque année suivante a été repoussée par Blair.

Cet étalage d'égoïsme insolent n'empêche pas pour autant les dirigeants européens de continuer à montrer du doigt les partisans du « non » et des les rendre responsable de la crise que vit aujourd'hui l'Europe. Comme si l'empoignade budgétaire n'aurait pas eu lieu, exactement dans les mêmes termes, sans la victoire du « non » en France et aux Pays-Bas. Comme si le « non » était la cause et non la conséquence de la crise européenne.

L'avenir du traité constitutionnel

Nos dirigeants européens gonflaient le torse et enfilaient les rodomontades avant que le « non » l'ait emporté en France. La France serait isolée. Les ratifications continueraient, quel que soit le résultat du référendum. Et, même si la Franc votait « non » le projet serait adopté. Quant à la renégociation, c'était du domaine de l'imaginaire : il n'y avait pas de plan « B ». Tout cela s'est écroulé.

Non seulement le « non » français n'est pas isolé mais il fait partout des émules en Europe : aux Pays-Bas où le « non » l'a également emporté avec 62 % des suffrages mais aussi au Danemark, en Irlande, au Portugal, en Suède, en Finlande, en Pologne, en République tchèque où le non l'emporte largement dans les sondages. Un vrai jeu de dominos. Tant et si bien que le Conseil européen a décidé de suspendre les ratifications.

Pierre Moscovici lui-même est obligé de reconnaître qu'un seul « non » aurait empêcher l'adoption du traité constitutionnel : « La Constitution est un traité. Un traité doit être adopté pour tous les Etats membres. Or on sait déjà que les Français et les Néerlandais ne revoteront pas. Dès lors, ce traité ne verra jamais le jour. Alors pourquoi continuer ? » (L'Hebdo des socialistes - 18 juin 2005).

Les mêmes dirigeants (Le Monde du 18 juin 2005) qui avaient soutenu l'impossibilité d'un plan « B » essaient aujourd'hui de sauver la face en affirmant qu'il n'y aurait pas de plan B mais un « plan D, pour débat, dialogue et démocratie ». C'est-à-dire exactement ce qu'exigeaient les partisans du « non » de gauche.

Le triomphe de Blair ?

Si le « non » l'emportait, le vainqueur du référendum devait être Le Pen. La ficelle était vraiment trop grosse et Chirac et Hollande l'ont rapidement abandonnée, une fois qu'ils aient été défaits. Mais ils ont trouvé une autre ficelle qui ne vaut pas plus que l'autre : “le véritable vainqueur des référendums français et néerlandais, c'est Blair”.

C'est curieux : en écoutant Blair, il donne exactement l'impression du contraire. Il savait très bien que le projet de Constitution était du plus pur libéralisme anglo-saxon et il espérait bien, avant de renoncer face à la montée du « non » en Europe, le faire ratifier par un référendum dans son propre pays.

Il se répand aujourd'hui en déclaration sur la nécessité d'une Europe politique et sociale. Pourquoi cette soudaine humilité, si étrangère à ses habitudes ? Parce qu'il a très bien compris, lui aussi, qu'il serait, comme tous les libéraux européens, percuté par l'onde de choc anti-libérale provoqué par la victoire du « non » en France et aux Pays-Bas. D'autant qu'il n'avait gagné les élections législatives, il y a quelques mois, qu'avec 1/3 des électeurs britanniques, une abstention record et n'avait pu sauvé la mise que grâce au caractère anti-démocratique du mode de scrutin britannique : un scrutin uninominal à un seul tour.

Jean Frévent


«Les habits neufs de l'empereur»

Quel plaisir de relire ce merveilleux conte d'Andersen. Ecrit il y a 170 ans, il illustre pourtant parfaitement les dernières aventures de l'Union européenne.

Dans ce conte, Andersen nous dépeint un empereur très soucieux de son apparence et de la beauté de ses vêtements. Deux rusés compères décident alors de tirer parti de la coquetterie de l'empereur. Ils se présentent comme deux tisserands capables de tisser et de confectionner des habits à la beauté incomparable. Mais précisent-ils, ces habits resteront invisibles à tous ceux dont le cœur n'est pas pur.

Ils se mettent aussitôt à faire semblant de tisser. L'empereur leur rend visite, ne voit rien sur leur métier mais ne voulant pas passer pour un homme dont le cœur ne serait pas pur, s'extasie devant la beauté des tissus. Aussitôt tous les courtisans reprennent le même refrain et, de proche en proche, tout le pays ne parle plus que de la magnificence des habits neufs de l'empereur. Tant et si bien que l'empereur décide d'organiser une grande parade où il paraîtra, aux yeux de tout son peuple, drapé de ses nouveaux atours .

La grande parade commence au mieux pour l'empereur. Le roi est nu mais de peur de passer pour des gens dont au cœur impur tous louent l'incroyable beauté des habits impériaux. Jusqu'à ce qu'un enfant s'écrie « Mais l'empereur est nu ». Et aussitôt, les uns après les autres, tous les sujets de l'empire font la même constatation : « Le roi est nu ! »

La parabole est lumineuse !

Avant le référendum français, combien d'Européens n'osaient-ils pas exprimer leur rejet de l'Union européenne telle qu'elle se construisait de peur que l'on puisse douter de la pureté de leurs sentiments européens ? En France, Chirac comme Hollande n'ont-ils pas joué à fond sur cette corde : si vous n'êtes pas pour le traité constitutionnel, c'est que votre cœur n'est pas pur et que vous êtes anti-européens, xénophobe, sans doute même un lepéniste qui s'ignore ?

Quant aux « non » français et néerlandais, n'ont-ils pas joué le même rôle que le cri de l'enfant dans le conte d'Andersen ? L'Union européenne n'est-elle pas alors apparue telle qu'elle était, dans toute sa nudité libérale, le projet de Constitution n'étant que simulacre de démocratie et de social ?

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