Une nouvelle PAC catastrophique
Ainsi donc, le Parlement européen a adopté le 23 novembre dernier la Nouvelle Politique agricole commune (PAC) par 452 voix pour et 178 contre (France insoumise, EELV, PS et Place publique côté députés français), malgré de multiples oppositions et demandes de réorientation.
Ce texte portant sur quelque 386 milliards d’euros de crédits, concernant ainsi le tiers du budget de l’UE, engagera les pays européens jusqu’en 2027. Or, cet accord est une catastrophe sur le plan écologique et du climat, mais aussi d’un point de vue économique, à la fois pour les agricultrices et les agriculteurs, et pour les consommateurs.
Celui-ci tourne en effet le dos à l’exigence de plus en plus largement partagée et indispensable, de réorientation de la politique agricole vers une agriculture paysanne, porteuse de qualité des productions, de bonne rémunération des agriculteurs et agricultrices, de préservation de la planète et du bien-être animal.
Le legs productiviste
L’essentiel des crédits colossaux brassés dans ce cadre continuera à profiter essentiellement aux lobbys de l’agro-industrie.
Le modèle agricole actuel est responsable en France de 20 % des émissions de gaz à effet de serre (GES). Il est à l’origine de l’essentiel de l’effondrement de la biodiversité, avec la pollution de l’air, de l’eau, des sols, qu’il génère, notamment du fait de l’utilisation massive de pesticides et autres intrants chimiques.
Ce modèle, hérité de la course à la production alimentaire quantitative de l’après-guerre, a montré tous ses effets pervers et ses dangers, et n’a plus de raison d’être aujourd’hui. Il est également responsable de la concentration agricole, de la disparition de centaines de milliers de petites fermes, indispensables pour mettre en œuvre une réelle transition écologique. Il met les agriculteurs sous la pression d’une chaîne de distribution dominée par l’exigence du profit et de la rentabilité à court terme : produire beaucoup toujours moins cher !
La preuve par l’échec
La PAC est un échec sur le plan des revenus des paysans, comme sur celui de la transition écologique. Par l’ampleur et la stabilité de ses financements, la Politique agricole commune structure les politiques agricoles de nos pays. Celles et ceux qui en décident – la Commission européenne, les représentants des gouvernements, la majorité de droite du Parlement européen – ont une responsabilité centrale dans le bilan et pour le devenir d’un domaine qui touche aussi bien à notre alimentation et à notre santé, qu’aux territoires sur lesquels nous vivons, au devenir des agriculteurs, à la biodiversité, au bien-être animal.
La Cour des comptes européenne a pointé cela dans ses rapports de 2020. Par exemple, la moitié des crédits européens liés au climat dépendent de la PAC, soit 100 milliards d’euros, mais la Cour note que les émissions de GES ne diminuent pas ces dix dernières années. Même constat du côté de la biodiversité sur les terres agricoles, au sujet de laquelle la Cour constate que les crédits attribués n’ont pas permis d’enrayer le déclin. Et de conclure : « Nous recommandons à la Commission d’améliorer la conception de sa prochaine stratégie en matière de biodiversité, d’accroître la contribution à la biodiversité apportée par les paiements directs et les actions en faveur du développement rural, de renforcer le suivi des dépenses liées à la biodiversité et de mettre au point des indicateurs fiables et adaptés au suivi de l’amélioration de la biodiversité des terres agricoles ».
Climate action network a de son côté évalué les positions de cinq pays européens au travers notamment de leurs Plans Stratégiques Nationaux déclinant la PAC sur leurs territoires (Danemark, France, Allemagne, Irlande, Espagne). Conclusion : les États sont frileux à mettre en œuvre les mesures qui permettraient de réduire les GES de leur agriculture, en particulier parce qu’ils ne s’attaquent pas à l’élevage intensif.
Réorienter, vraiment !
Il était et reste nécessaire, indispensable, urgent, de réorienter la Politique agricole commune. En premier lieu pour impulser véritablement le développement d’une agro-écologie vertueuse, fondée sur de petites fermes, en proximité, créatrices d’emplois, de bien-être, de respect du vivant, de qualité sanitaire et gustative des productions.
En France, 40 % des agriculteurs partiront à la retraite dans moins de dix ans. Actuellement, les deux tiers des départs ne sont pas remplacés ! Il faut redonner du sens et une rémunération décente à ces métiers essentiels, particulièrement en redonnant du prix aux denrées produites.
Sur ce plan, la politique actuelle de subventions reste inégalitaire et essentiellement fondée sur la quantité (nombre d’animaux, d’hectares), elle favorise les grosses exploitations céréalières (largement représentées au sein de la FNSEA qui s’est félicitée de la nouvelle PAC!) au détriment des prairies, elle défavorise considérablement les petites exploitations, qui se voient attribuer des montants forfaitaires dérisoires, strictement plafonnés, alors que les gros exploitants reçoivent quasi sans limite. Selon Mathieu Courgeau, président de la plateforme unitaire Pour une autre PAC, « l’aide à l’hectare est l’outil aveugle par excellence, il n’oriente pas du tout l’agriculture, il incite juste à avoir plus d’hectares pour plus d’aides, c’est une rente »… Il ajoute que 30 % des agriculteurs ne reçoivent quasiment rien de la PAC. Les agriculteurs bio étaient quant à eux mobilisés en juin dernier pour dénoncer la baisse attendue de leurs subventions avec la nouvelle PAC, alors que le secteur est en pleine expansion, et la demande très forte.
Jouer collectif
Seul point positif peut-être dans ce panorama – et encore, malgré des limites – une partie des aides est désormais soumise à des conditions environnementales : l’agriculteur doit attester de certaines pratiques favorables à la biodiversité, ou d’une labellisation pour les percevoir. 20 à 30 % des aides à l’hectare (les organisations paysannes et écologistes demandaient à aller jusqu’à 40 %) seront donc distribuées seulement si l’agriculteur remplit ces conditions.
Les citoyens, les consommateurs, les agriculteurs et de nombreuses ONG environnementales et organisations paysannes rassemblées dans le Collectif Pour une autre PAC ont engagé en amont de l’adoption de la nouvelle PAC, un travail énorme de sensibilisation et de mobilisation sur l’importance de ces enjeux. Ce collectif a notamment fait effectuer une enquête montrant que pour 85 % des Français, qu’ils aient ou non déjà entendu parler de la PAC, se dégageaient quatre enjeux essentiels pour une politique agricole : une juste rémunération des paysans, la préservation de l’environnement, la garantie du bien-être animal, et la garantie d’une alimentation saine et de proximité.
C’est sur ces axes, pour un système agricole plus juste, plus durable et plus sain, que nous devons continuer et développer la mobilisation pour exiger les transformations profondes que la majorité de droite du parlement européen a rejetées de manière irresponsable le 23 novembre dernier.
Cet article de notre camarade Christian Bélinguier est à retrouver dans le numéro 290 (décembre 2021) de Démocratie&Socialisme, la revue de la Gauche démocratique et sociale (GDS).