Aile droite et ambivalence des 50% obtenus par Royal
En vérité, depuis 2007, Ségolène Royal avait vraiment baissé,
autant dans l’estime des militants que dans celle des
électeurs. Son échec en mai 2007 lui était imputable, et à
personne d’autre. C’était sa faute si elle n’avait pas défendu le
Smic à 1500 euros, la retraite à 60 ans, les 35 h, elle n’y croyait
pas. Le Code du travail ? L’ordonnance de Chirac-Sarkozy du
12 mars 2007, 994 pages format A4 du Journal officiel, publiée
en pleine campagne électorale, recodifiant 160 ans de code du
travail, elle avait refusé d’en parler. Elle n’avait pas affronté
Sarkozy sur son fameux « travailler plus pour gagner plus »,
elle n’était pas fondamentalement en désaccord… Pas question
pour elle de rétorquer qu’il fallait travailler moins, gagner plus
pour travailler tous! Ses foucades et provocations minaient son
image.
Elle s’usait de ne rien dire de séduisant pour le salariat. Ce fut
à un point tel qu’elle dû retirer sa candidature et la placer solennellement
en plein journal télévisé au « frigidaire ». Si elle ne
le faisait pas, elle perdait tous ses soutiens importants dans le
parti et tombait à 10 ou 15 %. Elle promit donc à Gérard
Collomb, à Jean-Noël Guérini, à Robert Navarro, à Julien Dray,
qu’elle ne serait pas candidate au poste de Premier secrétaire.
Elle promit de ne pas provoquer le parti par ses discours téléévangélistes.
Mais elle ne sut résister à faire un « Zenith » se
mettant en scène de façon un peu ridicule comme seule oratrice.
Son clan se disputa, Dray demandant à ce qu’elle fit alliance
avec Hollande, ne la suivant que de justesse lorqu’elle
refusa. Son entourage se modifia, et au détriment de Jean-Louis
Bianco, François Rebsamen, elle eut recours aux plus « aventuriers
», sans scrupules d’orientation comme David Assouline et
Vincent Peillon. Son discours devint plus éclectique, elle prononça
de plus en plus de « phrases gauches » surtout lorsque
surgit la crise. A l’entendre, on pouvait se demander si ce n’était
pas elle la gauche du parti… Mais les propositions concrètes ne
suivaient jamais, ni sur les salaires, ni sur la redistribution des
richesses. Tout ceci lui donnait un discours confus mais attrapetout,
appuyé sur le fait puissant qu’elle avait été LA candidate
avec 17 millions de voix opposées à Sarkozy.
Au départ du débat de congrès, néanmoins, elle avait beaucoup
de handicaps. C’est à cause de la division du reste de la majorité
et du caractère droitier et inaudible des propositions de
Bertrand Delanoë, si la motion à laquelle elle participait, a pu
remonter au score avec 29 % des voix. A l’opposé de ses discours
de « rénovatrice », ce score était dû surtout au plus vieux
secteurs conservateurs de l’appareil des Bouches-du-Rhône, de
l’Hérault, du Rhône… Elle-même, toujours dans les allées du
pouvoir depuis 1983, ministre à répétition, votant pour la majorité
dans tous les congrès, n’avait rien de « neuf » ni d’innovant.
Elle était totalement co-responsable de la situation du parti,
voire même un peu plus au regard des carences de la campagne
personnalisée de 2007.
Mais l’éclatement du « centre » du fameux « bloc central » se
traduisit par un phénomène connu dès l’automne 2006 : mieux
vaut elle que les autres, c’est une femme, elle a été candidate,
c’est peut être plus sûr. Et hop, voilà Ségolène Royal qui se
retrouve légèrement en tête de 4 % des voix… et elle recommence.
Rejouant de la personnalisation, elle s’impose et franchit,
par défaut, la ligne en tête le 20 novembre. Comme on est
revenu à un vote personnalisé et non plus à un vote politique,
elle atteint presque 50 % des voix, le 21 novembre, dans un
parti qui ne voulait pourtant plus d’elle. Même des secteurs de
la gauche du parti flottent et votent pour elle plutôt que Martine
Aubry qui peine à faire oublier qu’elle est devenue le refuge du
reste du vieil appareil.
Et si Ségolène Royal perd, de justesse, c’est parce que Martine
Aubry s’appuie sur les 20/25 % de la gauche rassemblée dans
la motion C.
Car attention, le bilan politique des scores obtenus par Royal est
contradictoire : nous savons qu’elle tient, sur le fond, le discours
le plus droitier du parti, et si elle « met la main sur l’appareil
», disparaîtront quantité de traditions historiques,
militantes démocratiques, y compris la proportionnelle. Mais
nous avons observé aussi que son électorat était plus disparate,
et que même des secteurs de gauche se prononçaient pour elle,
par défaut et par rejet, parfois en fermant les yeux – comme en
2006 et 2007. Et en réalité, on peut déplorer que le fond de son
discours droitier a été « rattrapé » par Bertrand Delanoë en
cours de route. En perdant pied, la motion A multipliait les blocages,
les barrages multiples, plus libérale que socialiste.
Restaient Aubry et la motion C, pôle uni, solide, politiquement
clair. Benoît Hamon a failli, un moment, s’imposer comme la
seule solution alternative face à l’aile droite et au vieux parti
regroupé derrière Royal… In fine le vrai clivage se dessinait là
au terme du congrès : une dizaine de pourcent des voix ont flotté
entre Hamon et Royal directement, démontrant que rien
n’était stabilisé. Jean-Luc Mélenchon s’est trompé : Royal n’a
pas gagné, ni sur le fond, ni sur la forme. L’alliance avec le
Modem est battue au stade actuel. Le sort du parti est devenu
plus incertain que jamais, tout se joue en son sein et il faut plus
que jamais y défendre les idées de gauche.
Le congrès se lit, dans toutes ces descriptions, de façon très
politique, comme un clivage droite-gauche. Le vote final du
21 novembre exprimait cela bien au-delà des deux candidates.
De surcroît, le contexte social tendu ne laisse pas vraiment de
choix à la gagnante du duel: si Martine Aubry refait du
Hollande, du « bloc central », elle sera vite paralysée, et pour
les mêmes raisons, déjà à l’œuvre, cette fois, Royal risque d’y
gagner. Ce n’est pas fait...