GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

International – Europe

Brésil : où en est la gauche au Brésil (#1)

Notre camarade Michel Cahen a proposé une enquête sur la gauche brésilienne que nous publierons sur les numéros de D&S de janvier et février. Dans ce premier volet, nous laissons la parole à l’historienne Luciana Lombardo (UFRJ, Rio), ainsi qu’à la juriste et politologue Melina (Sciences Po Bordeaux).

La candidature de Lula a éveillé un grand espoir. Sa personnalité et son charisme, de même évidemment que son bilan positif en tant que président durant deux mandats, sont les facteurs principaux de cet espoir. Lula est souvent qualifié de « gauche » à l’étranger, mais lui-même a toujours dit qu’il n’était pas attaché à cette étiquette et qu’il était avant tout un syndicaliste chrétien, ouvrier, originaire du Nord-Est. Pourtant, la création du Parti des travailleurs (PT), dont il a été un des maîtres d’œuvre, a indéniablement été un processus de gauche.

Quels sont les rapports, aujourd’hui, entre Lula et les divers partis de gauche brésiliens ?

Luciana : Lula n’a pas eu sa formation politique au sein du Parti communiste et n’a pas participé à des groupes marxistes-léninistes ou trotskistes. Mais en raison de ses origines de classe et de sa préoccupation constante pour les conditions de vie et de travail de la classe ouvrière et pour la liberté syndicale, nous pouvons dire qu’il a toujours été à gauche dans l’arène politique brésilienne. Lula-président a essayé d’être un grand conciliateur des intérêts de classe des élites et des travailleurs, mais n’a jamais cessé de défendre et d’agir pour des politiques sociales de redistribution des revenus, ce qui le place à nouveau à gauche, même s’il le nie. Une partie de cette résistance que je vois chez lui à se dire de gauche est due à la stigmatisation de la gauche « abstraite » considérée comme opposée à la famille et à la religion, ainsi qu’à l’anticommunisme féroce des années 1960 que l’on retrouve malheureusement aujourd’hui. Mais le PT est né de la rencontre entre les militants de l’Église, de la lutte armée et du nouveau syndicalisme :  il y a donc toujours eu une coexistence étroite avec ladite « gauche ».

Melina : Lula ne se dit pas de gauche, mais sa position l’est clairement, tant dans la formation du parti que dans sa défense des droits des travailleurs. La fondation du PT représente l’entrée de la classe ouvrière dans l’arène politique au moment de la démocratisation, chose inédite jusqu’alors, puisque d’autres représentants du travaillisme traditionnel brésilien faisaient certes des choses « pour » les travailleurs ou parlaient en leur nom, mais étaient issus de l’élite et sans origine réellement populaire. Une fois au pouvoir, Lula a mis en pratique une « politique de réconciliation de gauche », comme l’a très bien expliqué Luciana. Et aujourd’hui, Lula est à nouveau une sorte de soleil autour duquel gravite la gauche.

Le Brésil est un pays noir (plus de 50 % de la population). Quels sont les liens entre Lula, le mouvement noir et aussi avec le mouvement indigène1 ?

Luciana : Pendant son gouvernement, il y a eu une série de conseils participatifs incluant des mouvements sociaux dirigés par des indigènes, des Noirs, des quilombos2, des jeunes, des femmes, des LGBTQIA, etc. Dans ces conseils, les mouvements n’avaient pas de pouvoir délibératif, mais ils constituaient d’importants espaces de débat et d’écoute. Ils ont été démantelés peu après le coup d’État de 2016. Avec les politiques de discrimination positive, les gouvernements de Lula et de Dilma se sont affirmés comme des gouvernements qui ont réduit les inégalités raciales dans un pays historiquement marqué par l’esclavage et le génocide indigène.

Melina : L’une des critiques couramment formulées à propos des mandats de Lula et du scénario des mouvements populaires est que la lutte sociale aurait perdu de sa force parce que certains fronts d’action auraient freiné leurs activités en soutien au gouvernement, ce qui aurait désarticulé et démobilisé certains mouvements sociaux, expliquant en partie la difficulté d’organiser des manifestations et la convergence des luttes dans les rues à l’annonce du coup d’État de 2016. Quant à la relation avec les mouvements noirs et indigènes, il faut se rappeler que le PT est né comme un mouvement urbain et que c’est seulement dans un second temps, avec le MST (Mouvement des paysans sans terre), qu’il a rayonné dans les zones rurales.

En ce qui concerne plus spécifiquement le mouvement indigène, les mandats de Lula n’ont pas été marqués par de grandes avancées dans les domaines environnementaux et indigènes. Globalement, la position des indigènes n’a pas tiré de bénéfices du gouvernement Lula, et ces derniers ont poursuivi leur mouvement historique et ininterrompu de résistance, par exemple dans l’affaire du barrage de Belo Monte sur le Rio Xingu, construit en empiétant sur des terres indigènes pourtant délimitées officiellement. Le mouvement indigène devrait cependant soutenir la candidature de Lula au second tour, plus comme un moyen de résister à Bolsonaro que parce qu’il voit en Lula un allié historique.

Le mouvement noir en revanche a une histoire beaucoup plus étroite avec Lula et le PT en raison de la relation du parti avec les couches les plus pauvres de la population, et il est très important dans le militantisme du parti.

Quel type de contre-offensive mène Bolsonaro face à des sondages qui donnent Lula victorieux ?

Luciana : Le principal danger est le refus d’accepter que se tiennent les élections d’octobre 2022, traditionnellement organisées de manière électronique au Brésil, ou de tenter de faire face au résultat des scrutins en appelant à des émeutes au sein de la police et d’autres forces de sécurité, voire de milices privées lourdement armées. L’extrême droite bolsonariste se joindrait très probablement à une autre candidature de droite lors d’un éventuel second tour et tenterait la continuité même en cas de défaite apparente. Il y a une réelle menace de guerre civile.

Melina : Le 7 septembre 2021, Bolsonaro a tenté de forcer une sorte de rupture constitutionnelle, mais il n’a pas été soutenu par les militaires3. Face à l’échec, il a dû faire marche arrière, invitant même l’ancien président Michel Temer – l’une des figures les plus impopulaires de l’histoire du Brésil – à l’aider à rédiger une lettre de conciliation pour la Cour suprême. Par la suite, la stratégie de Bolsonaro a changé de cap et il a commencé à composer des alliances avec les « partis physiologiques » du soi-disant centrão4, qui lui ont garanti la gouvernabilité. Récemment, Bolsonaro a rejoint le Parti libéral (centre-droit) – c’est le dixième parti auquel il adhère depuis son premier mandat électif en 1988... Le bluff du 7 septembre 2021 a fini par exposer sa fragilité et il n’a plus une grande marge pour une contre-offensive, mais il va certainement miser sur les menaces citées par Luciana.

Y a-t-il un processus d’unification de la gauche brésilienne derrière la candidature de Lula ? Assiste-t-on aujourd’hui à un rejeu du processus de création du PT, à savoir que presque toute la gauche est disposée à (re)créer un grand parti de gauche, démocratique et pluraliste ?

Luciana : La gauche brésilienne post-Bolsonaro est affaiblie, et nombreux sont ceux qui défendent l’union de la gauche. Je ne sais pas si je comparerais la situation actuelle à celle qui a présidé à la création du PT, car les différences entre les partis sont bien délimitées et je ne vois pas de mouvement vers la création d’un parti unifié – il s’agira plus probablement d’une coalition. Au sein du PSOL, auquel je suis affiliée, par exemple, le groupe qui défend la candidature indépendante de Glauber Braga au premier tour et le soutien à Lula uniquement au second tour est minoritaire depuis le début. La tendance est, avec Guilherme Boulos, le principal dirigeant du parti, de soutenir Lula au premier tour. L’analyse générale est que le temps du soutien critique est passé, les défaites ont été nombreuses et Lula est le seul nom capable d’obtenir les votes nécessaires. Le parti de centre-gauche de plus forte représentation parlementaire avec le PT, le PSB, devrait obtenir la vice-présidence, dans un ticket avec Lula. Ciro Gomes et le PDT sont une autre histoire : je ne sais pas si je les mettrais dans le même camp de gauche aujourd’hui !

Melina : Le fait est que les sondages donnent à Lula des intentions de vote de 40-45 % au premier tour, ce qui produit naturellement un pôle hégémonique autour de lui. Lula est le seul nom capable d’obtenir les suffrages nécessaires pour battre Bolsonaro. C’est en ce sens que je vois non seulement l’union de la gauche, mais la volonté de former un large front, avec l’adhésion de noms du centre-gauche, du centre et du centre-droit.

Une nouvelle possibilité de former une alliance est apparue avec la législation fédérale brésilienne : il s’agit de la « fédération », qui diffère de la coalition de la loi antérieure car elle s’étend sur les quatre années de la législature. La formation d’une fédération entre PT, PSB, PCdoB, PV et Rede est en cours de discussion. D’autre part, le PSOL est en dialogue avec le PDT et le PCdoB visant également à la formation d’une fédération. Cependant, ces conversations sont encore très embryonnaires, et ce scénario ne sera défini que vers mars-avril avec la formalisation des candidatures.

S’il n’y a pas d’accord de fédération, peut-il au moins y avoir des accords de répartition des circonscriptions pour les élections de députés fédéraux, étatiques et les gouverneurs de province ?

Luciana : Je pense que pour les élections des gouverneurs et des députés, les compositions d’alliances et d’arrangements seront plus difficiles... À Rio et à São Paulo, les conversations concernant le soutien à Boulos, Haddad ou Freixo se heurtent à la résistance de certains secteurs mais il y a l’espoir que la gauche puisse lancer des candidatures fortes et s’unir autour d’un ou deux noms dans chaque État.

Quel est l’état de la « gauche plus à gauche » au Brésil aujourd’hui (PSOL, PCdoB, PCB, PSTU…) ?

Luciana : Je pense avoir déjà répondu largement à cette question Je peux ajouter qu’il y a une lecture très forte de la situation, qui souligne l’impératif de reprendre les luttes à partir de la base et des mouvements sociaux ; de ne pas abandonner la défense des droits des travailleurs et des minorités comme s’il s’agissait de préoccupations mineures que l’on peut escamoter en échange de la défaite de Bolsonaro.

Y a-t-il le risque de candidatures de gauche rivales de celle de Lula ?

Luciana : Non, la seule exception serait Ciro Gomes, mais encore une fois, la gauche ne le situe pas ou plus comme un candidat de gauche. Il ne dialogue ni avec le PSOL ni avec les mouvements sociaux, par exemple. Il est improbable qu’il tente un rapprochement de cette sorte.

Y a-t-il la possibilité d’une candidature issue du mouvement noir ou du mouvement indigène au premier tour ?

Luciana : Malheureusement non.

Le choix d’un vice-président illustrera le type d’alliance politique que Lula veut construire, et le type de milieux sociaux qu’il veut toucher. Où en sommes-nous sur ce plan ? Quelles peuvent être les conséquences selon le choix ?

Luciana : Le vice-président le plus probable sera issu du PSB, le seul parti qui, avec le PT, offre une certaine possibilité d’obtenir un plus grand groupe parlementaire et une sorte de coalition au Congrès et au Sénat. Il n’est pas étonnant que certains dirigeants de gauche importants aient rejoint ce parti, comme Alessandro Molon, Marcelo Freixo et maintenant peut-être Geraldo Alckmin. Alckmin a été une figure très importante du PSDB, deux fois candidat présidentiel pour ce parti. Le PSDB5 était autrefois de centre-gauche mais s’est de plus en plus « droitisé » dans sa rivalité avec le PT. Alckmin quitterait le PSDB pour adhérer au PSB. Il pourrait alors devenir le candidat à la vice-présidence dans le ticket avec Lula. Même avec ce changement de parti, la présence d’Alckmin a pour but, plus qu’un apport de voix, une certaine pacification de la rivalité entre le PT et la droite, dont le PSDB, qui anime la politique brésilienne depuis près de trente ans. Regardons attentivement ce qui va suivre...

La figure du vice-président fait l’objet d’un débat animé. Certains secteurs de la gauche défendent le choix d’un vice-président de gauche, profitant de la situation, qui montre que Lula est très fort en ce moment. Mais il existe un autre courant, qui défend un vice-président issu d’un autre spectre politique pour construire une candidature capable d’unifier le pays après le coup de 2016 suivi de quatre années de démantèlement de l’État, dans un pays déchiré.

La question de la gouvernabilité est importante et Lula semble la rechercher par le biais d’un dialogue avec le centre et la droite (c’est le cas du PSD, parti de droite, l’un des partis les plus représentés au congrès national). Au Brésil, il ne suffit pas de gagner les élections : il faut ganhar e levar (gagner les élections et les « emporter », transformer le résultat). Et le choix de Lula illustre que la gauche brésilienne ne remplit pas les conditions pour arriver seule au pouvoir aujourd’hui par des élections, et sans un travail de reconstruction de la base sociale dans les rues, les périphéries, les églises et avec de nouvelles classes de travailleurs, comme ceux des applications et des plateformes numériques, ainsi que par l’organisation de grandes manifestations de rue, comme celles qui ont eu lieu au Chili à partir de 2019.

Mais la question du choix d’un vice-président passe aussi inexorablement par la question : qu’est-ce que la gauche ? Pour certains, un vice-président du PSB ne ferait pas sortir Lula du spectre de la gauche. Or, si le PSB est né à gauche, y est-il resté ? Il a appuyé Aécio Neves (PSDB) en 2014 contre Dilma, a défendu le coup contre cette dernière, n’a pas appuyé le candidat du PT en 2018, ne s’est pas opposé à l’emprisonnement de Lula, a en son sein des personnalités comme Marcio França qui sont ouvertement de droite. Ce parti a voté en faveur des lois Travail et d’autre mesures néolibérales, etc. Au sein du PT, beaucoup de gens se posent des questions sur la fédération projetée avec le PSB et pensent que le PSB n’est plus un parti de gauche. Si le candidat à vice-président est Geraldo Alckmin, je considérerai comme une humiliation le fait que les électeurs de gauche votent pour un tel ticket. Alckmin, en tant que gouverneur, a adopté l’une des politiques de sécurité publique les plus répressives que l’État de São Paulo ait jamais connues. Mais je comprends l’importance de la gouvernabilité et j’ai confiance dans la stratégie que Lula adoptera, consciente qu’il ne s’agira pas d’un gouvernement de gauche ou révolutionnaire, mais qu’il est l’homme politique le plus capable de permettre de grandes opportunités de progrès pour le pays.

Propos recueillis et traduits par Michel Cahen

1. Au Brésil, le vocable « indien » est récusé par les intéressés, qui se réclament de leur indigénéité. (Toutes les notes sont de M.C.)

2. Communautés formées par des descendants d’esclaves marrons (enfuis) et aujourd’hui luttant pour la propriété collective de la terre occupée depuis des générations.

3. Son vice-président est un militaire, mais ce dernier a pris ses distances avec la tentative de coup d’État.

4. Le centrão (« gros centre ») est un conglomérat de partis centristes clientélistes prêts à se vendre au plus offrant.

5. PSDB : parti de la social-démocratie brésilienne. Créé en 1988 par des dissidents du MDB et notamment par le sociologue, qui fut marxiste, Fernando Henrique Cardoso (FHC), le PSDB était initialement de centre-gauche mais a suivi une trajectoire de plus en plus droitière. FHC a refusé d’appeler à voter pour Haddad, candidat du PT, contre Bolsonaro en octobre 2017.

6. PSD : parti social-démocrate, fondé en 2011 comme parti « ni de droite, ni de gauche ni du centre », se voulant le porte-voix de la « classe C » (« classe moyenne » selon les statistiques brésiliennes). Il a eu des positions importantes dans les gouvernements de Dima Rousseff (PT), de Michel Temer (ex-vice président de Roussef, qu’il a trahie en soutenant le coup d’État de destitution) et, aujourd’hui, de Jair Bolsonaro…

Les partis de la gauche brésilienne

Parti communiste brésilien. Le PCB a été fondé en 1922 comme section de la IIIe Internationale. Il a eu ses heures de gloire dans les années 1930. Interdit en 1948, il a néanmoins survécu jusqu’en 1992. Il a refusé de participer à la fondation du PT (« puisque le parti des travailleurs existait déjà », lui-même !), ce qui l’a grandement marginalisé, préférant envoyer ses militants au sein du MDB (Mouvement démocratique brésilien, parti du centre autorisé sous la dictature). Dans le cadre de la chute du stalinisme, la majorité de son congrès de 1992 a décidé de rompre avec tout idéal communiste et créé un nouveau parti qui a oscillé entre l’alliance avec le PT et le soutien au centre-droit du PSDB. La minorité a maintenu un petit PCB, très faible, qui appartient à la gauche radicale extra-parlementaire.

Parti communiste du Brésil. Créé en 1962 comme scission procubaine du PCB, puis se rapprochant de la Chine, le PCdoB, malgré un discours souvent très « gauche stalinienne », est de fait un allié de long terme du PT, même s’il n’a pas participé à la fondation de ce dernier. Le PCdoB est confronté à des difficultés en raison de la « clause barrière », qui fait qu’un parti risque de ne pas atteindre un coefficient électoral suffisant pour avoir accès au financement public. La vice-présidente de F. Haddad (candidat du PT en 2018) était Manuela d'Ávila, du PCdoB et les principaux dirigeants ont soutenu Lula dans la lutte pour faire admettre son innocence. Il est difficile de mesurer l’expression propre de ce PC en dehors de son alliance presque structurelle avec le PT.

Parti démocratique travailliste. Le PDT a été fondé en 1979 par Lionel Brizola, le grand líder politique du trabalhismo (travaillisme[1])au début du processus d’ouverture de la dictature militaire. Il a été un parti pragmatique, rassemblant des opinions de gauche et d’autres. Il a lancé la candidature de Ciro Gomes en 2018 (arrivé troisième) et la conservera probablement en 2022 – il ne devrait donc pas s'allier avec le PT dès le début. Ciro est un homme politique expérimenté, membres de divers partis au cours de sa vie politique, controversé, mais il fut défenseur d'un projet national développementaliste et incontestablement engagé pour le progrès du pays. Sa rupture avec le PT est intervenue en 2018, lorsqu'il a refusé d'être le vice-président de Lula alors candidat (et empêché judiciairement de poursuivre). Mais au second tour, face au danger Bolsonaro, il refusa de déclarer son soutien au candidat du PT et partit à Paris, ce qui ne lui as pas été pardonné par une grande partie de la gauche brésilienne. À l'approche des élections de 2022, Ciro a ciblé les électeurs de droite qui regrettaient d'avoir voté pour Bolsonaro et, en guise de stratégie, a commencé par critiquer férocement Lula dans le but de capter le sentiment anti-Lula / anti-PT. Mais il n'a pas conquis ces électeurs de droite et a perdu beaucoup de ses électeurs de centre-gauche.

Parti des Travailleurs. Né en 1980, le PT peut être qualifié comme de centre-gauche, mais ce serait réducteur. C’est un archétype de parti ouvrier formé à partir du syndicalisme (dans ce cas, surtout chrétien), avec la figure emblématique de Lula, syndicaliste métallurgiste de São Paulo, originaire de la région pauvre du Nordeste. À cette maturation syndicaliste et des communautés ecclésiales de base liées à la théologie de la libération, se sont greffés les appuis de nombreux militants d’autres mouvements sociaux (Mouvement des Sans Terre, Mouvement Noir Unifié...), d’organisations de gauche et d’extrême-gauche (notamment trotskistes), d’intellectuels, d’artistes – toute cette pluralité convergeant dans le plus grand parti ouvrier d’Amérique latine. La période avant l’arrivée au pouvoir (2003) a préservé l’unité du parti, qui devait se fissurer face aux choix politiques gouvernementaux. Le PT a ensuite souffert de son institutionnalisation, du clientélisme dans les administrations et les entreprises publiques, et de grands scandales comme le mensalão (« grosses mensualités » versées par le PT à des députés de droite et du centre pour qu’ils soutiennent le PT minoritaire à l’Assemblée). Mais Lula a terminé son second mandat avec un taux de satisfaction inédit de 87% – il est vrai avant que la crise mondiale n’atteigne le Brésil. Sa successeuse, Dilma Rousseff (2011), ne devait pas connaître un tel succès, même si elle continua les programmes sociaux de Lula. Mais elle dût faire des choix lors de l’arrivée de la récession, et on peut dire qu’elle pencha dès lors vers le néolibéralisme, éloignant chaque fois plus le PT de sa base sociale. Néanmoins réélue pour un second mandat (2015), dans un contexte de mécontentement social croissant, de mobilisation de la droite et de scandales de corruption bien abusivement attribués presque exclusivement au PT par l’opération Lava Jato (« lavage express »), elle fut destituée en 2016. Aujourd’hui, en nombre d’adhérents, le PT reste le second parti du Brésil (plus d’un million et demi d’affiliés) après le MDB, majeur parti clientéliste du pays. La perspective d’une campagne électorale victorieuse de Lula en 2022 pose au parti la question de la différence entre le soutien populaire à la personne de l’ancien syndicaliste et l’appui moindre au PT en tant que tel. Cela compliquera certainement la constitution d’une majorité à l’assemblée et accroîtra énormément le risque de compromissions avec le centre et la droite.

Parti Socialisme et Liberté. Le PSOL est né d'une scission de gauche du PT en 2004. Il a été assez critique à l'égard des gouvernements Lula et Dilma, mais s'est rapproché du PT depuis le coup d'État civil de 2016 et l'emprisonnement de Lula en 2018. Guilherme Boulos, leader du MTST et aujourd'hui principal dirigeant du parti, était un défenseur de la première heure de Lula lorsque celui-ci a été arrêté. C'est un homme politique prometteur, formé au sein du mouvement social, talentueux et généreux, qui est susceptible de soutenir des alliances avec le PT lors des élections, en renonçant à son projet de candidature au premier tour des présidentielles en faveur de Lula. Il a attiré un grand respect même en dehors de la gauche. Mais cette question a divisé le parti (voir article de MC), avec des courants plus identitaires et « révolutionnaires ».

Parti socialiste brésilien. Créé en 1947, le PSB a souvent soutenu les candidats du PT, mais perdu une grande partie de son identité de gauche lorsqu'il a majoritairement soutenu la destitution de Dilma Rousseff[2]. À ce stade, il est très probable que le vice-président de Lula sera issu du PSB, ce qui le ramènerait au centre-gauche. Récemment, le PSB a reçu le renfort de deux figures importantes venues de la gauche : Flávio Dino et Marcelo Freixo, qui ont quitté respectivement le PCdoB et le PSOL, ce qui semble indiquer un accord d'alliance avancé.

Parti socialiste des travailleurs unifié. Le PSTU, un temps muni de solides bases syndicalistes, s’est formé en 1994 à partir d’une scission précoce du PT. C’est un parti trotskiste de tendance « moréniste ». Il a été grandement affaibli par des départs successifs vers le PSOL.

Parti Vert. Le PV est un parti environnementaliste créé en 1986 (légalisé en 1993). Un de ses membres les plus connus a été le chanteur Gilberto Gil, ministre de la Culture du premier gouvernement de Lula. Le PV devrait appuyer Lula dès le premier tour en 2022.

Rede Sustentabilidade. Le parti Réseau Soutenabilité a été fondée en 2013 par Marina Silva, ancienne ministre du PT et candidate aux présidentielles en 2014 (21% au premier tour en coalition avec le PSB). C’est un parti écologiste de centre-gauche, souvent proche du PSB.

[1] Le « travaillisme », au Brésil ne peut être comparé à ce qui existe, par exemple, au Royaume-Uni. C’est un courant notamment issu du varguisme (du nom de Getúlio Vargas, qui fut plus ou moins dictateur « proto-fasciste » de 1930 à 1945, puis de nouveau président, cette fois élu sous une politique populiste plutôt de gauche de 1951 à 1954). Le travaillisme brésilien n’a aucun lien avec le nouveau syndicalisme apparu dans les années 1970. Il s’agit d’une tendance corporatiste.

[2] La destitution de Dima Rousseff (31 août 2016), pour faits de corruption totalement inventée, a été un véritable coup d’État civil organisé par les députés de droite, du centre et certains de gauche, unis par leur haine du Parti des Travailleurs, dans le cadre de la montée des manifestations d’extrême-droite. Le vice-président de D. Roussel, Michel Temer, a alors opéré un virage 100% à droite, annonçant le gouvernement de Bolsonaro.

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